Alors qu’Emmanuel Macron se tient officiellement à distance des négociations, depuis sa nomination, Sébastien Lecornu temporise sans se dévoiler. Cette volonté commune de gagner du temps éloigne la possibilité d’un compromis autour du budget.
Pour une fois, Emmanuel Macron avait rapidement nommé un nouveau Premier ministre. Mais depuis, le couple exécutif a relâché l’accélérateur. Au point de laisser croître des radicalités irréconciliables.
Emmanuel Macron en a fait une règle politique très personnelle. Sous prétexte de ne pas agir sous la pression, il retarde exagérément sa décision. Et quand il est contraint d’accélérer, il freine aussitôt.
Alors qu’il s’était montré prompt à réagir à l’échec des européennes par la dissolution de l’Assemblée nationale, le président de la République a attendu la fin des JO et sept semaines de gouvernement démissionnaire pour remplacer Gabriel Attal. Quand Michel Barnier est renversé, Emmanuel Macron mène lui-même les rencontres avec les représentants des groupes parlementaires ; François Bayrou est nommé dix jours plus tard. Sébastien Lecornu, lui, s’installe très vite à Matignon, mais ne se précipite pas pour former son gouvernement. Il rencontre les représentants syndicaux et politiques sans définir ses intentions.
Ce temps d’écoute n’est pas forcément indispensable. La situation financière, sociale et politique est connue. L’évolution de la dette a largement été décrite par François Bayrou. Les syndicats ont clairement exposé leurs revendications. Les marges de manœuvres du Premier ministre pour faire passer son Budget sont définies. Il doit à la fois reprendre les marqueurs de droite, pour ne pas perdre les ministres LR qui deviendraient des opposants virulents, et dans le même temps proposer quelques inflexions séduisantes pour les socialistes. Une gageure. Mais une gageure de plus en plus difficile à soutenir au fur et à mesure que le temps passe.
Car les échecs de ses prédécesseurs pèsent sur les épaules de Sébastien Lecornu. Le RN a montré avec Michel Barnier qu’il était un partenaire de négociation peu fiable. Les socialistes n’ont pas été payés durablement de l’effort de compromis opéré avec François Bayrou. Même le patronat évolue vers une position plus « raide » (selon le mot de Patrick Martin). Alors que l’an dernier le patron du Medef envisageait des efforts, sous conditions, un an et deux censures plus tard, c’est définitivement non à toute hausse d’impôts. Face à l’effort budgétaire que personne ne conteste sur le principe, les classes moyennes renvoient l’effort sur les plus riches, les salarié sur les patrons, lesquels accusent l’État. Les clivages se creusent sur le plan politique mais aussi sociétal.
Même s’il est peu connu, même s’il n’a jamais défrayé la chronique par des postures polémiques, le nouveau Premier ministre porte le passif des gouvernements choisis précédemment par Emmanuel Macron. Sur le perron de Matignon, Sébastien Lecornu a promis des ruptures mais il reprend à son compte la règle macronienne de toujours commencer par gagner du temps sans rien dire.
Qui se tait ne fâche personne. Mais le silence finit toujours par être interprété. Les socialistes soupçonnent le Premier ministre de « refaire du Bayrou ». Ce qui traduit une défiance certaine. Les LR remarquent l’absence de position du chef du gouvernement sur la question de l’immigration.
On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, dit l’adage, mais il en est un autre suivant lequel « quand c’est flou, il y a un loup ».
Marie-Eve Malouines
Editorialiste