Complotiste, Jean-Luc Mélenchon ? Disons plutôt qu’il est obsédé par une prétendue oligarchie capitaliste internationalisée, dont l’objectif est de détourner l’attention du peuple afin de prolonger son aliénation, de poursuivre l’accumulation de capital, et d’asseoir davantage son pouvoir. La tendance complotiste du leader de La France insoumise, très nette lors de sa participation à l’émission Questions politiques ce dimanche, n’est rien d’autre qu’une tendance inhérente au marxisme lui-même.
La fragilité de Jean-Luc Mélenchon n’est pas rhétorique, car il est un excellent tribun. Elle est idéologique. Il ne cherche pas le buzz. Et il ne dérape pas. Il poursuit une logique intellectuelle de lutte des classes extrêmement structurée, au sein de laquelle la tentation marxienne de relier l’ensemble des désordres sociaux à un unique ennemi : « le capital » – ce qui inclut ses détenteurs, hier les bourgeois et aujourd’hui les néolibéraux – ne peut que le conduire au type de sophismes hasardeux qui ont émaillé son interview. Il se perd en dérives nauséabondes car celles-ci sont inscrites dans l’ADN de sa pensée politique. Même le meilleur rhéteur au monde ne saurait y échapper.
Son logiciel socialo-trotskiste impose à Mélenchon de considérer que le « système » dans son ensemble a été façonné par l’ennemi libéral.
Dès lors, toutes les composantes de ce système sont oppressives. L’armée et la police, tout d’abord, qui sont les bras armés de l’oligarchie capitaliste. Non pas les policiers « de base » mais les chefs, ceux de la « classe d’en haut », qui sont de collusion avec le pouvoir libéral. Et puis les « techniques » de police, d’interpellation, qui sont l’expression de l’idéologie violente qui caractérise le système. Ensuite, viennent les médias, considérés par le patron des Insoumis comme l’instrument de propagande du système, puisque dirigés, dans leur grande diversité, par une poignée de financiers, disons même d’oligarques, ceux-là mêmes qui ont contribué à « sortir Emmanuel Macron du chapeau » pour le placer au pouvoir. L’administration, ses procédures, ainsi que les normes, jusqu’à la plus haute, la Constitution, souffrent des mêmes perversions libérales. C’est notamment la raison pour laquelle un gouvernement Insoumis est impensable sous une Ve République monarchique. La Constitution doit être renversée au profit d’une assemblée constituante ayant vocation à permettre à une VIe République socialiste et universelle d’émerger.
Jusqu’où le cynisme de l’ennemi libéral peut-il aller ? La lecture « idéologique » que Jean-Luc Mélenchon et ses camarades insoumis ont opérée de l’ouvrage de Michael Fœssel, Récidive, nous en livre le contenu : Jusqu’à instrumentaliser l’extrême-droite (neo)fasciste pour qu’elle serve les intérêts de la classe dominante. Le cynisme du système libéral consiste à faire passer l’extrême-droite pour son pire ennemi alors qu’elle est en réalité son meilleur allié. La proximité supposée entre le libéralisme au pouvoir et l’extrême droite est visible, selon Mélenchon, dans les références positives à Pétain et à Maurras opérées par Emmanuel Macron. L’association en 1938 des capitalistes et des fascistes/pétainistes corrobore, croit-il, son analyse. C’est suivant cette logique que l’explosion de violences que connaît la société française est réduite au rang d’invention de l’extrême-droite fascisante, installée médiatiquement grâce à la chaîne d’information en continue CNEWS. L’islamisme ? Une supercherie qui n’aurait d’autre but que de persécuter les musulmans. Quant à la civilisation française, puisqu’elle se revendique d’un héritage chrétien que ce matérialiste athée a pour devoir d’honnir, elle n’a évidemment pas droit de cité. Seule la lecture socialiste du politique est pertinente, seul le phénomène social – comprendre la socialisation du capitalisme – est digne d’intérêt.
La mécanique rhétorique mélenchonienne est extrêmement bien rodée, mais elle repose sur une base fort étroite qui n’a plus guère de perspectives à offrir.
Dès lors, quand le réel se complexifie et qu’il mute jusqu’à faire émerger des catégories politiques qui échappent à la grille de lecture marxiste, le logiciel LFIste multiplie les plantages, les codes erreur 400 : « La syntaxe de la requête est erronée ». Le marxisme n’est pas adapté au XXIe siècle, alors Jean-Luc Mélenchon et ses affidés reformulent le réel dans un langage adapté à leur logiciel 1.0. Ils ne sont donc pas si fautifs que ça. Le principal fautif est la doxa socialiste, qui est devenue presqu’entièrement obsolète.
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, politologue
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