L’élection présidentielle 2022 aura eu une vertu : clarifier l’espace politique de la gauche française en imposant un homme, Jean-Luc Mélenchon, et un programme, celui de la gauche radicale, woke et alter-mondialiste. A droite, c’est tout l’inverse. A l’approche des élections législatives, les trois principaux courants de la droite française sont plus clivés que jamais. L’union tant espérée par certains est absolument irréalisable en l’état. Conséquence directe : Le peuple de droite est dans une impasse historique. La droite française n’a pas d’autre choix que d’être entièrement refondée. Mais, pour y parvenir, elle doit d’abord disparaître intégralement : Les Républicains, le Rassemblement national, ainsi que Reconquête!. Nous analyserons en trois articles successifs les raisons de cet effacement politique impératif, en commençant par le petit dernier : Reconquête!
Pourquoi Reconquête! doit-il disparaître, alors que ce parti politique vient seulement d’émerger et qu’on ne lui a pas encore laissé le temps de faire ses preuve ? La réponse à cette question est contenue dans la réponse à une autre question : Pourquoi Eric Zemmour a-t-il échoué ? Il faudrait presque un essai pour analyser le phénomène Zemmour en détail ; nous nous contenterons de le survoler. Mais avant de commencer, tordons le cou à une fausse rumeur : la guerre russo-ukrainienne comme principal facteur d’érosion de sa popularité. D’autres y ajoutent l’envolée de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages juste avant le premier tour, et le vote utile consécutif qui aurait profité à Marine Le Pen. La raison de son échec tient en réalité en trois points : communication politique, stratégie politique, et surtout philosophie politique.
Communication : La rhétorique de l’éditorialiste était rodée et efficace ; la communication politique du candidat s’est révélée défaillante, non seulement face aux journalistes, ce qui est surprenant, mais plus encore face aux autres candidats. Echec face à Jean-Luc Mélenchon. Echec retentissant face à Valérie Pécresse. Demi victoire seulement face à Bruno Le Maire. On attendait un killer, on a vu un élève docile et introverti, désireux de bien faire et de bien dire, quémandant sans cesse quelques secondes supplémentaires pour aller au bout de ses raisonnements bien trop longs.
Les Français s’attendaient à ce que la vague du « parler vrai » emporte tout sur son passage, c’est une vague d’ennui qui les a renversés.
Stratégie : Elle a été calquée sur un modèle similaire, un buzz médiatique annonciateur d’une grande révolution : J’entre dans l’arène politique, je détruis les vieux partis enkystés, LR et RN, et je ramène tout le monde à moi dans une union des droites triomphante. Sa première erreur ? Avoir sous-estimé Marine Le Pen, avoir cru qu’il était possible de tuer la mère comme on tue le père. Nous ne reviendrons pas sur cette erreur que nous avions anticipée bien avant qu’il soit officiellement candidat, dans un article paru en février 2021 dans ces mêmes colonnes, 2022 : Marine Le Pen ou Eric Zemmour ? L’autre erreur magistrale a trait à une question plus théorique : la place du libéralisme dans l’histoire des droites et dans la sociologie du corps électoral français. Eric Zemmour est un libéral qui s’ignore. Un libéral autoritaire, certes, mais un libéral. En gros, il est un LR un peu énervé, mais certainement pas l’annonciateur d’une droite civilisationnelle.
Or, son aveuglement à la part de libéralisme économique mondialisé qu’il porte en lui l’a conduit à produire un programme politique qui ressemblait à du sous-Ciotti.
Fort regrettable, car les bourgeois ne s’y sont pas trompés.
Philosophie politique : Nous devons à Eric Zemmour d’avoir posé au niveau national la grande question de notre époque, celle de la survie de notre civilisation. Qu’il en soit remercié ! Problème : il a posé une question à laquelle il n’a pas su répondre. Autre problème : il n’a pas mesuré combien cette question était sociologiquement circonscrite, en plus d’être philosophiquement complexe. Qu’est-ce à dire ? Que la civilisation a beau être la grande question politique du moment, elle n’en est pas moins le grand impensé du moment. La part des Français qui y sont sensibles est assurément minoritaire. Eric Zemmour, comme à son habitude, l’a simplifiée : Civilisation = démographie + immigration + traditions ; ou encore : Décivilisation = immigration + insécurité. Caricatural ! Résultat, il a manqué sa cible. Ses raisonnements emportent peut-être l’assentiment de son fan-club, mais assurément pas celui d’une majorité de Français, et encore moins celui des intellectuels de la « droite hors les murs » qui se font fort de penser aussi cette question, d’où les ralliements tardifs et peu nombreux. Il clive au sein même de cette intelligentsia qu’il aurait dû séduire. Exemple : lorsqu’il associe islam et islamisme de façon si grossière au micro de Sonia Mabrouk qu’elle ne peut s’empêcher de réagir : « Et moi, je suis où ? » Sa pirouette : « Vous, vous êtes Française », échoue à répondre à la question, et même à résorber le malaise.
Son obsession de la démographie et des marqueurs identitaires, depuis le grand remplacement jusqu’à la remigration, ont un effet constant : un buzz médiatique en premier lieu, puis une frustration née de l’impossibilité d’offrir à ces notions polémiques une véritable consistance politique.
En résumé, l’échec d’Eric Zemmour au premier tour de l’élection présidentielle est en grande partie la conséquence de son échec à répondre à la question civilisationnelle qu’il avait pourtant imposée. Il aurait pu fonder une droite civilisationnelle, porteuse d’avenir. C’est une nème droite identitaire qui a vu le jour. Tout à fait inutile. Reconquête! doit donc disparaître.
Frédéric Saint Clair
Photo : Frédéric Legrand – COMEO /Shutterstock