Le conflit ukrainien a immédiatement fragilisé la présence russe dans son étranger proche. Alliée proche de la Russie depuis son indépendance en 1991, l’Arménie se sent fragilisée par l’aventure guerrière de Vladimir Poutine en Ukraine, dont elle redoute de faire les frais face à l’axe turco-azerbaïdjanais.
L’on se souvient que les forces azerbaïdjanaises, appuyées directement par la Turquie et soutenues par Israël, avaient repris le contrôle de l’ensemble des sept districts autour de la province sécessionniste du Haut-Karabakh, majoritairement peuplée d’Arméniens. Après le cessez-le-feu signé le 9 novembre 2020 sous les auspices de la Russie, Moscou avait déployé au Haut-Karabakh une force d’interposition de près de 2 000 hommes. Or, depuis le déclenchement des hostilités en Ukraine, fin février, les Azerbaïdjanais ont lancé plusieurs offensives contre des villages arméniens, dans les zones sous contrôle des forces russes de maintien de la paix. Le but étant de grignoter progressivement des territoires, de pratiquer une pression maximale sur les populations civiles. Début mars, l’unique gazoduc reliant l’Arménie à l’enclave du Haut Karabakh a été saboté.
En réalité, l’Azerbaïdjan et son allié turc profitent de la guerre en Ukraine pour avancer leurs pions sur le terrain.
Cette conjoncture internationale inquiète l’Arménie, car la Russie est la seule garante de sa sécurité et de celles des Arméniens du Haut-Karabakh1. En face, l’Azerbaïdjan est soutenu par deux puissances régionales majeures et influentes : la Turquie et Israël. L’Azerbaïdjan et la Turquie entretiennent une coopération économique et militaire très étroite. Quant au partenariat israélo-azerbaïdjanais, il repose sur une alliance militaro-énergétique. L’Azerbaïdjan fournit environ un tiers des besoins pétroliers d’Israël, qui, en retour, livre à Bakou du matériel militaire sophistiqué. Et surtout, l’Azerbaïdjan constitue une base d’observation et d’espionnage pour surveiller l’Iran.
La fragilisation des positions russes est également visible dans les pays proches : le Kazhakstan a pris timidement ses distances de la Russie : Timur Suleimenov, chef de cabinet du président du Kazakhstan a cherché à démontrer à ses partenaires européens que le Kazakhstan ne serait pas un outil permettant de contourner les sanctions imposées à la Russie par les États-Unis et l’UE. Par ailleurs, la Turquie, désormais opposée à la Russie, s’est rapprochée du Kirghizistan en renforçant leurs relations bilatérales et leur coopération en matière d’armement2. L’économie du Tadjikistan qui est très liée à celle de la Russie connait, quant à elle, une instabilité croissante. À Douchanbé, capitale du Tadjikistan, le coût de la vie augmente. Le Tadjikistan est en effet économiquement dépendant de la Russie, et beaucoup de familles comptent sur les virements de leurs proches travaillant en Russie. Selon les données de la Banque Mondiale, la part des virements de travailleurs tadjiks en Russie vers leurs familles représente 26,7 % du produit intérieur brut (PIB) du Tadjikistan en 2020, ce qui place la république au rang de troisième pays le plus dépendant du monde. Enfin, le Premier ministre du Pakistan Imran Khan3 a fait l’objet d’une tentative réussie de déstabilisation par les services américains. Après cette opération, les Etats-Unis ont immédiatement félicité le nouveau Premier ministre du Pakistan, Shehbaz Sharif, déclarant souhaiter poursuivre leur coopération historique avec le Pakistan.
En Extrême-Orient, l’effritement des positions russes est également visible : au sein de l’archipel des Kouriles, quatre îles cristallisent les tensions entre la Russie et le Japon sur fond de guerre en Ukraine.
L’annexion par la Russie en août 1945 de quatre îles de l’archipel des Kouriles, bouts de terre volcaniques battus par les vents à l’extrémité nord du Japon et à proximité de la ville russe de Vladivostok, a jusqu’à présent empêché la signature d’un traité de paix entre les deux puissances depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Moscou a finalement annoncé, mardi 22 mars, l’arrêt des pourparlers de paix, en représailles aux sanctions adoptées par le Japon dans le sillage des pays occidentaux après l’invasion de l’Ukraine. Peu peuplées mais riches en poissons, en métaux et en pétrole, ces quatre îles sont en effet d’une importance géostratégique majeure pour la Russie. Situées sur la mer d’Okhotsk, elles ouvrent un couloir pour la marine et les sous-marins russes vers le Pacifique et constituent un verrou face à la présence militaire américaine au Japon. La posture de l’actuel Premier ministre japonais, Fumio Kishida, semble trancher avec celle de son prédécesseur. Shinzo Abe avait mené une vingtaine de rencontres cordiales avec le gouvernement russe pour régler la question des Kouriles et essayer d’empêcher un rapprochement entre la Russie et la Chine. En s’alignant sur les sanctions occidentales et en employant délibérément le terme d’« invasion » pour parler de la situation en Ukraine, Fumio Kishida rompt avec l’habituelle discrétion du Japon en matière de relations internationales.
Toutefois, l’on ne saurait parler de débâcle russe en Asie.
En Birmanie, la junte qui a pris le pouvoir le 1er février 2021 peut toujours s’appuyer sur Moscou. Des armes ont été livrées dans les premiers mois de 2022. Quant à la Chine, gros investisseur dans ce pays, elle pourrait bénéficier du départ des compagnies occidentales. D’autre part, l’Ossétie du Sud, qui avait fait sécession de la Géorgie, envisage d’organiser une consultation populaire pour être rattachée à la Russie. Enfin la hausse continue du prix des matières premières et de l’énergie bénéficie à la Russie : le prix moyen des matières premières a été multiplié par trois depuis le creux lié à la première vague de Covid au premier semestre 2020. Or l’énergie a contribué, à hauteur de deux tiers, à cette progression. L’on ne saurait oublier par exemple qu’un pays comme le Bangladesh importe 60 % de son blé à l’Ukraine et à la Russie.
Thomas Flichy de La Neuville
Professeur d’université
- Les Arméniens sont complètement tributaires des Russes pour leur sécurité physique mais aussi pour leur sécurité énergétique, puisque le gaz qu’ils consomment est importé de Russie. ↩
- La présidence kirghize a publié, jeudi, un clip vidéo sur l’utilisation du drone « Bayraktar TB2 » de fabrication turque dans les manœuvres de l’armée kirghize. ↩
- Le jour même du déclenchement du conflit ukrainien Imran Khan était parti en visite à Moscou. ↩