A mesure que l’automne approche, la candidature d’Eric Zemmour en vue de l’élection présidentielle 2022 se précise. Une candidature qui divise autant qu’elle enthousiasme. Une candidature qui questionne également, et qui devrait commencer par questionner le principal intéressé, dont on peut légitimement se demander si les premiers pas en tant que stratège politique sont à la hauteur de ses aptitudes de chroniqueur et d’essayiste.
L’entrée d’un intellectuel en politique, particulièrement à droite, est assurément intéressante, notamment après que les médias aient vendu aux Français en 2017 un intellectuel fantasmé, en la personne d’Emmanuel Macron. Intéressante aussi parce que le premier défaut de la classe politique actuelle, qui est en cela le marqueur de son impuissance à transformer la société, réside dans son manque d’envergure intellectuelle – une lacune qui conduit les responsables politiques à se soumettre à des schémas idéologiques périmés qu’ils vénèrent faute de pouvoir les dépasser. « La politique, affirmait Thibaudet, ce sont des idées. » Et des idées, Eric Zemmour en a. Est-ce pour autant suffisant ? La réponse est non ! En tout cas pas pour celui qui semble décidé à quitter le débat d’idées, le combat métapolitique, pour entrer dans l’arène proprement politique, arène dans laquelle les stratégies d’acquisition de pouvoir et de maintien au pouvoir présupposent toute autre condition, notamment celle liée à l’exercice du pouvoir. Si ce n’était pas le cas, Machiavel n’aurait jamais eu besoin d’écrire son Prince…
En matière de stratégie politique, le non encore candidat commet déjà de nombreuses erreurs, que sa référence, Napoléon, aurait sûrement sanctionnées. Nous en aborderons trois.
La première est un défaut dans la maîtrise du temps, du rythme politico-médiatique – un rythme pourtant essentiel à la vie démocratique. Cette annonce qui traîne en longueur renvoie l’image d’une diva qui se fait désirer, pas d’un stratège qui organise une conquête. Cet interminable préambule doit donc prendre fin, dans un sens ou dans l’autre, si Eric Zemmour ne veut pas que le soufflé retombe avant même d’être servi.
La deuxième erreur concerne le rapport à son entourage. Les phénomènes de cour sont indissociables du pouvoir politique, il est donc inutile de tenter de s’en défaire ; en revanche, il faut les maîtriser. L’enthousiasme et la proactivité des « militants » pro-Zemmour ont été utiles au chroniqueur dans les tous premiers temps. Mais peu à peu, les effets pervers ont commencé à apparaître. Premièrement, la jubilation, productrice de pathos, est excessive. L’image véhiculée d’un Zemmour sauveur de la France est en rupture avec la perception qu’en a l’opinion publique. Deuxièmement, l’instrumentalisation de l’image et de la volonté d’un Eric Zemmour non encore déclaré et officiellement indécis place le chroniqueur dans la position de la marionnette manipulée par une équipe d’influenceurs de l’ombre décidés à se fabriquer un héros pour prendre le pouvoir. 1.Rupture avec l’image du sauveur qu’ils entendent promouvoir. 2.Rupture avec l’idée que la droite se fait d’un Chef. S’il entend véritablement se présenter comme candidat à l’élection présidentielle, le rapport de domination entre Zemmour et son entourage doit donc s’inverser, afin que les Français reconnaissent que c’est lui qui commande, et pas son entourage.
La troisième erreur est de loin la plus lourde. Elle concerne son positionnement politique sur l’échiquier. Depuis Brzezinski, nous savons que le monde est un grand échiquier, sur lequel il convient de se positionner adroitement. Car c’est le positionnement sur cet échiquier qui définit le critère spécifique du politique : la distinction entre l’ami et l’ennemi.
Qui est l’ami, pour Eric Zemmour ? C’est-à-dire : Qui devrait-il avoir pour objectif de rassembler ? Réponse : Les droites, dans leur diversité, et plus particulièrement les électorats LR et RN. Or, qui tacle-t-il avec une régularité de métronome ? Marine Le Pen ! Il se fabrique ainsi un ennemi politique de toutes pièces dans le camp de ses amis potentiels. Etonnante stratégie pour celui qui reproche, à juste titre, à Emmanuel Macron d’être un facteur de division des Français… Croit-il qu’il récupérera ainsi, par le simple biais d’une rhétorique agressive et dévalorisante, les millions d’électeurs de Marine Le Pen ? En matière de stratégie, la critique doit porter sur l’ennemi politique. Dans le camp des amis, c’est un processus de séduction qui doit être mis en œuvre. Eric Zemmour fait l’exact inverse.
Marine Le Pen doit-elle donc être traitée avec tous les égards par celui qui rêve de prendre sa place et de devenir le principal recours face à Emmanuel Macron ? La réponse est ambiguë : oui et non.
Oui pour les raisons évoquées ci-dessus, et parce que Marine Le Pen est la seule femme politique hors-système qui ait été testée dans les sondages à 48%-52% face à Emmanuel Macron, même si cela fait plusieurs mois. Ce qui signifie qu’avec une marge d’erreur de 3%, une victoire est envisageable. Faire comme si c’était perdu d’avance – quand bien même cela serait vrai – est une erreur. Pourquoi ? Parce qu’une candidature Zemmour résolument critique de Marine Le Pen, même si ça ne suffit pas à empêcher celle-ci d’accéder au second tour, ternira l’image de la présidente du RN, et sera perçu comme ayant favorisé son échec. Le débuts d’Eric Zemmour seront alors perçus par les électeurs de droite comme les premiers pas d’un traitre à son camp, qui aurafavorisé la réélection d’Emmanuel Macron – ritournelle qui circule d’ailleurs déjà. Sa candidature aura alors de bonnes chances de rejoindre la liste des petits mouvements à 3% où l’égo domine et interdit tout rassemblement, et donc toute victoire. Eric Zemmour prend donc un risque à copier les stratégies électorales du type Dupont-Aignan ou Poisson, qui prétendent incarner à eux-seuls la figure du rassemblement des droites, indépendamment des scores réalisés et des sondages successifs.
La meilleure stratégie pour Eric Zemmour aurait donc sans conteste été d’attendre l’après 2022. Pourquoi ? Parce que l’échec probable de Marine Le Pen en 2022 placera celle-ci dans une situation des plus fragiles, celle d’une personnalité qui monopolise tout l’espace de la droite non-libérale sans espoir de victoire. Procès en illégitimité assuré, offrant à la critique un large espace pour se déployer. Plus encore, la droite hors les murs aura alors, dès mai prochain, le devoir de la pousser vers la sortie, et d’entamer un travail de sape du parasite politique qu’est devenu le RN – ce parti politique quiétouffe la droite sans aucune autre perspective que de pérenniser les intérêts d’un petit clan. En l’absence de victoireen mai prochain, la destruction du RN est inéluctable, et elle passe par la délégitimation/décrédibilisation de sa présidente. Entamer ce travail avant 2022 est quasiment suicidaire. En son temps, le cardinal de Retz s’y est essayé auprès d’Anne d’Autriche. On sait ce qu’il en est advenu. Eric Zemmour souhaite-t-il se préparer un avenir de mémorialiste ?
Frédéric Saint Clair, écrivain et politologue