L’observation du déroulement de plusieurs commissions d’enquête récentes rend cette question moins provocatrice qu’elle en a l’air. Entre tribunal politique ou speed dating médiatique, certaines auditions accentuent la perte de crédit que subissent les acteurs politiques au sein de l’opinion.
La scène se passe à l’Assemblée nationale devant un parterre de journalistes réunis pour une conférence de presse qui vient de se terminer. Mais l’orateur député revient précipitamment au micro : « J’ai oublié de vous dire ! On a des auditions tout à l’heure, venez ! Ce sera intéressant ! » tente-t-il d’allécher les journalistes en lançant avec gourmandise le nom d’une personnalité très connue.
Ainsi va la vie des députés, cherchant à attirer les caméras par vedette interposée. Car pour booster une notoriété, rien ne vaut une courte vidéo qui devient virale. Et à ce jeu, les commissions d’enquête constituent un cadre parfait.
Le député questionneur siège en majesté face à une personnalité auditionnée selon des codes inhabituels. La hiérarchie s’inverse. Chef de gouvernement, ministre, grand patron, star de la télé ou des réseaux sociaux, leur position ressemble à celle d’un écolier face à son maitre.
L’enjeu pour le député interrogateur est alors de se montrer sous son meilleur jour, c’est-à-dire en justicier faisant plier le genou à son adversaire honni par ses supporters. La diffusion de la vidéo gratifiante sur les réseaux sociaux justifie alors son mandat auprès de ses électeurs. C’est facile, rapide et efficace.
A tel point que certains auditionnés refusent de remplir ce rôle de faire valoir. Vieux routard de la politique, François Bayrou a su comment déstabiliser son procureur. L’entrepreneur milliardaire Pierre-Edouard Stérin, convoqué par les députés pour exposer ses intentions politiques, a refusé l’un des éléments de cet exercice racinien en brisant l’unité de lieu au profit d’une audition en visio. Il ne l’a pas obtenue. Mais les influenceurs entendus par une autre commission ont pu recourir à ce procédé. Ils ont ainsi privé le député interrogateur de sa prééminence. L’un d’eux allant jusqu’à lui raccrocher au nez.
La notoriété des députés qui mènent ces auditions est assurée sur les réseaux sociaux, mais est-ce ainsi qu’ils retrouveront grâce aux yeux des abstentionnistes ? En quoi cette notoriété fait-elle avancer les choses ? Le propre d’une vidéo virale est d’être oubliée aussi vite qu’elle a passionné.
Le rôle des commissions parlementaires est pourtant important. Il peut même conduire à du consensus y compris dans le marasme politique actuel. Ainsi la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic conduite au Sénat par le socialiste Jérôme Durain et le LR Etienne Blanc est à l’origine de la loi narcotrafic récemment adoptée de façon quasi consensuelle (396 voix contre 68 à l’Assemblée, unanimité sauf abstention au Sénat). Il est vrai que ce texte d’origine sénatoriale a pu être défendu par le sénateur Retailleau devenu ministre de l’Intérieur. L’efficacité du processus réside sans doute dans la chronologie, le sérieux et la cohérence de la démarche. La chronologie car l’état des lieux a précédé la loi. Le sérieux car les travaux et les auditions l’ont été et ont permis une prise de conscience de l’opinion. La cohérence car les préconisations des sénateurs ont permis des débats sur le fond au cours desquels des approches politiques différentes ont pu s’exprimer.
En revanche, comment expliquer la déconnexion entre la commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de Tiktok sur les mineurs et le débat de société actuel sur l’interdiction des écrans aux moins de quinze ans ?
Quel chemin suivront les prochaines commissions d’enquête ? Serviront-elles uniquement de prétexte à une confrontation politique en forme de coup médiatique ou plutôt à un travail de fond préparatoire à des actions politiques ? La dernière-née sur les liens entre partis politiques et réseaux islamistes attire déjà les projecteurs, tant elle est motivée par la mise en accusation de LFI. Initiée par le LR Laurent Wauquiez qui a besoin de reprendre pied après son échec face à Bruno Retailleau, elle est pour lui l’occasion de choisir entre politique de coups et politique de fond.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste