
Car si l’on peut commenter à l’envi les épisodes quotidiens d’un théâtre politique tributaire d’un contexte inédit sous la Ve République, faut-il encore prendre conscience des immenses limites du moment auquel nos institutions et ceux chargés d’en assurer le fonctionnement sont exposés.
Tout depuis plusieurs semaines nous ramène en effet à des situations que la France par le passé a déjà connues, quand soumise à la nécessité de se réformer elle se laissait aller à une entropie progressivement paralysante.
Dans les années 1930, comme dans les années 1950, le pays ne manquait pas de dirigeants de valeur, expérimentés, éprouvés par les chocs parfois terribles de l’histoire. Pour autant rien ne permit à ceux-ci de restaurer les conditions d’un sursaut national. L’effondrement institutionnel fut à chaque reprise la réponse historique à l’épreuve des événements. Néanmoins comparaison n’est pas forcément raison, et si l’histoire est porteuse tant de répétitions que d’enseignements, elle ne solde pas toujours notre explication du présent, quand bien même en fournit-elle quelques clefs d’élucidations. Si différence il y a avec les époques de dégradation institutionnelle que la nation a pu traverser sous des républiques antérieures, ce n’est pas en raison d’un vice originel du régime mais plutôt de la corrosion de celui-ci sous l’effet de l’affaiblissement du volontarisme politique. Ce qui de facto rend plus complexe, et qui sait plus préoccupant encore, le processus de décomposition qui opère dans les champs d’une république de plus en plus fragilisée et fragilisante.
Depuis trop longtemps nos élites se sont réfugiées dans cette idée d’une inéluctabilité du mouvement du monde qu’elles devaient rationnellement accompagner plutôt que d’en évaluer les risques pour mieux les contenir, et les dépasser.
Le globalisme est devenu le linceul tout à la fois de la Nation, de la République et également et peut-être plus grave encore de la démocratie. Il faudra bien plus qu’une habileté indéniable d’un homme d’expérience et de bonne volonté pour redresser une France grevée par la dette, l’inquiétude existentielle de sa cohésion, l’essoufflement de son système productif, l’affaiblissement de son rang dans le monde. Il lui faudrait sans doute un changement radical d’orientations, un changement que l’enlisement de l’instant ne permet pas à brève échéance d’entrevoir et d’entrouvrir. Tout au plus en sommes-nous réduits à écoper une avarie… Ainsi, pèse sur le pays une difficulté structurelle née du résultat des dernières législatives dont se posera la question inévitablement de l’indispensable dénouement. Trois années avec un tel noeud gordien, est-ce possible ?
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université