Le ou la juge des libertés et de la détention (JLD) est un magistrat du siège. Créé par la loi du 15 juin 2000 (sur la présomption d’innocence) dite « loi Guigou », le JLD est un juge spécialisé qui possède des attributions croissantes en matière d’atteinte à la liberté individuelle. Ces prérogatives ont été augmentées en 2004 et en 2011 pour en faire le plus puissant juge pénal en France quasiment incontrôlé.
Ainsi ce juge ordonne le placement en détention provisoire d’une personne mise en examen ou la prolongation de sa détention provisoire, y compris pour les mineurs s’il est saisi par le juge des enfants ou le juge d’instruction. De même il peut être amené aussi à décider de l’assignation à résidence avec surveillance électronique ou le placement sous contrôles judiciaires lorsqu’il est là aussi saisi par le juge compétent. Enfin le JLD est également compétent en matière d’actes d’enquête attentatoires à la liberté individuelle (perquisition sans l’assentiment de la personne, perquisition de nuit, interception, enregistrement et transcription des correspondances d’une personne, placement en hospitalisation sous contrainte, placement en centre des étrangers en situation irrégulière). Bien entendu l’ensemble de ses pouvoirs sont énoncés dans le Code de Procédure Pénal.
Ainsi il a toute puissance en matière de détention provisoire. Selon l’art. l’article 144 :
La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique :
1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;
2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;
4° Protéger la personne mise en examen ;
5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;
6° Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;
7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire. Toutefois, le présent alinéa n’est pas applicable en matière correctionnelle.
Alors en cette journée d’Août 2024, la petite Kamilya, 7 ans, profitait de ses derniers jours de vacances. Elle exerçait son droit le plus strict de traverser sur les passages « protégés ». Alors qu’une voiture la laissait traverser, un barbare l’a percuté violemment alors qu’il remontait (à tort) une file de voiture. Précisons que ce pseudo motard réalisait la figure à la mode dans nos villes : le mono roue. Ce sont les rodéos urbains qui gangrènent certains quartiers. Très probablement avec une de ces motocross (la plupart interdites en ville) volée ou alors avec le fameux scooter Tmax (souvent volé aussi).
La petite a été admise aux urgences en état d’urgence absolue. Le chauffard a été interpellé et placé en garde à vue puis en examen par le juge d’instruction pour « blessure involontaires ». Pas (encore) connu des services de justice nous dit-on. Mais connu des services de police d’après ce que l’on a pu savoir. Une fois sa garde à vue terminée, il a été libéré et placé sous contrôle judiciaire par le JLD alors que le Procureur avait demandé son placement en détention. Une disposition assortie d’une série d’obligations, ainsi qu’à la remise de son permis de conduire et à l’interdiction de quitter le département.
Devant l’incongruité de cette mise en liberté, Il a alors fait appel de la décision du juge des libertés et de la détention, un appel qui doit être examiné « dans les meilleurs délais possibles » par la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Gageons que celle -ci corrige les choses.
Et puis la petite fille est décédée et là, malgré le contrôle judiciaire, on a dans la nature un individu dont les méfaits devraient être requalifiés en « homicide involontaire ». Que l’on arrête de nous raconter des histoires, devant la gravité des faits et la peur engendrée (la Cour d’Assises est en vue) s’il lui prend l’envie de fuir, il le fera. On rentre assez aisément en France. Et on en sort aussi facilement. Mais attention, au titre de l’art. 9 de la Déclaration de 1789 cet individu est présumé innocent. Et c’est un sacro-saint principe qui l’emporte sans conteste sur la certitude de la peine infiniment douloureuse des familles endeuillées.
Cette affaire et notamment le comportement du JLD, nous invite une fois encore à mettre en cause la justice pénale en France.
Et pour l’avoir fréquenté de l’intérieur pendant 7 ans comme juge de proximité, nous pouvons émettre un avis en particulier sur le tribunal correctionnel où nous avons été assesseur (c’est-à-dire spectateur pour l’essentiel).
