Ainsi que nous nous le rappelle Pierre-Emmanuel Guigo, Valéry Giscard d’Estaing aura été le grand modernisateur de la communication politique.
La présidence de Valéry Giscard d’Estaing aura été celle d’un bilan important tant sur le plan européen, et d’adaptation aux mutations de la société. Mais le chef de l’Etat a aussi été à l’origine, en bonne partie, de la communication politique contemporaine. Son parcours fulgurant, sa jeunesse, son absence de grande machine partisane, son positionnement centriste et libéral ne sont pas sans faire penser au chef d’Etat actuel.
Avant même son élection comme président, il s’est construit une image favorable dans l’opinion en utilisant abondamment la télévision dont il a un sens inné.
Ministre de l’Economie et des Finances, il s’illustre par des interventions pédagogiques sur l’état de l’économie française (à l’époque florissante) appréciée des téléspectateurs. Ce talent et cette répartie adaptée au petit écran lui seront d’un grand avantage lors du débat avec François Mitterrand en 1974. Il n’hésite pas à dévoiler son corps, donnant une interview torse nu depuis les vestiaires après un match de football entre l’équipe de la mairie de Chamalières et les commerçants de la ville.
Célèbre, il pâtit néanmoins de l’image un peu austère du haut fonctionnaire et de grand argentier de l’Etat. Il met alors en œuvre un procédé politique devenu banal aujourd’hui, mais à l’époque totalement nouveau, le dévoilement de la vie privée. Son but est de se rendre sympathique et proche des Français en se montrant un élu et un dirigeant politique similaire à eux. Il s’affiche ainsi avec son épouse, ses filles et choisit comme affiche de campagne en 1974 une photographie le représentant dialoguant avec sa fille Jacinthe.
Si Valéry Giscard d’Estaing a un sens très personnel de la communication, il n’en néglige pas moins les conseillers en communication qui font à l’époque leur apparition. Durant la campagne de 1974 il suit les conseils du publicitaire Jacques Hintzy et fait même venir l’ancien conseiller de Kennedy, Joseph Napolitan. Il en résulte une campagne présidentielle qui détone avec les précédentes et dont le merveilleux film 1974, une partie de campagne de Raymond Depardon donne une bonne idée. Le candidat Giscard, incarnant la jeunesse après seize années de gaullisme, parcourt la France s’entourant systématiquement de jeunes (les fameux Jeunes Giscardiens), arborant des tee-shirt « Giscard à la barre ». Les plus grandes vedettes de l’époque soutiennent le candidat. Johnny, Charles Aznavour, Brigitte Bardot sont mis à contribution.
A l’Elysée, Valéry Giscard d’Estaing veut poursuivre son processus de modernisation de l’image présidentielle.
Il opte pour une photo officielle le montrant en plan serré et devant un drapeau français en simple costume de ville, là où ses prédécesseurs avaient choisi la redingote et la bibliothèque de l’Elysée. Voulant soigner sa proximité avec la population, il invite les éboueurs parisiens au petit-déjeuner et s’invite chez les Français qui le sollicitent. Pédagogue, le président écrit un livre deux ans après son élection pour présenter sa politique : Démocratie française. Le succès est immédiat, cela reste encore aujourd’hui l’un des plus grands succès de plume d’un gouvernant français. Quant à ses filles, leurs unions permettent d’attendrir un lectorat sensible à la vie privée des proches du chef de l’Etat.
La machine se grippe peu à peu à partir de 1977. La situation économique pèse progressivement sur l’image du président. Les stigmates anciens reviennent. Le chef de l’Etat apparaît de nouveau lointain, voire arrogant. L’affaire des diamants va également renforcer cette impression de monarchisation en marche. La caricature le présentant en Louis XV s’impose dans les esprits. Sa côte de popularité décroche quelques semaines avant l’élection présidentielle, lui coûtant une réélection.
Pierre-Emmanuel Guigo
Maître de conférences en histoire à l’Université Paris-Est Créteil