La politique protectionniste de Trump a créé une tempête commerciale mondiale, avec notamment des droits de douane de 25% sur l’acier et l’aluminium importés de plusieurs pays, y compris de l’Union européenne. Cette guerre commerciale risque de plonger le monde dans une démondialisation, dont les conséquences seront néfastes pour les économies ouvertes, à commencer par celle des États-Unis.
Une guerre commerciale 2.0
La guerre commerciale initiée par Trump s’inscrit dans la même philosophie que celle initiée pendant son premier mandat mais pas uniquement. Cette nouvelle guerre commerciale ne poursuit pas le même objectif que la précédente. La première vise la résorption du déficit commercial vis-à-vis de la Chine considérant que celle-ci lui menait une concurrence déloyale. En 2016, près de 70% des 500 milliards de dollars du déficit commercial américain est lié à la Chine, contre « que » 50% des 625 milliards de dollars du déficit en 2020. Or, la seconde guerre commerciale poursuit deux objectifs supplémentaires : réduire le déficit commercial au global car celui-ci a explosé depuis la crise sanitaire atteignant près de 920 milliards de dollars en décembre 2024, soit près du double de 2016, d’où la promesse d’élargir cette approche à tous ses partenaires commerciaux, y compris l’Union européenne et le Canada ; mais aussi d’obtenir des gains géopolitiques en utilisant les droits de douane comme outil de pression diplomatique.
La seconde guerre commerciale sera encore plus dure cette fois-ci. Contrairement à la précédente guerre commerciale, Donald Trump a anticipé les mesures de rétorsion de la Chine et des autres pays. Par exemple, la Chine a imposé des taxes douanières de 25% sur 659 types de produits américains, incluant le soja et les produits de la mer. D’autres pays, comme le Canada et les pays de l’Union européenne, ont également pris des mesures similaires pour protéger leurs acteurs économiques. Cependant, Donald Trump a anticipé ces réactions et continue de maintenir une position ferme, en se gardant des marges de manœuvre pour aller plus loin. Grâce à la réduction des dépenses publiques américaines du DOGE, il cherchera à provoquer un choc de fiscalité en allégeant massivement d’une part l’impôt sur les revenus pour soutenir le pouvoir d’achat des Américains face à une éventuelle inflation, et d’autre part l’impôt sur les sociétés pour attirer les entreprises du monde entier en transformant les États-Unis en paradis fiscal. Cette escalade risque de nuire à l’économie mondiale en réduisant les échanges commerciaux.
Une guerre commerciale dans un monde sans règles
La politique commerciale agressive de Donald Trump est rendue possible car l’OMC est en état de « mort cérébrale ». Le pilier du commerce multilatéral depuis sa création en 1995 est actuellement paralysé. En bloquant systématiquement le renouvellement des juges de l’Organe d’appel depuis 2019, Trump a paralysé le système de règlement des différends de l’OMC. Historiquement, dès qu’un pays se considérait lésé par une concurrence déloyale selon les règles de l’OMC, il pouvait porter plainte. Alors que les Etats-Unis ont largement utilisé ce mécanisme, déposant le plus grand nombre de plaintes, avec 635 différends depuis 1995, ils privilégient désormais des actions unilatérales pour défendre leurs intérêts commerciaux et industriels.
L’approche du commerce n’est plus multilatérale mais bilatérale. Or, une fois de plus, l’Europe est à contre-courant en continuant sur la voie des accords commerciaux multilatéraux. Alors que les États-Unis privilégient des accords bilatéraux pour renforcer leur position commerciale, l’Union européenne continue de promouvoir des accords multilatéraux. L’UE a récemment conclu des accords commerciaux avec le Japon et le Mercosur, montrant ainsi son engagement envers un système commercial multilatéral. Cet attachement au « monde d’avant » montre que l’Europe reste prisonnière de ses vieilles lunes considérant encore que l’on peut maintenir un système commercial équitable et ouvert.
Vers une démondialisation
La croissance économique n’est plus nécessairement corrélée au commerce mondial. Auparavant, les échanges commerciaux mondiaux progressaient beaucoup plus vite que la croissance économique. Depuis 1980, le volume des échanges mondiaux a été multiplié par 7,9 alors que la croissance mondiale l’a été par 4,2, c’est-à-dire que l’humanité s’échangeait plus de biens qu’elle n’en produisait, puisque les chaînes de production ont été éclatées à travers le monde. Par exemple, un jean peut traverser 6 à 7 pays lors de sa production avant d’atterrir chez son consommateur final. Cependant, depuis la première guerre commerciale et a fortiori lors de la crise sanitaire, ce lien n’est plus aussi évident : en 2023, le commerce mondial a même diminué de 1,2%. Ainsi, cette nouvelle guerre commerciale intervient dans ce contexte de démondialisation, à savoir une tendance vers une économie plus locale ou régionale alimentée par les politiques protectionnistes et les incertitudes économiques mondiales.
La démondialisation aura des conséquences néfastes sur l’économie américaine. En effet, l’économie américaine reste très ouverte sur le monde avec un taux d’ouverture (poids du commerce international dans le PIB) de près de 25%, soit près de 10 points de plus par rapport à il y a 40 ans en 1985 selon Perspectives mondes de l’Université Sherbook. Or, plus une économie est ouverte sur le monde, plus elle est vulnérable au ralentissement du commerce international. Cela pourrait donc balayer la promesse de Trump de « Product American, Buy American, Hire American ». « Product Amercican », car de nombreux secteurs américains sont dépendants des importations pour fonctionner efficacement comme l’automobile qui utilise des composants importés pour assembler les véhicules. « Buy American », puisque la démondialisation pourrait, en plus de générer de l’inflation, réduire la variété des produits disponibles sur le marché américain. Enfin, « Hire American », étant donné que la réduction des échanges commerciaux pourrait entraîner une perte d’emplois dans les secteurs qui dépendent fortement des exportations.
Clément Perrin
Directeur des Etudes du Millénaire et auteur du rapport « L’Europe face à la Guerre commerciale 2.0 »