Tout remonte à l’Elysée dès lors que l’on est sous la Ve République, mais tout remonte encore plus à partir du moment où l’on personnalise à ce point sa pratique du pouvoir, que l’on dispose d’un gouvernement avec aussi peu de chevilles ouvrières expérimentées, que l’on fait le choix dans un contexte d’inflation économique et de défiance politique d’imposer un projet perçu par une partie des Français comme inefficace et par l’autre partie comme injuste, que l’on accumule enfin les signes d’un pouvoir aussi peu apte à retenir les leçons de ses fautes passées.
Tout était mal enclenché dans cette affaire de réforme, ou prétendue réforme, des retraites : le timing peu propice, la procédure aussi baroque dans ses chemins de traverses procéduraux que brutale dans son issue, la communication tellement contradictoire, la méthode enfin qui a réussit à braquer la totalité des syndicats de salariés, y compris les plus modérés. En démocratie, on ne peut avoir raison contre tout le monde ; en démocratie, on ne peut pas oublier les leçons d’une élection qui loin de lui donner quitus comme le prétend le chef de l’Etat l’a enjoint, en ne lui conférant aucune majorité claire à l’Assemblée, à composer afin de ne pas réitérer les erreurs du premier quinquennat. A défaut d’accepter et d’entendre ces messages, Emmanuel Macron a reproduit les pratiques qui l’ont conduit déjà au bord du précipice lors de la crise des Gilets jaunes, mais cette fois-ci sans le confort parlementaire du premier quinquennat.
C’est peu de dire qu’en conséquence rarement un pouvoir n’aura été aussi affaibli sous la Ve République, tant en raison de ses péchés d’orgueil que de son absence d’humilité.
Le style Macron est tout autant responsable de la trappe qui vient de s’ouvrir sous les pieds de l’exécutif que sa politique et tout laisse à craindre, dans l’incertaine séquence dans laquelle nous entrons, qu’il ne suffise pas de changer de style pour faire accepter une politique par trop bien comprise par la majorité de nos concitoyens… Il va de soi d’ores et déjà que la société française ne saura supporter plus longtemps un rythme aussi échevelé et frénétiquement emporté qui la mine de l’intérieur tout en la fracturant toujours plus. A une crise politique, il faudra une réponse politique, et celle-ci ne se contentera pas de « grands débats » ou autres « CNR » de circonstances, autant d’artefacts sans prise sur un réel qui se dérobe. Tout laisse à penser que le moment venu, le retour aux urnes s’imposera, sauf à accentuer le fossé entre les dirigeants et le peuple. Reste à savoir quand et sous quelle forme….
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne