Les incidents se multiplient à l’Assemblée nationale et font les délices des réseaux sociaux. Cette semaine, l’image forte est celle de collaborateurs de députés brandissant des drapeaux de la CGT face à des journalistes du média d’extrême droite Frontières eux-mêmes en train de filmer les manifestants qui les prennent à partie. La parfaite démonstration d’un système qui s’autoalimente au détriment du travail parlementaire.
La première étape de cette évolution peut être datée de 2017, lors de la séance des Questions au gouvernement retransmises en direct à la télévision, lorsque Jean-Luc Mélenchon dispose sur son pupitre un paquet de pâtes, de la sauce tomate, une boîte de conserve et un sachet de pain de mie pour illustrer le propos de son collègue Alexis Corbière. Le député LFI déplore la baisse des APL. L’image fait aussitôt le tour des médias et est moulte fois reprise sur les réseaux sociaux. Alors que Jean-Louis Debré avait eu recours à des brouilleurs pour décourager l’usage des téléphones portables en séance, le smartphone y est désormais un accessoire de communication obligé. Les députés prennent des selfies destinés à illustrer leurs prises de position. Certains s’équipent même de micros-cravates pour mieux commenter à chaud et en plein débat le reportage dont ils font l’objet.
Petit à petit, l’hémicycle, ses sièges de velours rouge, ses colonnes, ses dorures et ses orateurs deviennent un simple décor pour des vidéos d’autant plus spectaculaires qu’elles rompent avec la solennité du lieu. Des drapeaux étrangers ou des banderoles y sont brandis, le chant des Gilets jaunes y est entonné, les invectives fusent, des contacts physiques sont évités de justesse par les huissiers. Le tout abondamment relayé sur les réseaux sociaux. A voir ces images, l’Assemblée est moins un lieu de débats que d’émois. Ces coups de sang ont toujours existé, la différence, c’est que plus personne ne s’en excuse une fois l’émotion retombée. La transgression est revendiquée. La raison fait place à l’émotion.
L’incident qui a eu lieu cette semaine a franchi une autre limite. Il ne concerne pas directement des députés mais des journalistes engagés et des collaborateurs de députés. Tout à son combat contre l’extrême gauche, le média Frontières – ex Livre noir proche d’Éric Zemmour – a mis en cause l’engagement des collaborateurs du groupe LFI. Lesquels ont répondu par une manifestation dans l’enceinte même de l’Assemblée, face aux représentants du média aux cris de « Frontières, casse-toi ! l’Assemblée n’est pas à toi ! ». Chacun filmant avec indignation son vis-à-vis, et vice versa. Le public, qui n’a pas accès à ces lieux n’en saura rien. Sans les smartphones et les images relayées sur les réseaux sociaux, l’incident serait resté cantonné aux intéressés, seuls autorisés à accéder à ces lieux, originellement pour rendre compte du travail des députés ou les y assister. Désormais, l’actualité parlementaire peut exister sans même que les députés y prennent part. Un petit pas supplémentaire vers la décrédibilisation du système politique.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste