Incité par le président de la République à prendre langue avec le Parti socialiste pour « bâtir des compromis » et élargir le socle commun, le nouveau Premier ministre pourra-t-il aller jusqu’à remettre en cause une partie du bilan du chef de l’Etat ?
« Il va falloir des ruptures sur le fond », a proclamé mercredi le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu, lors de son très bref discours clôturant la passation de pouvoirs à Matignon. Le mot est étonnant, voire amusant, dans la bouche de celui que d’aucuns présentent déjà comme un clone d’Emmanuel Macron… En précisant qu’il allait falloir être « plus sérieux et plus technique », Lecornu a évidemment signifié que le style Bayrou n’était plus de mise, et l’a aussitôt démontré à en juger par sa première prise de parole publique après sa nomination. Mais le nouveau chef du gouvernement a bien mis le mot au pluriel et évoqué le « fond ». Ruptures, donc. Elles sont évidemment nécessaires après un échec aussi cinglant du gouvernement sortant, désavoué par 364 députés, mais lesquelles ?
Compte tenu du changement de stratégie du Rassemblement national, décidé pendant l’été par Marine Le Pen qui réclame une dissolution de l’Assemblée nationale et semble décidé à censurer tout Premier ministre qui ne serait pas issu de ses rangs, Sébastien Lecornu n’a guère d’autre choix que de se tourner vers le Parti socialiste et quelques députés du groupe des indépendants Liot pour obtenir un accord de non-censure. Ce que lui recommande le chef de l’Etat qui estime qu’il n’y a rien à attendre de LFI et du RN.
Malgré la perte en ligne enregistrée par le socle commun, notamment due à la défection de 22 députés des Républicains (13 contre et 9 abstentions), le Premier ministre peut compter sur la participation de LR qui ne cache pas son souhait d’en être. Mais non sans conditions. Lecornu ne peut ignorer les demandes du président LR Bruno Retailleau qui réclame davantage de fermeté en matière d’immigration et de sécurité et met en garde contre toute hausse d’impôt. Au risque de fâcher le Parti socialiste. Premier enjeu donc : arriver à arrimer le PS sans perdre sur sa droite.
Difficulté supplémentaire pour le chef du gouvernement : le PS, réconforté par un récent sondage IFOP-LCI qui lui accorderait 19 % des voix avec ses alliés PC et écolo (sans La France insoumise), en cas d’élections législatives anticipées, ne craint donc plus autant qu’auparavant une éventuelle dissolution. Il est bien décidé à faire monter les enchères, malgré ses discours apaisants et sa prudence sur une éventuelle censure.
Réduire les économies de 40 à 30 milliards ? Remettre le chantier de la prise en compte de la pénibilité dans le calcul des pensions de retraite ? Mettre à contribution les 1 800 hyper-riches ? Taxer le capital plutôt que le travail ? Engager un plan de relance comme le demande le PS ? Bref, affronter le patronat et le monde économique, tourner le dos à la politique de l’offre, chère au président de la République depuis 2017, et, au fond, détricoter en partie son bilan ? En clair, une rupture avec le macronisme ! Audacieux pour le plus proche et le plus fidèle des macronistes…
La question est donc désormais celle-ci : Macon est-il prêt à une vraie rupture avec lui-même ?
Carole Barjon
Editorialiste