« Je n’ai pas 350 députés sur lesquels m’appuyer et je suis le Premier ministre «le plus faible» de la Vè. Ainsi parlait S. Lecornu le 29 septembre dernier. À peine 3 semaines après, il présente sa démission, devenant ainsi le Premier ministre le plus éphémère de cette même République.
Dans le peu de phrases qu’il a pu prononcer depuis son arrivée à Matignon, Sébastien Lecornu a tout de même commis des impairs institutionnels majeurs qui relèvent au pire de la faute, au mieux d’une méconnaissance certaine de notre texte fondamental.
Déjà en avouant sa faiblesse ce qu’il ne faut jamais faire en politique.
Il a par la suite dégradé la fonction. Ainsi il a annoncé, le vendredi 3 octobre, renoncer à l’article 49.3 de la Constitution, assurant que les oppositions n’ont donc plus « aucun prétexte » pour censurer le gouvernement lors des débats parlementaires sur le budget. Et de rajouter « renoncer à l’article 49.3 ne doit pas nous faire renoncer à ce que la France ait un budget au 31 décembre », a affirmé le Premier ministre lors d’une prise de parole sur le perron de l’hôtel de Matignon. C’est heureux car ce serait là aussi une faute. Il a jugé utile de préciser en direction des oppositions que « dès lors que le gouvernement ne peut plus être en situation d’interrompre les débats, il n’y a donc plus aucun prétexte pour que ces débats [parlementaires] ne démarrent pas la semaine prochaine ». Donc en quelque sorte le gouvernement « est nu » ? Et puis, découverte des découvertes, l’ancien ministre des Armées a asséné : « il faut que chaque député puisse avoir du pouvoir » et « puisse prendre ses responsabilités ».
Cette soumission est un retour complet à la IVᵉ République.
C’est la première fois depuis 1958 qu’un locataire de Matignon annonce officiellement qu’il renonce par avance à une procédure constitutionnelle faite au soutien du gouvernement. Rappelons que cet article 49-3 permet d’adopter un projet de loi sans que celui-ci ne fasse l’objet d’un vote. Mais la manœuvre n’est pas sans conséquence. La Constitution permet en effet qu’en cas d’activation du 49.3, les oppositions puissent déposer une motion de censure. Alors que le 49-3 est justement fait pour faire passer des textes face à des majorités récalcitrantes notamment en matière budgétaire. Il se trouve que depuis 2022 à cause d’une majorité relative puis depuis 2024, hybride, tous les budgets sont passés ainsi. La règle est ainsi faite. Qu’on le veuille ou non, le 49-3 est une règle constitutionnelle essentielle à l’équilibre politique.
En d’autres termes, et comme l’a affirmé S. Lecornu lui-même, il a procédé à un « déport du pouvoir au Parlement pour changer de méthode ». Il s’est aussi tiré une balle dans le pied.
A-t-on déjà vu un général partir au front en se privant de certaines armes ?
Il se trouve que c’est au sein du Parlement, que se situent les problèmes et plus spécialement à l’Assemblée Nationale. On le sait il y a deux blocs majoritaires, celui du RN et celui de NFP/LFI. Et depuis 2024 pas une fois E. Macron n’a nommé de Premier ministre issu de leurs rangs. La logique majoritaire de la Vè l’exigeait pourtant. Mme Castets d’abord qui aurait été censurée. Puis M. Bardella qui aurait subi le même sort. Après on y aurait vu certainement plus clair. Avec la démission de S. Lecornu, E. Macron va être obligé d’y venir s’il veut enfin respecter la représentation nationale telle que les français l’ont voulue suite à sa dissolution manquée.
Et puis, toujours en ce 3 octobre, M. Lecornu a continué à montrer sa méconnaissance totale de notre Constitution, avec le florilège suivant : « La Ve République est présidentielle, semi-présidentielle si on est précis, mais elle peut être aussi parlementaire (…) Mais pour cela il faut que chaque député puisse avoir du pouvoir, puisse prendre ses responsabilités. Au fond, c’est cela qui nous empêche d’avancer: la capacité à ce que le débat démarre », s’est justifié le chef du gouvernement depuis le perron de Matignon. Il se trouve que, comme l’a souligné Michel Debré lorsqu’il a présenté ladite Constitution au Conseil d’Etat en 1958, la volonté du constituant c’est de « mettre en place un régime parlementaire ». Ce qui fut fait car le texte contient tous les ingrédients dudit régime. D’ailleurs lorsque l’on présente le régime de la Vè, on le classe dans la catégorie du régime parlementaire. Certes, à la demande du général de Gaulle, la fonction exécutive et notamment présidentielle est devenue prédominante. Ainsi deux mécanismes essentiels du régime présidentiel ont été introduit dans le texte : les pouvoirs propres (ex : dissolution, référendum) et, en 1962, l’élection directe du chef de l’Etat. Mais en aucun cas notre régime n’est présidentiel. Le seul pays où l’on trouve ce dernier, ce sont les États-Unis. La pratique impulsée par le général de Gaulle et suivie plus ou moins par tous ses successeurs (hors cohabitations) est le présidentialisme. Dans ce dernier, élu du peuple et appuyé sur une majorité, le chef de l’Etat joue un rôle prépondérant dans la vie politique. L’équilibre des pouvoirs entre exécutif et législatif est rompu, il est vrai, en faveur du premier qui devient hégémonique avec une réduction des pouvoirs du Parlement.
Hors cohabitations bien entendu où l’on revient à une pratique plus parlementaire des institutions.
En renvoyant volontairement la balle dans le camp d’une assemblée où la cacophonie généralisée est devenue le fil conducteur, le nouveau Premier ministre prend un risque majeur. Il commet même une faute contre les institutions de la Vè. C’est aussi, selon nous, une faute politique.
Et puis il a péniblement composé un gouvernement qui, plus ou moins, reprenait le précédent. Mais S. Lecornu a commis la faute de nommer aux Armées B. Le Maire qui déclarait quinze jours avant que la politique c’était fini pour lui. Et qui surtout est considéré comme un « traitre » au sein de la majorité LR. Cela lui a été fatal ! Il a donc préféré se démettre que se soumettre…
« La première faute en politique, c’est d’y entrer » (Benjamin Franklin).
Raphael Piastra, Maitre de Conférences en droit public