On savait que les partisans de Donald Trump évoluaient dans une idéologie néoconservatrice évangéliste d’extrême-droite. Ce que l’on ne savait pas est qu’une fois arrivés au pouvoir, les proches de Donald Trump, sans craindre de confondre leur rôle de membres officiels de l’administration républicaine exerçant des responsabilités gouvernementales et leurs idéologies, se permettraient de prêcher leur vision réactionnaire lors d’interventions publiques.
L’engagement d’Elon Musk en faveur de l’extrême-droite allemande
Ceci est arrivé en premier lieu avec le milliardaire Elon Musk fondateur patron de X, producteur des voitures de marque Tesla et fondateur de SpaceX. Ignorant ou feignant d’ignorer que ses interventions pourraient interférer dans un processus électoral en Europe, il s’est clairement prononcé, en vue des élections législatives du 23 février 2025 en Allemagne, lors de ses interventions publiques puis sur son réseau social X, en faveur du parti d’extrême-droite AfD, en écrivant que « seule l’AfD peut sauver l’Allemagne » (sous-entendu du wokisme et de l’immigration de masse).
En pratiquant ainsi, il a fait fi de la culture de ce pays, du fonctionnement de ses institutions ou encore de la nécessaire obligation de réserve d’un représentant officiel des États-Unis s’agissant de la politique interne d’un État membre de l’Union européenne.
Le premier déplacement du vice-président américain J.D Vance à Paris
En deuxième lieu, le vice-président américain J.D Vance a engagé une démarche similaire à l’occasion de son premier déplacement en Europe. Lors de son passage à Paris, le vice-président s’est comporté d’une façon pour le moins désobligeante et mal élevée. Dans son discours au sommet de l’intelligence artificielle (IA) au Grand Palais, celui-ci a asséné ses a priori idéologiques et priorités politiques en la matière, à savoir la liberté totale de parole qui ne saurait être entravée par une réglementation excessive de nature selon lui, à nuire à la liberté d’expression. Il a, contrairement aux usages, quitté prématurément la salle de conférence et n’a pas eu la politesse d’assister au discours de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Il n’a pas non plus assisté à la totalité du dîner de l’Elysée afin de ne pas avoir à rencontrer le représentant de la Chine. Il a ainsi affiché un profond mépris vis-à-vis de la France.
La diatribe anti-européenne de Munich
Pis, il a persisté lors de son déplacement à Munich vendredi 15 février pour la conférence sur la sécurité en Europe. Les dirigeants et diplomates espéraient qu’il se positionnerait clairement sur la question de la guerre en Ukraine ainsi que sur les propositions du président Donald Trump qui venait lui-même, quelques jours plus tôt, d’avoir un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine afin de trouver une issue à cette guerre.
Non seulement cela ne s’est pas produit, mais il n’a pas une seule fois évoqué la question de l’Ukraine et le rôle que pourrait jouer l’Europe.
Ce n’était évidemment plus un sujet puisque le lendemain, l’envoyé spécial de Donald Trump pour l’Ukraine Keith Kellogg, faisait savoir que l’Europe ne serait pas en tant que telle partie prenante d’un accord de cessez-le-feu ou de paix.
Des « fake news » à volonté
Le vice-président s’est lancé dans un discours que l’on peut sans conteste, qualifier de diatribe anti-européenne mâtinée encore une fois d’un grand mépris. Il s’en est pris d’emblée aux pays européens comme des États violant la liberté d’expression. Pour faire sa « démonstration », il a multiplié les « fake news » (fausses informations). Alors que le Royaume-Uni est traditionnellement un allié indéfectible des États-Unis (le premier ministre Keir Starmer venait ainsi à Paris de refuser de signer le communiqué commun publié à l’issue de la conférence sur l’AI à l’instar des États-Unis), le vice-président s’en est pris à ce pays en l’accusant d’avoir enfermé et condamné un manifestant qui était censé prier contre l’avortement à l’extérieur d’une clinique où les femmes venaient pour pratiquer cette intervention.
En réalité, les autorités britanniques ont fait voter une loi destinée à protéger les femmes venant se faire avorter de tout harcèlement des militants pro-vie, proches de l’extrême-droite et soutenus par les évangélistes américains.
