Une fois encore, face à des déficits budgétaires abyssaux et à l’incapacité chronique de réformer l’État, la France s’apprête à ressortir sa martingale préférée : créer un nouvel impôt. Ainsi, la taxe Zucman, qui veut instaurer un prélèvement annuel de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (y compris la valeur de leur(s) société(s) pour les chefs d’entreprises), et qui serait censé rapporter 20 milliards. Pour une partie de la gauche, c’est d’abord un message politique : prendre aux plus riches et afficher une victoire symbolique. Dans un pays où beaucoup peinent à finir le mois, la tentation est grande. À quelques mois des municipales, et surtout, à un an et demi des présidentielles, personne ne devrait être dupe. Mais la politique, ce n’est pas l’art de flatter les passions tristes ni les jalousies ; c’est celui de préparer l’avenir et non de désigner des boucs émissaires à la vindicte populaire (à tour de rôle, les riches, les fonctionnaires, les chômeurs, les immigrés, etc.). Et si les hausses d’impôts constituaient la réponse à tous nos maux, depuis le temps et vu le niveau des prélèvement français, cela se saurait. Ce n’est pas avec des mauvaises recettes que l’on fait de la bonne cuisine.
Hélas, depuis quarante ans, le scénario se répète : un problème, une crise ou une idée en vogue surgissent, et aussitôt, on légifère dans l’urgence, on confond vitesse et précipitation, puis on s’étonne de devoir reculer. Combien de pas en avant liés au volontarisme politique et aux fausses bonnes idées ? Et combien de pas en arrière après que la réalité se soit manifestée ?
Les exemples abondent et nos gouvernants devraient encore avoir en tête la mémoire de la séquence « gilets jaunes ». La décision européenne d’interdire le moteur thermique dès 2035, présentée comme une avancée historique, se heurte elle aussi au mur du réel et son entrée en vigueur devrait être retardée de plusieurs années. Entre-temps, la filière automobile européenne aura été durablement désorganisée et les constructeurs chinois auront fait leur entrée en force sur notre Continent. Même schéma avec les ZFE ou le zéro artificialisation nette : annonces spectaculaires, puis marches arrière forcées. Nous voulions de la transition écologique ; nous avons oublié le mot transition.
Le projet de taxe Zucman illustre ce travers national : l’absence quasi totale d’études d’impact sérieuses. Combien de scénarios chiffrés crédibles ? Quelle évaluation des conséquences sur l’investissement, l’emploi, l’attractivité ? Où sont les analyses de risques, les projections de recettes réalistes ?
Le plus troublant est que les rares arguments chiffrés reposent sur Bercy. Mais demander au ministère des Finances si une hausse d’impôt provoque l’exil fiscal, c’est comme demander à un pâtissier si ses gâteaux font grossir. Le législateur élabore ainsi des lois fiscales comme on construirait une maison sans faire les plans. Et quand l’édifice s’effondre, il faut des années, des sommes considérables et des réformes douloureuses pour corriger le tir. Casser va vite, réparer prend du temps et de l’argent. Or, nous n’avons plus ni l’un ni l’autre. Et pas simplement parce que nos caisses sont vides, mais parce que le reste du monde va très vite.
Ces improvisations ne sont pas neutres. Elles affaiblissent la crédibilité de la France, découragent l’investissement productif, alimentent le doute des citoyens et des entreprises. À force de zigzaguer, nous accélérons notre déclassement économique et industriel. Les allers-retours sur l’énergie nucléaire, les filières agricoles ou industrielles ont le même effet : des milliards de pertes et une perte de confiance durable. Chaque virage brutal est un pas de plus vers l’impuissance stratégique.
Nous sommes loin de l’ambition affichée de reconquête de notre souveraineté. Quel gâchis alors que la France a tant d’atouts et de potentiels !
Pour Synopia, la question n’est pas d’être pour ou contre une taxe sur les grandes fortunes. Elle est de méthode. Un État stratège ne décide pas à l’instinct, ni sous le coup de l’émotion, ni au doigt mouillé. En particulier quand il s’agit de sujets d’importance aux conséquences lourdes. Il anticipe, évalue, met en débat plusieurs scénarios – du plus favorable au plus risqué – et mesure l’impact sur la compétitivité, l’emploi, la cohésion sociale.
L’évaluation doit précéder l’action, non la suivre. Les études d’impact doivent devenir un passage obligé : exhaustives, publiques, contradictoires, suivies dans le temps. Elles sont la seule manière de sortir de ce cycle d’illusions, de désillusions et de radicalités qui en découlent.
A l’avenir, chaque mesure envisagée – qu’il s’agisse d’une nouvelle taxe verte, d’une régulation environnementale ou d’un investissement public massif – devrait faire l’objet d’une étude d’impact approfondie. Il s’agit d’évaluer en amont ses effets économiques, sociaux et environnementaux, d’identifier les gagnants et les perdants potentiels, afin d’ajuster le tir le cas échéant.
Des institutions comme le Conseil d’État et la Cour des comptes appellent régulièrement à renforcer ces évaluations préalables de nos politiques publiques. Mieux vaut corriger un projet sur le papier plutôt que d’essuyer une crise une fois la mesure appliquée. De même, la concertation avec les parties prenantes (citoyens, entreprises, collectivités, ONG…) est indispensable pour repérer les problèmes pratiques et améliorer l’acceptabilité. L’expérience – certes perfectible – des Conventions citoyennes – qui a impliqué des citoyens tirés au sort dans l’élaboration de propositions – a montré l’intérêt de l’apport d’un dialogue en amont pour légitimer les décisions difficiles.
Enfin, la cohérence dans la durée est essentielle. Notre pays (entreprises, investisseurs, salariés, fonctionnaires, etc.) a besoin d’une feuille de route stable, avec des objectifs clairs et des ajustements progressifs plutôt que des à-coups brutaux.
Les volte-face et autres à-coups stratégiques doivent laisser place à une trajectoire lisible, fondée sur la science et le pragmatisme. Cela n’exclut pas la réactivité face aux imprévus, mais les changements de cap devront être l’exception, pas la règle.
Arrêtons de jouer aux apprentis sorciers. Gouverner, c’est aussi accepter la lenteur de la réflexion pour gagner dans la vitesse de l’exécution. Sans cette discipline, la France restera prisonnière de ses incessants zigzags législatifs et budgétaires qui épuisent les finances publiques, freinent notre économie et érodent la confiance. L’enjeu n’est pas de taxer plus ou moins, de règlementer encore et toujours, mais de penser plus loin.
Alexandre Malafaye
Président de Synopia