La Revue Politique et Parlementaire a interviewé le député européen André Rougé sur la situation à Mayotte après son déplacement avec Marine Le Pen du 5 au 7 janvier.
RPP – Vous rentrez de Mayotte où vous avez accompagné Marine Le Pen dans sa visite du 5 au 7 janvier. Qu’en avez-vous retenu ?
André Rougé – Nous avons découvert un désastre difficile à décrire, ainsi qu’un énorme décalage entre le discours officiel et la réalité du terrain. Si j’essaie de conserver un certain détachement, ce qui est difficile, je vous dirai que Mayotte aujourd’hui ce sont des ravages humains encore impossibles à chiffrer, une population largement abandonnée à elle-même, un désastre matériel et infrastructurel total, notamment en matière de logements et d’équipements publics. Si vous additionnez ces trois éléments, dans le contexte d’un département qui compte officiellement 320 000 habitants mais qui en abrite en réalité autour d’un demi-million, dont plus d’un tiers d’étrangers, vous vous faites une petite idée de ce qu’y est la réalité.
Je me bornerai à vous donner deux exemples : sur le plan sanitaire d’abord, il manque 50 médecins sur le territoire. À l’hôpital le personnel est admirable de dévouement mais physiquement et moralement à bout. En cette saison des pluies les blocs opératoires sont inutilisables en cas d’averses, à la maternité, il arrive que le personnel travaille avec de l’eau jusqu’à mi-cheville. Quant au dispensaire, il est souvent privé d’eau et d’électricité. La commune d’Handréma ensuite, dans le nord du département, où il n’y a plus ni eau ni électricité depuis le 14 décembre et où les familles n’ont reçu que sept bouteilles d’eau pour survivre. Dans cette même commune, comme dans de nombreuses autres, la protection civile n’est passée que pour bâcher les bâtiments administratifs, laissant les particuliers, dont de nombreuses mamans de tout petits, sans toit sur la tête.
RPP – Vous faites le constat d’une faillite de l’État…
André Rougé – La faillite de l’État, Marine Le Pen la dénonce depuis des années, quand personne ne voulait l’entendre ni entendre parler de Mayotte parce qu’il n’était pas bien perçu de dire que la submersion migratoire, « le grand remplacement » dont parle maintenant Daniel Cohn-Bendit, était plus qu’avancés. Cette faillite-là, elle est indubitable, totale, sans circonstances atténuantes.
En revanche, nous avons constaté un immense dévouement de tous ceux qui font leur devoir et bien plus encore pour porter assistance, répondre présent et transmettre un peu d’espoir à leurs compatriotes. Cette fraternité en action il faut lui rendre hommage.
RPP – Les premières déclarations de Marine Le Pen sur le plan de reconstruction gouvernemental étaient plutôt positives, puis elles ont fait place à un jugement plus critique. Pourquoi ?
André Rougé – On ne fait pas de politique sur le malheur des gens. Donc, tout ce qui est fait pour les Mahorais est positif. Mais il ne faudrait pas que les annonces du Premier ministre restent incantatoires, notamment concernant l’interdiction de reconstruction des bidonvilles que l’on voit à nouveau s’ériger sur l’ensemble de l’île sans qu’aucun empêchement ne leur soit opposé. C’est en ce sens, de responsabilité et d’intérêt général, que Marine Le Pen a immédiatement fait savoir que son groupe votera les mesures du gouvernement pour venir en aide à la population. Ces mesures gouvernementales sont nécessaires et bienvenues, même s’il leur manque un volet concernant la lutte contre l’immigration.
Cela étant, notre déplacement nous a permis aussi de mesurer le décalage entre une certaine autosatisfaction gouvernementale et la réalité vécue. Nous avons visité 6 communes sur les 17 que compte le département, chaque fois celles-ci étaient sans eau et sans électricité. On nous a indiqué qu’un million de pastilles de chlore avaient été distribuées pour assainir l’eau, aucun de nos interlocuteurs n’en avait vu la couleur. On nous a dit que les assurances se mettaient en place et nous avons rencontré des pêcheurs qui ont perdu leur outil de travail et n’ont aucune nouvelle d’une quelconque indemnisation. Nous avons vu aussi des responsables de l’Éducation nationale sommés par Mme Borne d’assurer la rentrée scolaire dans des conditions impossibles tant sont dévastés les établissements scolaires. Nous n’avons rien entendu non plus du côté du gouvernement sur les causes profondes du désastre, c’est-à-dire sur le rôle moteur des Comores, en particulier du colonel Azali, dans la submersion migratoire du département. Nous attendons de ce côté-là un volet diplomatique qui manque toujours cruellement. Voilà pourquoi le discours de Marine Le Pen n’est pas exempt de critique, mais une critique constructive. Le groupe RN à l’Assemblée nationale déposera donc des amendements sur le projet de loi d’urgence, en espérant que le gouvernement sera sensible à nos propositions qui sont exclusivement inspirées par l’intérêt général.
RPP – Et quelles seront les mesures proposées par le Rassemblement national ?
André Rougé – Comme l’a bien dit Marine Le Pen, notre philosophie ce n’est pas de « reconstruire », mais bien de construire une Mayotte nouvelle, résiliente et enfin modernisée. On le doit aux Mahorais et à la mémoire de tous ceux qui ont perdu leur vie dans la catastrophe du 14 décembre.
Nous avons la conviction que l’énormité du sinistre nous impose d’avoir une réponse qui sorte des sentiers battus. C’est pourquoi nous proposons la nomination d’un coordinateur interministériel pour Mayotte placé auprès du ministre des Outremers et ayant rang de secrétaire d’État. Nous voyons aussi un phasage à court, moyen et long terme car les logiques de construction et de développement ne sont pas les mêmes.
Dans la phase d’urgence actuelle, nous devons nous centrer sur la situation humanitaire, la sécurité publique car la situation est très dégradée avec des intrusions violentes de domiciles, et sur les besoins en eau, en électricité, en nourriture et en soins. Le Service de santé des Armées doit projeter des moyens hospitaliers et humains très significatifs à Mayotte pour porter assistance à un système sanitaire qui est en train de couler. Les humanitaires pourraient y apporter utilement leur concours. Nous souhaitons aussi que les fonds européens d’aide d’urgence soient mobilisés rapidement par le gouvernement. Comme disait Mme Thatcher, « I want my money back ». Nous aussi, nous voulons que l’argent des Français en Europe revienne à nos compatriotes qui en ont le plus besoin et qui sont en ce moment les Mahorais.
Ensuite viendra le temps de la récupération, avec une série d’infrastructures publiques essentielles pour ce département, parmi lesquelles l’indispensable usine de désalinisation, un véritable hôpital, l’allongement de la piste de l’aéroport, un port en eau profonde, des salles de classes et peut-être un pont entre la Petite et la Grande terre. Il faudra mener en parallèle l’approfondissement de la départementalisation qui a été laissée en jachère, avec les résultats catastrophiques que l’on a pu constater en matière de foncier et de cadastre notamment qui ont beaucoup contribué à la croissance des bidonvilles.
Enfin, à plus long terme, il faudra renforcer l’armature économique du département, par la remise en route d’une agriculture à la fois vivrière et d’exportation grâce à la filière Ylang Ylang exilée sous d’autres cieux, l’installation d’une base logistique en support à la future exploration offshore dans le canal de Mozambique et à terme le développement d’un tourisme qui prendra appui sur une sécurité retrouvée et la beauté du lagon et du patrimoine naturel.
André Rougé
Député français au Parlement européen, délégué national à l’Outremer du Rassemblement national