Le 14 septembre 1982, il y a 40 ans, Bachir Gemayel et plusieurs de ses compagnons disparaissaient dans un attentat commandité par le régime syrien assassin des Assad. Cet homme d’exception n’a depuis jamais été remplacé à la tête du Liban et non plus quant au leadership chrétien dans le pays. Mais son message dépassait très largement le seul cadre du pays du Cèdre, présenté à juste titre par le pape Jean-Paul II comme « bien plus qu’un pays ».
Très jeune, Bachir Gemayel comprend l’ampleur de l’enjeu de la survie mais aussi de l’existence dans la dignité des chrétiens d’Orient et singulièrement des chrétiens libanais, qui ont véritablement bâti le pays grâce à leur résistance et leurs sacrifices tout au long de treize siècles face à l’islam conquérant et dominant, ravalant les chrétiens au rang de citoyens de seconde zone – les « dhimmis » – quand il ne pratiquait pas persécutions et meurtres massifs purement et simplement.
Il comprend que la présence palestinienne, qui infeste le pays qui ne les a que trop généreusement accueillis, puis la mainmise syrienne, ne sont que les succédanés, au plan historique, des multiples tentatives islamiques d’anéantir la liberté, la créativité, l’ouverture et le pluralisme de cette contrée largement fécondée par le génie particulier des Maronites.
« L’agression militaire perpétrée par les forces arabes syriennes contre nos régions ne réussira pas à briser notre volonté qui, au cours de l’histoire, a résisté aux Omeyades et aux Mamelouks (…). L’avance des hordes syriennes de quelques kilomètres à l’intérieur de nos montagnes n’infléchira pas nullement notre détermination à libérer notre terre et notre peuple », déclarait-il.
Maronites qui se singulariseront toujours en Orient en refusant toute scission entre orthodoxie et catholicisme, affirmant toujours leur lien exclusif avec Rome, et luttant avec succès mais aussi sacrifices contre le statut infamant de dhimmis.
Bachir Gemayel aura incarné, par les armes et le projet politique, cette volonté de ne pas plier devant les exactions de l’islam conquérant.
De refuser ce statut de dhimmitude, que nombre d’Européens et de Français doivent désormais subir sur leur propre sol où des pans entiers de territoires sont désormais soumis à l’islamisation à marche forcée.
Elu président de la République libanaise le 23 aout 1982 grâce à la vigueur des chrétiens, mais aussi de nombre de musulmans, notoirement chiites, refusant qu’appartenance à l’islam rime au final avec négation de la liberté individuelle, Bachir Gemayel restera la figure fulgurante qui aura annoncé notre combat de civilisation à venir. Celui de la lutte contre l’islamisation, de la défense de la civilisation occidentale fécondée par le christianisme et reconnaissant à chaque personne le droit à la liberté, au libre arbitre, à l’originalité.
A son sujet, un de ses principaux biographes, Sélim Abou, écrivait :
« Il y a un abîme entre les politiciens de talent qui rusent avec l’histoire ou la mettent à profit et le grand politique qui, simplement, la fait. Habité par une passion exclusive pour son pays et son preuve, façonné par l’épreuve et mûri par le sacrifice, animé d’une volonté politique inébranlable et propre à discerner l’action à accomplir, Béchir Gemayel a surgi comme l’homme historique du Liban contemporain et s’annonçait déjà comme l’homme fort du Proche-Orient. Marqué par un tel destin, pouvait-il survivre dans cette région du monde où la liquidation des grands hommes est devenue tradition ? ».
Qualifié par Charles Zorgbibe de « Bonaparte du Proche-Orient », Bachir Gemayel voulait voir dans le Liban et les chrétientés d’Orient « non pas une dernière Byzance, mais une nouvelle Jérusalem ».
Puisse son combat et son message d’exception retenir encore un certain écho au Liban bien sûr, mais surtout dans nos contrées européennes qui subissent désormais les mêmes affres que celles séculaires du Pays du Cèdre. Mais, hélas, avec les capacités de résistance en moins.
François Costantini
Docteur en Sciences politiques (Université Paris I Panthéon Sorbonne) et diplômé de Sciences-Po Paris, François Costantini a été enseignant associé à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Il est l’auteur de Le Liban, Histoire et destin d’une exception (Perspectives Libres) et des Relations Internationales en Fiches (Ellipses).