Vous souvenez-vous de cette scène du film Danse avec les loups ?
Nous sommes en 1863. Le lieutenant nordiste John Dunbar, Kevin Costner est promis à l’amputation par des soignants épuisés qui préfèrent dîner avant de lui couper la jambe. Il remet sa botte, enfourche un cheval au hasard, et, sans logique apparente, part au galop, désarmé, dans un aller‑retour suicidaire à quelques mètres des lignes ennemies. Les balles l’épargnent. Son geste insensé réveille ses compagnons, qui emportent la bataille. Le général, témoin de la scène, prendra cette pulsion de mort pour un acte de bravoure et lui offrira les meilleurs soins. Une tentative de disparition qui, paradoxalement, fonde une légende.
François Bayrou vient, lui aussi, d’enfiler sa botte. Je pressens qu’il court, à l’occasion de la discussion budgétaire à venir, avec grande ostentation, au suicide politique.
En présentant son plan en deux étapes — “dire la vérité pour agir” — pour ramener le déficit à 4,6 % en 2026 et engager 43,8 milliards d’euros d’économies, en refusant les aménagements cosmétiques et les concessions inutiles qui avaient déjà dénaturé le budget 2025, il a déjà pris la décision la plus rare en politique française de sacrifier son gouvernement, de rendre ses fantasmes d’Everest – qui plus est, personne parmi les forces politiques et syndicales n’a apporté, si ce n’est ses proches qui ne forment pas une majorité, son soutien au prochain budget – Non pas par goût du tragique, par calcul politique diraient les uns, par fidélité à une éthique qu’il porte depuis des décennies diraient les autres. En montrant sa tête aux bourreaux de la représentation nationale, il n’implore pas qu’on l’épargne. Il réclame au contraire la mort pour démontrer que personne ne souhaite cesser de faire marcher la France sur une prothèse d’emprunts — près de 50 000 € de dette par Français.
L’année où la République s’apprête à légaliser l’aide active à mourir, Bayrou inaugure la version politique du concept : mourir debout plutôt que gouverner à genoux, préférer la censure à l’abdication, la clarté du sacrifice à l’ombre des accommodements.
Le panache plutôt que la courbe des sondages
Bayrou a toujours aimé Henri IV, son panache blanc, son sens de l’État et des équilibres. Le voici qui, tel l’aristocrate du devoir, choisit d’aller au-devant des feux ennemis. Comme Roland Barthes le père des mythologies l’expliquerait, il ne s’affiche pas pour la gloriole, mais pour se draper dans la hiérarchie des responsabilités. Son message subliminal serait : oui, la vérité budgétaire précède l’action ; non, l’inverse n’a jamais produit que des déficits supplémentaires, des intérêts qui s’empilent, et un renoncement silencieux à la souveraineté.
Qu’on en juge : une dette devenue envahisseur intérieur, un occupant sans visage qui grève notre liberté de choix collectifs, saigne nos marges d’investissement, et finit par dicter l’agenda social ; le conclave des retraites raté en aura été le triste symbole. À ce nouvel ennemi, dont il nous dit en sous-titres qu’il est soutenu par des forces intérieures de collaboration, une cinquième colonne au sein même de l’Assemblée nationale, Bayrou veut montrer qu’il oppose le seul geste cohérent : l’ultimatum moral. Il préfère tomber en révélant l’indignité d’un système politique incapable de rigueur, que durer en entretenant l’illusion du “quoi qu’il en coûte” perpétuel.
Dire, puis faire, son ordre des choses
Ce scénario, on le connaît : Pierre Mendès France l’avait écrit avant lui. La pédagogie de la vérité, l’acceptation de la brièveté du pouvoir contre la longueur de la mémoire. Mendès n’a pas conquis l’Élysée ; il a, mieux que cela, conquis la postérité. Bayrou, qui le sait, vise ce champ-là. Il ne rêve plus d’être président : il ambitionne d’être un repère. Dans les manuels de demain, il veut figurer non comme le déçu de Pau, mais comme un résistant à l’envahisseur du surendettement. A l’instar d’Alain Duhamel qui un temps confessa qu’il voterait Bayrou, ce dernier souhaite rester un phare dans la nuit, où qu’il soit. Malgré la retraite annoncée, pas d’oisiveté, demeurer une tutelle, un mentor et pourquoi pas un recours.
Le cheval de Dunbar, la blancheur d’Henri IV, et la solitude des prophètes
Il y a, dans la geste de l’élu béarnais, quelque chose de cinématographique. On pourrait se gausser : la politique n’est pas un western, la dette n’est pas la cavalerie confédérée, et la Vertu n’est pas un drapeau blanc flottant au-dessus des châteaux de l’espace gascon, béarnais, basque (ne vexons personne) ; quoique ! Mais le symbole n’est pas que posture. Il est une méthode de gouvernement des âmes. Le panache, chez Henri IV, n’était pas un accessoire : c’était un signe de reconnaissance pour rallier les siens dans la mêlée. Le galop de Dunbar n’est pas une folie : c’est un rappel de courage à une armée tétanisée. Le “suicide politique” de Bayrou que je pressens, n’est pas une coquetterie : c’est une interpellation adressée à une classe politique qui préfère les mensonges des pyramides de Ponzi à la rigueur de la comptabilité nationale.
Et s’il « échappait aux balles » ? S’il avait, par ce sacrifice, apparemment insensé, réveillé une opinion lasse des anesthésies, prête à entendre que l’on ne fait pas Nation avec des déficits, que l’on ne protège pas les plus faibles avec des promesses financées par leurs enfants, que l’on ne gouverne pas contre l’arithmétique ? Le pari est incertain, mais il est noble.
La censure comme absolution
On lui promet la censure ? Très bien. Qu’elle vienne. La politique de la vérité est peut-être minoritaire dans l’Assemblée, mais elle reste majoritaire dans les consciences quand elles sont face au miroir. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, écrivait Jaurès. Osons rêver que cette vérité s’installe dans l’opinion publique, de suicidé l’acteur deviendrait ressuscité ; une icône, un miraculé en quelque sorte.
Et si le gouvernement Bayrou tombe, il aura su mettre en scène, ce qui rata Michel Barnier, sa résignation comme le fit Antigone : sur une question enfin essentielle. Celle de Bayrou interroge : peut-on encore, en 2025, diriger la France sans plan crédible de désendettement ? Peut-on prétendre à la souveraineté stratégique en hypothéquant structurellement nos marges de manœuvre ? Peut-on parler de transmission quand on lègue des dettes plutôt que des institutions solides ? À nous, désormais, de trancher !
Jacky ISABELLO
Fondateur de Cabinet Parlez-moi d’Impact
Source : Antonin Albert / Shutterstock.com