A ce sentiment collectif, dont les études d’opinion confirment la prégnance majoritaire, le pouvoir répond par l’inflexibilité d’une part, et la rhétorique récurrente de la pédagogie d’autre part.
La première relève de la posture psychologique afin d’accréditer l’idée d’un volontarisme sans faille malgré la rue et le rejet dominant quand la seconde persiste à réduire la résistance à la réforme à un déficit d’explication. D’où la mobilisation de quelques éditorialistes autour du Président afin de procéder à l’infusion de la parole élyséenne. Cette réactivation d’une technique de communication, qui n’a rien de fondamentalement nouveau, participe néanmoins de ce qui grippe dans les tréfonds du pays.
Tout se passe en effet comme si cette réforme témoignait de l’inaptitude du haut à comprendre le bas qui ne s’approprie plus le narratif de dirigeants perçus comme l’expression oligarchique de mandataires d’un ordre imposé par la globalisation.
Il se pourrait à l’aube d’une nouvelle mobilisation, dont les syndicats unis et revigorés espèrent qu’elle sera amplifiée au regard d’une première étape réussie, que les digues parlementaires commencent à céder. Dans tous les groupes censés soutenir le texte, des voix se font jour pour dire leurs doutes, leurs réserves, voire leurs oppositions ; à ce stade le gouvernement qui pouvait exciper voici quelques jours une majorité pour porter le projet n’est désormais plus sûr de rien. Les confédérations syndicales marquent ainsi des points dans une bataille dont la dimension psychologique n’est pas à sous-estimer.
Si doute il y a, nonobstant des déclarations de détermination, c’est dorénavant du côté de l’exécutif qu’il parait s’installer.
A vouloir passer en force, à modifier aussi à plusieurs reprises leurs arguments justificatifs quant à la nécessité d’allonger l’âge de départ à la retraite, à prétendre contre tout bon sens que les Français leur auraient électoralement donné quitus, le risque est grand pour les gouvernants de s’enfermer peu à peu dans une impasse qui pourrait encalminer la législature moins d’un an après le début de celle-ci.
Mal engagée une affaire n’a généralement que très peu de chances de se donner les moyens d’une issue favorable. Force est de constater que toutes les conditions potentielles d’une crise sociale et politique sont en passe d’être réunies, comme si un engrenage sourd se mettait en mouvement de manière irréversible. Si le 31 janvier la bataille de la mobilisation tournait en faveur des syndicats, il n’y aurait plus d’autre alternative pour l’exécutif que de revoir sa copie. Reste à savoir comment.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne