Une semaine après les propos polémiques du chef de l’Etat au sujet d’Israël : « On ne défend pas une civilisation en semant la barbarie », la présence de Yassine Belattar dans la délégation française au Maroc interroge. Les propos et les actes d’Emmanuel Macron trahissent un défaut de culture stratégique et diplomatique dommageable pour la France, et pour les Français en proie désormais à un sentiment de malaise, si ce n’est de honte. Comment Emmanuel Macron, le héraut pseudo-machiavélien de la « bourgeoisie anywhere » est-il devenu en quelques années l’incarnation d’une imposture politique inédite, génératrice d’un continuel malaise diplomatique ? Explications.
Lorsqu’Emmanuel Macron a été élu en 2017, et que les média mainstream vantaient à qui mieux mieux les mérites du « président philosophe » disciple de Paul Ricoeur (alors qu’il avait confessé lui-même dans son pamphlet électoral, Révolution (p. 25), n’en avoir jamais lu une ligne), du « Mozart de la finance », certains allant même jusqu’à fantasmer un Emmanuel Macron essayiste, spécialiste de Machiavel, les quelques-uns – dont l’auteur de ces lignes – qui dénonçaient déjà la supercherie intellectuelle, la construction médiatique fantasmagorique, n’étaient pas nombreux. Je me souviens assez précisément avoir à plusieurs reprises sur un plateau, en off, dénoncé l’imposture politique et intellectuelle que constituait Emmanuel Macron. A chaque fois : arguments balayés d’un revers de main ! La plupart des commentateurs, journalistes, responsables politiques, refusaient d’y croire à cette époque ; ou plutôt, ils s’accrochaient férocement à ce mythe d’un « Kennedy à la française » porteur d’un projet de « nouveau monde » pour le pays. Il faut dire que l’affiche était belle !
Certains évoquent aujourd’hui la nécessité d’une destitution. C’est en 2018 qu’il fallait destituer Emmanuel Macron, juste après sa crise d’hystérie à la maison de l’Amérique latine, lorsqu’il hurlait à qui voulait l’entendre : « Qu’ils viennent me chercher ». En 2018, à l’issue de la commission d’enquête de l’Affaire Benalla, les parlementaires disposaient de suffisamment de matériaux pour enclencher un processus de destitution. Il n’en a rien été. Le « pas de vague » qui a conduit à la mort de Samuel Paty officie également dans l’ensemble de la sphère publique, jusqu’au plus hautes chambres de la République. Un sentiment de malaise et de honte peu à peu s’est installé dans la pensée de ceux qui, après Benalla, après les Gilets Jaunes et la mascarade du Grand débat national, après l’enfermement hystérique collectif du Covid, après l’absence totale de gestion de toutes les questions régaliennes : immigration, sécurité, santé, éducation…, après la révélation du scandale d’Etat McKinsey, ont eu les yeux qui se sont dessillés. Mais à ce moment-là, tout proches que nous étions de l’élection présidentielle 2022, il était déjà trop tard pour fanfaronner : « Je vous l’avais bien dit ! »
C’est la photo d’un président adolescent, débraillé, avachi sur son canapé, et hilare qui a le mieux illustré cette non-campagne 2022. Un président distant qui se moquait éperdument de faire campagne, certain que sa « baraka » suffirait à le faire réélire ; sa baraka et une classe politique aussi pétrie d’idéologie sociale-libérale molle que farcie de références historiques sous-médiocres. Car cette réélection a tenu en un cliché, finalement : « La menace de la peste brune » ; elle ne s’est faite que sur un vocable : « l’extrême droite », qui ont suffi à faire trembler toute la gauche médiatique dont le niveau intellectuel n’excède guère celui de la classe politique avec laquelle elle copine en permanence. Résultat : Réélection de l’imposteur ! Et puis : Pesanteur ; inaction ; sondages en berne ; incident ; chaos. La classique ! Ainsi, de nouveau, à l’été 2023, la France s’embrase et le président de la République, comme toujours, assiste impuissant à la flambée de violence qui secoue le pays et alourdit encore le coût des réparations pour des millions de Français, spectateurs médusés face à des centres-villes entiers livrés à une population sous-éduquée, quasi exclusivement issue de l’immigration, et épisodiquement animée de pulsions destructrices.
C’est à ce moment-là qu’un virage a été pris, c’est-à-dire officiellement pris, publiquement pris. Non pas au plus haut sommet de l’Etat, qui en est bien incapable, mais dans les salles de rédaction. Face à la dérive politique du pays, il n’était plus possible de se taire. C’est Le Point qui a ouvert la charge, en juillet 2023 – un hebdo que l’on peut difficilement qualifier « d’extrémiste ». Mathilde Siraud publie alors un papier, Macron, le reclus de la Lanterne, dans lequel elle fait parler un proche du chef de l’Etat, un de ces membres du « premier cercle » qui ne s’expriment jamais qu’en off : « Il y a désormais un doute sur le fait que le bonhomme soit à la hauteur du job ». Badaboum ! C’est un « fidèle » du chef de l’Etat qui s’exprime ainsi. La mascarade, l’imposture politique, est désormais connue, et reconnue, même par les plus proches. Dans le même numéro du Point, Nicolas Baverez, libéral s’il en est, double électeur de Macron, signera un édito assassin [auquel nous avons consacré un article : Macron, Meloni et le post-populisme : Vers où regarde Nicolas Baverez ?, RPP, 15 mai 2024] Viendront ensuite la déculotée aux européennes, la dissolution ratée, la demi-éternité sans gouvernement, et, in fine, les dérives en matière de comptes public, reléguant dans les poubelles de l’histoire de la communication politique l’étiquette falsifiée : « Mozart de la finance ». Au mois d’octobre 2024, l’éditorialiste de BFMTV business, Marc Fiorentino, qualifiera à l’antenne le Président et l’ancien ministre de l’économie Bruno Le Maire de « Bande de tocards » sous le regard approbateur d’Emmanuel Lechypre. Plus un Français ne doute désormais ; tous ont rallié l’avis de ce proche d’Emmanuel Macron : « le bonhomme n’est pas à la hauteur du job ». L’imposture politique présidentielle est de notoriété publique.
Mais reconnaître l’imposture ne suffit pas à mettre un terme l’imposture. A l’empêcher de nuire. Certes, Emmanuel Macron est désormais privé de majorité, et de gouvernement, isolé à l’Elysée. Mais le cadavre présidentiel bouge encore, fort de ce que la Constitution lui accorde comme prérogatives, notamment géopolitiques. En détériorant, par son incompétence, son inconstance, son absence de ligne diplomatique claire, sa méconnaissance des fondements de la théorie des relations internationales, y compris de la guerre, l’image de la France auprès de tous ses partenaires internationaux, Emmanuel Macron a non seulement ruiné notre capital diplomatique (qu’il s’est également employé à détruire de l’intérieur en s’attaquant aux corps constitués) mais il a parfois mis en danger la nation et les intérêts français, comme lors de ses incompréhensibles dérives guerrières à l’époque où il s’était réveillé un matin désireux d’envoyer des troupes au sol en Ukraine. Le président de la République n’est pas seulement « nul, archi-nul », comme l’avait affirmé Fabien Roussel au micro de France info, il est nocif. Un grand sentiment de malaise s’est aujourd’hui emparé du pays. Chaque fois que le président prend la parole à l’international, c’est toute la France qui tremble, de honte et de peur, quand ce n’est de colère. Il a récidivé à plusieurs reprises ces derniers jours, en réduisant la diplomatie de guerre, domaine sensible s’il en est, à une série d’invectives façon Trump. Ses prises de position publiques accroissent inutilement les tensions avec Israël, sans porter ni solution politique ni perspectives de paix. Dès lors, la démission d’Emmanuel Macron ne relève plus seulement de la problématique institutionnelle ou du questionnement intellectuel, elle devient une nécessité politique vitale.
Frédéric Saint Clair
Politiste, auteur de L’extrême droite expliquée à Marie-Chantal (Editions de la Nouvelle Librairie)
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