Les instruments du numérique, les terminaux comme les réseaux sociaux ou les messageries instantanées, ne créent pas les colères. Ils les catalysent et les amplifient. Les réseaux sociaux, qu’on n’oserait qualifier de traditionnels comme Facebook ou Instagram, ont ouvert la voie à une ère de recommandations autrement plus agressives comme TikTok d’une part et aux solutions plus intimes d’intelligence artificielle (IA) d’autre part.
De fait, la consommation d’information, à commencer par l’actualité et la vie de la cité, connaît une profonde mutation. Passant de la conversation à la saturation émotionnelle, elle expose les démocraties à des campagnes de déstabilisation massives, coordonnées et sales. Des acteurs artificiels et inauthentiques émergent. Efficientes, les IA s’imposent comme un nouveau vecteur d’influence. Ainsi, en moins d’un an, Grock, le robot conversationnel promu par Elon Musk sur son réseau X, est de plus en plus perçu, par ses utilisateurs, comme une référence pour vérifier des informations. De surcroît, l’espace numérique se retrouve saturé par des robots entraînés, se cachant derrière de faux profils ou des comptes usurpés, pour amplifier artificiellement les voix les plus radicales.
Contrairement aux idées reçues, les techniques de désinformation ne donnent pas toujours dans la finesse. Elles sont friandes de bombes crasses, de messages grossiers et simplistes, répétés à l’envi pour ne pas dire à l’infini, dans le seul but de saturer l’espace et l’attention. En feignant l’amateurisme, les manipulateurs, faisant mine de mal écrire et de filmer «à l’arrache» tentent d’inspirer une fausse confiance en mimant ainsi des codes d’une authenticité qu’ils pensent populaire auprès d’utilisateurs avertis se méfiant de messages trop léchés.
Les manipulateurs martèlent des contre-vérités, des faux grossiers et des mensonges éhontés avec la volonté d’instiller le doute et l’espoir de laisser une trace indélébile. Ilne s’agit pas de convaincre mais de salir à tout prix pour déclencher la peur et la colère, et rendre in fine tout raisonnement inaudible.
Par nature, les chantres et amoureux de la liberté et de la responsabilité ne peuvent qu’être surpris et dépassés par des phénomènes exponentiels. Rester inerte revient cependant à encourager les malfaisants. Pour faire face, dans un espace public fragmenté, les démocraties doivent afficher une volonté hors pair car la réponse ne saurait être que technique. Les enjeux sont sociétaux, éducatifs et législatifs.
La réponse aux ingérences relève explicitement de la loi et de la technique, respectant les fondamentaux démocratiques tout en étant documentée publiquement. Il en va du respect de l’Etat de droit. En cela, les contenus illicites ou frauduleux, au regard de leur immense quantité, doivent être détectés automatiquement et supprimés sur la base d’une qualification humaine, nécessitant une coopération renforcée de tous les opérateurs et obligeant de plus petites plateformes, passant sous les radars, à se mettre au diapason de plus grandes qui accomplissent déjà ce travail.
La lutte contre la désinformation ne saurait être laissée aux seules mains des Etats au risque de donner du grain à moudre à des théories de complots déjà très présentes et de laisser penser qu’un ministère de la Vérité pourrait être institué, comme cela a été reproché récemment au président de la République française alors qu’il émettait une idée ancienne de labellisation de l’information.
La lutte contre la désinformation et les ingérences, pour être efficace, nécessite l’engagement plein et entier de l’alliance la plus large emportant les pouvoirs publics, les organisations non gouvernementales, les entreprises, les médias et le monde de la recherche, des sciences et des savoirs. Les initiatives internationales doivent être scrutées et leurs enseignements partagés et appliqués comme l’éducation aux médias en Finlande dès la primaire ou encore la plateforme législative citoyenne en Estonie.
Si la technologie a permis de décupler la force insidieuse des rumeurs, elle fournit également les outils d’une démocratie qui ne demande qu’à être plus alerte, forte de débats éclairés. Pour ne pas vaciller, la démocratie doit être là où ses citoyens sont : sur leurs mobiles.
David Lacombled
Président de La villa numeris
