Cette réglementation, décidée au mois d’octobre 2024, a instauré une zone tampon de 150 mètres afin d’empêcher ces militants de harceler ces femmes et de les culpabiliser. L’un d’entre eux avait refusé de respecter la loi et après presque deux heures de pourparlers avec la police, avait été interpellé et mis en garde à vue. Il avait en outre écopé d’une amende. Proche des militants anti-avortement, le vice-président Vance a ainsi instrumentalisé cet épisode en falsifiant la réalité pour affirmer qu’il n’existait plus de liberté de manifestation au Royaume-Uni. Puis, continuant sa diatribe il a visé les autorités européennes, les « commissaires » qui, par une réglementation excessive, violaient la liberté d’expression. Il s’en est pris, sans le citer, à l’ancien commissaire européen Thierry Breton qui avait, avec la commission, porté la réglementation européenne sur les services numériques afin d’instaurer des règles pour éviter les dérives des grandes plateformes et des réseaux sociaux.
Ce faisant, faignant d’ignorer la différence et en tout cas en méconnaissance totale du fonctionnement des institutions et de la culture européenne, il a opéré une confusion entre la liberté de parole et l’interdiction de proférer des messages de haine sur les réseaux sociaux comme cela est possible aux États-Unis où règle une liberté absolue sur le contenu des messages. Il a osé comparer les États européens à des vestiges de l’ancienne dictature soviétique, ne craignant pas le ridicule.
La Commission européenne et l’annulation des élections présidentielles en Roumanie
Il a aussi accusé la Commission européenne d’avoir annulé les élections présidentielles en Roumanie qui avaient été remportées par un candidat pro-russe d’extrême-droite le 24 novembre 2024. Or la Commission européenne n’a jamais eu un tel pouvoir, ce que devait de nouveau rappeler l’ancien commissaire Thierry Breton sur son réseau social X. Cette élection a été annulée par la Cour constitutionnelle roumaine le 6 décembre 2024, elle-même organe juridictionnel indépendant, ce qui montre que la Roumanie est une réelle démocratie contrairement à ce que pense à tort J.D Vance. La Cour constitutionnelle a ordonné la tenue d’un nouveau scrutin après des ingérences russes sur le réseau social Tik-Tok propriété des chinois ayant eu une influence sur le résultat du scrutin. Il s’agit là d’une des plus extraordinaires « fake news » de son intervention.
Au final, il a dénoncé l’immigration massive en Europe en rappelant le drame qui avait eu lieu la veille de la conférence où un débouté du droit d’asile afghan avait foncé avec sa voiture bélier dans la foule de manifestants faisant vingt-huit blessés, une petite fille et sa mère étant décédées deux jours plus tard de leurs blessures. Il a appelé les électeurs allemands à voter pour la dirigeante d’extrême-droite Alice Weidel qu’il a rencontré pendant une demi-heure à l’issue de son discours. Il également refusé de s’entretenir avec le chancelier Olaf Scholz, arguant qu’il ne serait plus chancelier dans quelques semaines.
La tentative de réponse de l’Europe
L’assistance, sonnée par cette intervention à laquelle personne ne s’attendait, n’a pas immédiatement réagi. Des applaudissements épars ont été entendus… Mais les chefs de délégation ont manqué une occasion de se faire respecter. Si les chefs d’État et de gouvernement avaient été lucides, ils auraient dû, au vu de la tenue des propos tenus par l’intéressé, quitter immédiatement la salle de conférence, J.D Vance ayant lui procédé de la même manière à Paris. Le dialogue transatlantique ne peut passer que par le respect de ses alliés et l’Europe doit montrer à Donald Trump qu’elle ne laissera pas traitée de la sorte.
Sortis de leur stupeur, les États européens ont fini par réagir.
Après la confirmation que l’Europe ne serait pas conviée aux négociations de paix engagées directement entre les États-Unis et la Russie prévus dans la semaine du 17 février 2025 en Arabie-Saoudite, le président français a ainsi convoqué pour lundi 17 février, un sommet d’urgence à Paris avec notamment le Royaume-Uni et le secrétaire général de l’OTAN, afin d’affirmer le rôle central de l’Europe dans un éventuel accord de paix pour l’Ukraine. Il sera intéressant de prendre connaissance de la position du premier ministre britannique qui, la même semaine, se rend en visite à la Maison-Blanche pour y rencontrer Donald Trump. Défendra-t-il l’Europe ou se rangera-t-il une fois de plus sans états d’âme derrière les États-Unis ?
Avec cette animosité déclarée de la nouvelle administration républicaine, l’Europe doit ainsi faire face à l’un de ses défis les plus importants depuis la fin de la guerre froide.
Patrick Martin-Genier
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