Les Français doutent de tout sauf des entreprises. Cette confiance accrue envers le secteur privé ouvre une opportunité unique pour l’État de réduire ses dépenses publiques tout en stimulant l’économie.
Dans un contexte économique, financier, politique, géopolitique difficile et incertain qui aggrave l’impuissance de l’État, les Français font de moins en moins confiance aux politiques et de plus en plus confiance aux chefs d’entreprise. L’État pourrait lui aussi s’en inspirer.
Désamour politique, amour entreprise
En France, l’entreprise a de plus en plus la cote. « Dans un contexte de défiance vis-à-vis des institutions politiques, l’entreprise s’impose comme une institution refuge, perçue à la fois comme un lieu de protection, d’utilité sociale et de pouvoir concret« , résume Cluster 17 dans sa récente étude « L’entreprise, une institution refuge dans un climat de défiance et d’instabilité ? »[1].
Ainsi l’entreprise est-elle la 4e institution ou organisation à laquelle les Français font confiance, après l’armée, la police et l’hôpital public, mais devant l’école, les associations, la justice, les syndicats, les médias et les partis politiques. Parmi ces entreprises, ce sont les TPE et les PME qui inspirent le plus confiance. A part une partie de la gauche (LFI, PCF, CGT…) qui n’a toujours pas fait sa révolution culturelle et abhorre les patrons, les Français croient dans les entreprises pour être les forces motrices des transitions et des progrès économiques, sociétaux et environnementaux – emploi, pouvoir d’achat, écologie, lutte contre les discriminations, etc. Une majorité d’entre eux considère d’ailleurs que les patrons doivent participer utilement au débat public. Ils font confiance aux chefs d’entreprise pour jouer un rôle de plus en plus politique, au-delà de la seule RSE, en lieu et place des responsables politiques perçus comme impuissants.
L’État doit oser la confiance patronale
Il est vrai que nombre de grands patrons, « les visiteurs du soir », préfèrent influencer discrètement en coulisse, échaudés de surcroît par certains précédents. Mais d’aucuns comprennent que s’ouvre une fenêtre d’opportunité politique pour faire (pré)valoir leurs positions sur la fiscalité et certaines normes ou pour alerter sur les dangers des programmes économiques des candidats à une élection présidentielle. Et si le temps était par conséquent venu pour l’État de faire lui aussi davantage confiance aux patrons ? Bien sûr, la France n’est pas une entreprise. Il ne s’agit pas ici de nier la différence de nature entre décision-gestion publique et décision-gestion privée. Et si la politique pro-entreprise engagée depuis 2017 marque désormais le pas, rien n’interdit à l’État de faire davantage confiance aux entrepreneurs pour leur permettre de contribuer à la conduite de certaines actions jusqu’alors publiques, par exemple pour réduire l’ampleur du déficit public.
Face à l’escalade continue préoccupante des crises, des déficits publics et à l’immobilisme collectif pusillanime des responsables politiques, l’État doit, au cas par cas, privatiser ou à tout le moins déléguer certaines missions non régaliennes de service public aux collectivités locales et aux opérateurs économiques, tout en maintenant une évaluation rigoureuse. En déléguant certaines missions aux entreprises, l’État peut stimuler la création d’emplois, dynamiser l’économie de proximité, limiter les déserts économiques et revitaliser les zones industrielles. Cette approche renforcerait aussi l’autonomie stratégique de la France, en rendant le pays moins dépendant des grandes puissances étrangères. Les entreprises sont prêtes à jouer ce rôle : à l’État maintenant de « lâcher prise » !
Des chocs de délégation pour changer la donne
Dispersé et surendetté, l’État seul ne peut être efficient. Rapprocher les services publics des usagers et améliorer leur qualité sont la priorité de la plupart des territoires. En dépit de la baisse continue de leur dotation globale de fonctionnement, certaines Régions ont démontré qu’il est possible de réduire la dépense publique tout en maintenant la qualité du service public rendu sans augmenter les impôts ou la dette. A condition d’avoir le courage de trancher dans le vif ! La Région des Pays de la Loire et la Région Île-de-France ont su le faire. La Région capitale a par exemple lancé en 2023 un appel à délégation de service public et saisi l’État pour « un choc de décentralisation en Île-de-France » en lui demandant de lui transférer 45 compétences nouvelles pour mieux répondre aux besoins des habitants de son territoire.
Bien sûr, le combat pour la « République de la confiance » que j’appelle de mes vœux est loin d’être gagné. Mais nous, les entrepreneurs, savons que le souhaitable est possible. Et la situation financière du pays rend urgente la mise en œuvre de ce souhaitable.
Bernard Cohen-Haddad
Source : HJBC / Shutterstock.com
[1] https://cluster17.com/etude-pour-the-arkane-et-la-fondation-jean-jaures-lentreprise-une-institution-refuge-dans-un-climat-de-defiance-et-dinstabilite/