Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire, s’est entretenu avec Patrick Rajoelina, Ancien ministre des Affaires étrangères de la République de Madagascar.
Revue Politique et Parlementaire – Madagascar occupe une place singulière en raison de son insularité dans la zone océan indien tout en appartenant à l’union africaine ; ancienne colonie française mais qui néanmoins paraît à première vue nourrir un ressentiment moins fort à l’encontre de l’ancienne tutelle coloniale comparé aux États d’Afrique francophone. Et pourtant diplomatiquement, comme le montre au demeurant la crise ukrainienne, la grande île semble se distancier des positions françaises et plus largement occidentales. Où en est Madagascar sur le plan de sa politique étrangère ? Quelle est la voix qu’elle entend privilégier et faire entendre ?
Patrick Rajoelina – Madagascar a une doctrine diplomatique séculaire, héritée de nos Souverains du XIXème siècle. Je rappelle que sous l’autorité de nos Reines, au XIXème siècle, des Ambassades se sont transportées au Royaume-Uni, au Japon, au Etats-Unis et en France. Depuis tout temps, notre diplomatie est non alignée, indépendante, ouverte sur le monde. Notre insularité dans l’hémisphère sud, notre Civilisation originale où se mêlent les apports asiatiques, africains, arabes et européens ainsi que notre ambition de devenir une nation émergente font que nous travaillons sans cesse à construire un partenariat mutuellement bénéfique avec tous les pays du monde.
Le Président Andry Rajoelina attache un prix particulier à toujours rappeler que notre pays, dont les besoins sont immenses, a besoin des expertises et des expériences de tous pour avancer.
C’est cette voix d’indépendance assumée et de détermination dans nos objectifs à atteindre pour le bien-être du peuple malagasy que nous voulons privilégier.
Cette voix diplomatique s’adresse également et surtout aux pays du Sud avec qui nous voulons renforcer nos échanges. Avec les pays membres de la Commission de l’océan Indien (COI), ceux de la SADC et du COMESA, et bien plus généralement avec tous les pays africains grâce à cette opportunité de la Zone de libre-échange africaine (ZLECAF) qui nous offre un vaste marché continental.
Cette voix diplomatique s’adresse en outre aux grandes nations ou aux ensembles géographiques telles que l’Inde, la Turquie, les pays du Golf et l’Asie du Sud avec qui les échanges seront renforcés dans les années à venir.
Cette voix diplomatique enfin, se veut celle de la défense des intérêts de tous ces pays de l’hémisphère Sud victimes du réchauffement climatique causé par l’hyper industrialisation des nations de l’hémisphère Nord. Selon l’ONU, notre pays est un des premiers dans le monde à être directement victime du réchauffement climatique.
La réalité sur le terrain, dans le Sud de Madagascar est d’une désolation effrayante.
Revue Politique et Parlementaire – D’aucuns soulignent une forte influence russo-Chinoise…. Premier exemple, vous étiez Ministre des affaires étrangères lorsqu’au printemps 2022, Madagascar s’est abstenu de voter une résolution des NU condamnant « l’agression » de la Russie contre l’Ukraine. L’un de vos successeurs comme ex-patron de la diplomatie malgache, M. Richard Randriamandrato, a été limogé à l’automne pour avoir « unilatéralement » voté contre les annexions de la Russie en Ukraine. Y a-t-il un rapprochement Moscou-Tanà comme peut le laisser suggérer l’accord de coopération militaire signé entre les deux parties quelques semaines avant l’éclatement du conflit russo-ukrainien, le soutien russe dans la revendication par la Grande Île des îles Eparses ou encore la promesse du Kremlin d’effacer de la dette de Madagascar. Second exemple, les relations diplomatiques Moscou-Tanà sont aussi anciennes que celles entre Pékin et Tanà.
Patrick Rajoelina – Permettez-moi de reprendre les mots du Général de Gaulle : « Un pays n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts ». Eh bien c’est tout à fait dans cette logique universelle que se situe notre diplomatie, qu’elle soit politique, économique ou même culturelle. C’est dans cet esprit qu’en mars 2022, Madagascar s’est abstenu lors du vote à l’ONU.
Une année plus tard, le 24 février 2023, Madagascar, souhaitant un règlement pacifique du conflit, « conformément à ses valeurs et conformément à la Charte de l’ONU », a décidé d’accorder sa voix à la résolution intitulée « Principe à la base d’une paix globale, juste et durable en Ukraine ».
Nos choix diplomatiques et notre posture internationale sont donc clairs et dans la droite ligne de ce que j’évoquais concernant notre doctrine diplomatique séculaire.
Le Président Andry Rajoelina, lors de la 76ème assemblée générale de l’ONU en septembre 2022 a été clair : « Nous avons juste foi en la légitimité de nos aspirations et en notre droit à décider du destin de notre pays ».
L’évolution de la situation en Ukraine affecte directement la population malagasy par une inflation inacceptable. Et à cause de cette dégradation économique, les impacts sociaux sont énormes pour notre pays.
Cela étant, notre Histoire récente, notamment durant la IIème République, fait que nous entretenons depuis des décennies des relations d’amitié avec le peuple russe. Cette amitié entre tous les Peuples nous est chère. Mais nous sommes également attachés, comme tous les peuples, au respect des droits humains partout dans le monde. Cela vaut naturellement pour les peuples ukrainiens et russes.
