L’élection présidentielle connaît « deux vaincus emblématiques, le finaliste et le troisième homme, sauf que ce dernier, on l’oublie toujours ». L’historien Pierre Frédéric Charpentier a choisi dans ce livre de projeter la lumière sur le perdant d’une élection présidentielle. Son approche originale le conduit à se pencher sur le profil des hommes politiques arrivés en troisième position. Sont-ils des grands perdants ou bien des faiseurs de roi ?
Disséquant les scrutins présidentiels de 1958 à 2012, PF Charpentier analyse scrupuleusement, documents à l’appui, dix portraits de ces hommes politiques qu’on n’attendait pas dans cette position mais pour des raisons contraires : « soit il s’agit de grands favoris qui se fracassent, Chaban, Balladur, Jospin, soit des invités surprises qu’on n’attendait pas à ce niveau , comme Lecanuet ou Duclos » écrit-il. Dix scrutins, dix troisième différents, et un seul qui finira par accéder à l’Elysée, Chirac, troisième en 1988, élu en 1995, « mais c’est un animal politique hors du commun » précise l’auteur. Au fil des pages, nous parcourons avec un intérêt soutenu tous les cas de figure : à commencer par « l’illustre inconnu », le normalien Albert Châtelet, qui se présente contre de Gaulle en 1958, au temps du suffrage universel indirect ; Jean Lecanuet, en 1965 « le centriste novateur qui se rêvait en Kennedy », Jacques Duclos, « le vieux stalinien charismatique qui a mené tambour battant une campagne qui a bénéficié d’un bain de jouvence médiatique » et en arbitre du second tour a lancé sa célèbre phrase : « Bonnet blanc , blanc bonnet » pour ne pas départager Pompidou et Poher. Par la suite, l’auteur aborde la course effrénée en 1974 du maire de Bordeaux Jacques Chaban Delmas, à la succession de Georges Pompidou et son sabordement par son propre camp. Chaban, héritier du gaullisme social, est trahi par Chirac « le faiseur de roi néogaulliste » arrivé en troisième position en 1981 avait une attitude équivoque vis-à-vis de Giscard aboutissant durant cinq ans à un duel fratricide au sommet. En 1988, c’est Raymond Barre , le favori centriste-libéral qui est « trahi par les siens », en 1995, c’est Balladur, le « néogaulliste consensuel qui a fini par lasser ».
Le séisme du 21 avril 2002 a foudroyé « le challenger socialiste » brisant le destin politique de Lionel Jospin qui selon P-F Charpentier a commis deux erreurs fatales : l’une stratégique : « mon projet n’est pas socialiste », l’autre tactique, dans son obsession de battre Chirac au second tour, il a omis une question préoccupante : la sécurité ». En 2007, François Bayrou, apparait comme « le trublion centriste qu’on n’attendait pas, l’artisan tenace du renouveau centriste » et en 2012, avec Marine Le Pen « le troisième homme se féminise à l’extrême droite ».
Pour 2017, P-F Charpentier avait prévu l’arrivée de François Fillon en troisième position. Son pronostic se basait sur plusieurs paramètres :
- profil type du grand favori (après les primaires LR) incapable de s’adapter au scrutin présidentiel-campagne polluée par des révélations en cascade (Chaban, Barre, Balladur)
- campagne qui ne parvient pas à décoller « Chaban, Jospin)
- hostilité des médias, y compris de son propre bord politique ( Chaban, Barre, Balladur, Jospin)
- écart-apparemment-trop important dans les sondages en un peu plus d’un mois.
L’histoire des grands perdants de l’élection présidentielle nous enseigne avant tout une chose, rappelle Pierre-Frédéric Charpentier : « le troisième homme suscite toujours la surprise. Il y a le favori qui trébuche, l’outsider inattendu, mais aussi le « jeune loup » qui prend date pour l’avenir »
Avant de conclure, au sujet de la déclaration du « troisième homme » au soir de son élimination : « À défaut de l’avoir remportée, le troisième homme croit dur comme fer qu’il peut encore à lui seul décider du résultat de l’élection. C’est là son chant du cygne. »
Pierre-Frédéric Charpentier s’est attaché à une description précise des faits. Son livre nous fait revivre des tranches passionnantes de l’histoire politique française enrichies par de nombreux témoignages inédits.
Pierre-Frédéric Charpentier
Editions du félin (Histoire et sociétés), 2017
320 p.- 19,90 €