Oui les mots qui reviennent, une fois encore, et qui ne plaisent pas à certains, c’est laxisme, droits de la défense, prévention plus que répression, réinsertion, .. Et puis aussi, soyons clairs, on doit parler à nouveau de l’idéologie gauchise, droitdel’hommiste, de la grande majorité des juges. C’est dès l’ENM (que nous avons connue) que le formatage commence. C’est ensuite le syndicat de la Magistrature (auteur du Mur de la Honte) qui prend en mains les nouveaux. Même s’il a perdu de son monopole au profit de syndicats plus objectifs et honnêtes, il est encore puissant.
De grandes figures du monde judiciaire français se sont exprimées sur l’affaire Kamilya. Parmi elles MM Georges Fenech (ancien magistrat et ex député) et Randall Schwerdorffer (avocat). Chacun se réfugie derrière la doxa de mise pour justifier la décision du JLD d’Aix/Marseille : application stricte du droit sur la détention. Cela a dû aller droit au cœur des parents de l’enfant….
Au risque de choquer mais nous assumerons totalement, Papon et Bousquet ont dit la même chose pendant l’occupation : on appliquait les règlements.
Et pourtant en ce 14 Juillet 1995, Jacques Chirac a dit magnifiquement : « Oui la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, secondée par l’État français. » Le coup de folie d’un jeune homme de Vallauris a été ni plus ni moins secondé par un représentant de l’Etat français, de la justice française. Souhaitons ardemment que la Cour d’Appel répare cette injustice caractérisée.
Même juriste patenté, on ne peut que souscrire aux propos du père de la petite : « Merci la justice (…) Aucun respect pour notre fille, ni pour nous-mêmes ». De toute évidence M. le JLD, dans le secret de votre bureau, à l’abri des regards et de tout soupçon d’empathie, en libérant ce malfaiteur, vous avez juste un peu alourdi la peine et la détresse des parents de la jeune fille. Mais là encore, au nom d’une idéologie perverse devenue insupportable, ce sont les droits de la défense qui priment sur ceux des victimes. Dès son arrestation, le motard a été « pris en mains » par la justice.
La famille, elle, a juste eu le droit de déposer plainte et de prendre un avocat. Seule la solidarité familiale et amicale va être là. Elle n’a rien à attendre de la justice. Sauf qu’une sanction « exemplaire » soit prise le jour du procès. Et à présent ils devront vivre avec une peine à perpétuité pour laquelle aucune réparation n’existe.
Avant 1981 il y avait une sanction ultime que l’on a aboli. Maintenant tout repose sur une incertaine perpétuité. La peine maximale de prison en France est la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 30 ans. Au sens strict du terme, la réclusion criminelle à perpétuité, c’est-à-dire l’emprisonnement jusqu’à la mort du condamné, n’existe pas en France. Dans le cas d’espèce le motard qui a tué Kamilya a 19 ans et son crime ne relève pas de la perpétuité. Il prendra éventuellement 20 ans qu’il n’accomplira pas grâce aux aménagements.
Parions qu’il sera sorti dans dix ou quinze ans. A une trentaine d’années il aura le temps d’entamer une nouvelle vie. Quand sa victime aurait eu à peine 20 ans.
Il va falloir un jour que, dans ce pays, on inverse les machines. La sanction et la réinsertion des coupables, bien sûr. Mais il faut qu’une loi pénale soit votée qui consacre officiellement le droit des victimes dès la première minute où elles subissent un méfait. Et qu’enfin leur détresse et leur peine soient réellement prise en compte. Les associations d’aide aux victimes, qui font un travail énorme, doivent intégrer l’arsenal judiciaire de façon pleine et entière. Pourquoi ne pas consacrer dans la Constitution, ce qui devient un dû, un droit des victimes ?
« Seules les victimes auraient éventuellement le droit de pardonner. Si elles sont mortes, ou disparues de quelque façon, il n’y a pas de pardon possible » (Jacques Derrida).
Raphael Piastra,
Maitre de Conférences des Universités