S’agissant des accords de coopération militaire, nous en avons avec la France, les Etats-Unis d’Amérique, le Maroc et la Russie. Là encore, nous n’avons aucune exclusivité. Nous sommes un pays souverain particulièrement soucieux de notre indépendance et notre liberté de lier des relations, y compris militaires, avec qui bon nous semble.
Quant à la revendication de Madagascar sur les îles Éparses, elle date de 1979 et a d’ailleurs fait l’objet de deux résolutions des Nations Unies confortant notre position. Pour l’heure, nous sommes dans le cadre d’un débat fécond avec nos partenaires français afin d’avancer sur ce sujet.
Après une première rencontre en novembre 2021 (avant la période de COVID-19), une prochaine rencontre de la Commission mixte franco-malagasy doit avoir lieu prochainement à l’invitation des autorités françaises. Le Président Andry Rajoelina s’est dit avoir l’espoir d’une « issue positive, juste et apaisée des travaux de cette Commission ».
Revue Politique et Parlementaire – Où en sont les relations franco-malgaches ? La présence des alliances françaises, importante à Madagascar, témoigne du dynamisme de la relation mais en même temps le différend sur les îles éparses demeure . Sur ce dernier point où en sommes-nous ?
Patrick Rajoelina – Nos relations avec la France sont anciennes, profondes et fraternelles. C’est un truisme que de dire cela, mais cette réalité est particulièrement concrète. Près de 100.000 Malagasy vivent en France qui est d’ailleurs la première destination des étudiants Malagasy. Ce sont, par ailleurs, plus de 15.000 citoyens Français qui vivent à Madagascar. Plus de dix sociétés et groupe industriels français, parmi plus de deux cents installées dans la Grande île, sont cotées au CAC 40 (bourse de Paris, France). L’enseignement du français, seconde langue officielle de Madagascar inscrite dans notre Constitution est très vivace.
La Francophonie, par ses aspects culturels, linguistiques et même économiques est une réalité.
La France, par ailleurs le principal partenaire de défense de Madagascar en Afrique australe et dans l’océan Indien, est le troisième client commercial de Madagascar et son sixième fournisseur. La coopération culturelle, technique et scientifique ainsi que la coopération décentralisée sont particulièrement appréciées. En un mot, la coopération et l’amitié entre nos deux pays, sont au beau fixe et nous entendons que cela se poursuive comme avec tout autre pays ami de Madagascar.
Revue Politique et Parlementaire – La crise environnementale touche fortement Madagascar. Un rapport de l’ONU pointe une famine récente qui serait indissociable du réchauffement climatique. Ce serait même la première fois qu’une telle corrélation est établie à l’échelle de la planète. Comment l’État malgache entend désormais mettre en place des politiques publiques qui participent à l’effort de lutte contre le dérèglement climatique ? Qu’en est-il aussi du sujet des déchets plastiques dont la prolifération est un des maux endémiques menaçant les écosystèmes océaniques ?
Patrick Rajoelina – La lutte contre les effets du réchauffement climatique, créée notamment par les activités industrielles des pays de l’hémisphère Nord, est une des grandes priorités du Président Andry Rajoelina.
La partie méridionale de Madagascar figure en effet parmi les premières régions du globe à être touchée. Un Plan Émergence Sud a été mis en place dès son élection en 2018 par le Chef de l’État.
En outre, Madagascar a finalisé son Plan national d’adaptation au changement climatique fin 2021. Ce plan se focalise sur les secteurs tels l’agriculture, l’élevage, l’eau, la santé ou la gestion des risques climatiques. Par ailleurs, Madagascar contribue à la solidarité climatique envers les pays émetteurs en signant le Contrat REDD++ mixant reforestation et évitement des émissions de CO2.
S’agissant des déchets plastiques qui jonchent nos océans, Madagascar a concrètement mis en place un certain nombre de mesures règlementaires interdisant la production et l’importation de sacs plastiques en plus de la mise en place de centres de tri et de valorisation des déchets au niveau régional. Des entreprises privées malagasy participent également à cette lutte contre ce fléau des mers. Ce phénomène des plastiques dans nos océans a un fort impact sur certains secteurs de nos économies comme le tourisme et la pêche. Une coopération avec la Commission de l’océan Indien est également en œuvre pour lutter contre la prolifération des plastiques marins dans notre zone indianocéanique.
Revue Politique et Parlementaire – Le Président Rajoelina est candidat à sa succession. Quel bilan tirez-vous de son mandat (est-ce qu’on peut dire « ses » mandats ?) ? Les oppositions jugent que les réformes de fond n’ont pas été mises en place et que l’insécurité s’est accrue.
Patrick Rajoelina – S’agissant de la candidature du Président Andry Rajoelina, il lui appartient à lui, et à lui seul de répondre à votre question. Pour ce qui me concerne, je pense que « le job n’est pas terminé », si vous me permettez cette familiarité empruntée au Président américain Joseph Biden. La tâche est encore immense et je ne vois pas qui d’autre que Andry Rajoelina peut mener ces gigantesques chantiers de l’émergence de Madagascar avec autant de dynamisme, de volonté patriotique et de compassion fraternelle pour les plus fragiles d’entre nous. Diriger, une nation qui compte plus de deux tiers de jeunes de moins de 25 ans et où près de la moitié a moins de 15 ans nécessite de l’expérience, de l’ambition et une connaissance parfaite du pays et de ses habitants. C’est le cas de Andry Rajoelina.
Patrick Rajoelina
Ancien ministre des Affaires étrangères de la République de Madagascar
Propos recueillis par Arnaud Benedetti