Tout se brouille au point d’inverser tous les repères. L’Occident n’est plus homogène à l’épreuve du monde, depuis que Donald Trump a été réélu, si tant est qu’il le fut auparavant. L’Ukraine comme la concurrence commerciale ont explicité cette nouvelle donne. Mais il serait illusoire de penser que cette irruption de la conflictualité assumée à l’échelle planétaire est le fruit inattendu du surgissement de personnalités aussi brutales que charismatiques, telles que Poutine, Xi Jinping, Erdogan ou le Président américain. Tout se déroule comme si nous n’avions pas vu qu’une phase était en passe de se clore. Le monde après 1989 – la chute du mur, et l’effondrement du bloc soviétique – avait paru installé un cycle où paix, prospérité et pourquoi pas démocratie allaient inéluctablement, à un rythme plus ou moins accéléré selon les aires géographiques, gagner comme par ondes successives toutes les nations et les civilisations.
Force est de constater que l’irénisme post-guerre froide est derrière nous. Il s’est construit sur notre naïveté, notre oubli des mécanismes fondamentaux de l’histoire des peuples, sur une certaine arrogance aussi des Occidentaux qui enivrés de la chute de ceux qui voulaient les abattre ont confondu celle-ci avec le triomphe de leur modèle dont ils ont pensé alors qu’il était en quelque sorte devenu messianique. Grave erreur, que dire grave et impardonnable faute de lecture que celle-ci dont nous payons aujourd’hui les conséquences. On a omis que l’histoire était tissée de la chair des cultures et non de l’abstraction des théories et des idéologies. C’était pourtant là la principale et même exclusive leçon de la fin du communisme, né de la relative rationalité occidentale et européenne. Aucun modèle ne saurait se substituer, et à fortiori se dupliquer, à l’irréfragable pulsation des cultures et des civilisations. Sous le soviétisme, la vieille Russie continuait à palpiter comme continuait à sourdre la vieille Europe centrale et orientale.
Les Occidentaux redécouvrent ainsi l’histoire pour le pire mais espérons-le aussi pour le meilleur, sous réserve qu’ils comprennent deux ou trois choses élémentaires du temps qui commence. Nous sommes tout d’abord entrés dans le post-mondialisme, ce qui ne signifie pas la démondialisation car le monde est structurellement mondialisé par sa nécessaire et inévitable interdépendance. Ce constat nous oblige à repenser l’international dans le respect des collectifs que sont les nations et les grandes régions civilisationnelles où tout ne se mélange pas pour se standardiser mais où tout doit cohabiter dans le respect des singularités des uns et des autres, de leurs intérêts et de leurs héritages. La mondialisation irénique a produit du désordre parce qu’elle s’est confondue avec un excès d’assurance, celle des Occidentaux qui auront pour la circonstance cédé à une propension certaine à l’hubris. Les Russes nous l’auront rappelé avec violence, les Africains nous le disent aussi, les Chinois nous le démontrent tous les jours par leur volonté de puissance, les Asiatiques dans leur ensemble par leur dynamisme tout à la fois économique et culturel.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université