Rarement ces dernières années autant de colères se seront concentrées en une même temporalité : du petit commerce aux ménages en proie à l’inflation en passant par de nombreux segments de la fonction publique, le spectre du mécontentement s’élargit et pourrait se mettre en mouvement sans autre mobile que celui d’être mécontent « en même temps ». Ce « en même temps » a peu à voir avec celui, présidentiel, qui en appelle à la synthèse du centre-gauche et du centre-droit, des sociaux-démocrates et des libéraux au nom d’une implicite complexité du monde. Ce « en même temps » est le boomerang du « en même temps » élyséen, celui qui jusqu’à présent n’est jamais parvenu à s’agréger mais qui aujourd’hui est en mesure de s’ossifier au point de bloquer le pays par refus d’un projet qui lui paraît inutile et injuste : inutile parce qu’il existe dans le moment, aux yeux d’une large partie de l’opinion, d’autres priorités qu’une initiative cosmétique sur le fond mais symboliquement lourde d’aspérités, injuste parce que perçu comme la régression, ou la transgression,de trop…A ce sentiment collectif, dont les études d’opinion confirment la prégnance majoritaire, le pouvoir répond par l’inflexibilité d’une part, et la rhétorique récurrente de la pédagogie d’autre part.
Tout se passe en effet comme si cette réforme témoignait de l’inaptitude du haut à comprendre le bas qui ne s’approprie plus le narratif de dirigeants perçus comme l’expression oligarchique de mandataires d’un ordre imposé par la globalisation.
Si doute il y a, nonobstant des déclarations de détermination, c’est dorénavant du côté de l’exécutif qu’il parait s’installer.
Mal engagée une affaire n’a généralement que très peu de chances de se donner les moyens d’une issue favorable. Force est de constater que toutes les conditions potentielles d’une crise sociale et politique sont en passe d’être réunies, comme si un engrenage sourd se mettait en mouvement de manière irréversible. Si le 31 janvier la bataille de la mobilisation tournait en faveur des syndicats, il n’y aurait plus d’autre alternative pour l’exécutif que de revoir sa copie. Reste à savoir comment.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne












