Luc Rémont, président de Schneider Electric France
Les grandes lignes directrices du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte se finalisent. L’intelligence liée à la gestion de l’énergie, des réseaux et des bâtiments est l’une des composantes essentielles de ce projet de loi, en cohérence avec une loi sur le Numérique qui se prépare.
L’ambition de cette loi de transition énergétique marque un premier pas vers la prise en compte de la dimension numérique liée à la réduction des consommations énergétiques avec la prise en compte des équipements de gestion active. Elle pourrait être encore accrue en intégrant, dès à présent, la stratégie numérique qui sera prochainement exprimée par le gouvernement.
Différentes dispositions contribueront à prendre en compte la révolution technologique amorcée depuis quatre ans et parvenue à maturité. Le citoyen, l’utilisateur, “devenu consom’acteur” sera ainsi placé au cœur de la transition énergétique et son rôle sera majeur grâce au développement de la gestion de l’énergie et des systèmes de pilotage de la consommation.
Concevoir le contrôle et le pilotage des consommations énergétiques comme une source d’énergie à part entière
La qualité du réseau de distribution électrique français, ainsi que les tarifs en pratique, sont des facteurs de fiabilité et de compétitivité pour les industries, et des gages de sécurité, de limitation des dépenses et de confort pour les particuliers. Afin de préserver cet état de fait et d’assurer la sécurité d’approvisionnement, il est aujourd’hui nécessaire de favoriser à la fois de nouvelles sources d’énergie et modes de consommation. L’effort consacré au développement des énergies renouvelables est stratégique et doit être poursuivi. Il est également primordial d’activer d’autres leviers favorisant l’indépendance énergétique nationale en intervenant non seulement sur l’efficacité de la production existante, mais aussi sur les usages et la consommation. Ainsi, la demande de consommation pourrait être réduite de 30 % pour de nombreux utilisateurs tout en leur apportant des services supérieurs fondés sur les technologies numériques.
Le Conseil économique, social et environnemental a rappelé, dans son rapport paru en janvier 2013, que l’efficacité énergétique était la première source d’énergie potentielle domestique dans le secteur résidentiel à l’horizon 2020, tout comme dans le tertiaire. Il a ainsi été démontré que l’efficacité énergétique active, associée dans certains cas à des travaux d’isolation, engendre une réduction de la consommation de 15 % à 60 % avec des retours sur investissements de trois à sept ans1
. A fortiori, cela contribue naturellement à la limitation des émissions de gaz à effet de serre et du changement climatique.
L’efficacité énergétique, qu’elle soit passive (rénovation du bâti) ou active (gestion de l’énergie), constitue un levier essentiel de la transition énergétique qu’il faut considérer comme un élément clé du mix énergétique. Les opérations d’efficacités énergétiques active et passive sont indissociables et complémentaires. Comme le montre l’analyse menée par le CSTB et Carbone 4 sur le potentiel technico-économique des solutions d’efficacité énergétique dites “actives”, ces technologies permettent une réduction des consommations de 15 % minimum. Le coût d’achat et d’installation de ces technologies est très limité (moins de 800 €, installation comprise, pour un appartement de taille moyenne) et elles sont rentabilisées en moins de quatre ans.
L’évolution sociétale que constitue la transition énergétique passera par un développement de ces technologies aujourd’hui matures, ce que le projet de loi relatif à la transition énergétique intègre bien.
Au-delà de l’affichage et de la mesure, l’introduction des systèmes de gestion active de la consommation énergétique dans le cadre législatif et réglementaire favorisera leur développement
En France, l’État est prescripteur en matière de rénovation énergétique et oriente le développement des innovations dans ce domaine. De même, l’application d’incitations fiscales favorise le développement de nouvelles technologies et de nouvelles pratiques – il en est ainsi pour le bonus appliqué au véhicule électrique par exemple. Le cadre politique et législatif commence à prendre en compte aujourd’hui les systèmes de pilotage intelligent des consommations grâce au projet de loi relatif à la transition énergétique. En effet, comme l’a évoqué la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie à la fin de l’année 2014, il est souhaitable que la rénovation énergétique des bâtiments soit accompagnée d’un pilotage actif de l’énergie, allié de l’installation de compteurs communicants qui permettent l’affichage et la mesure globale de la consommation.
Il est indispensable que l’ensemble des textes au-delà du projet de loi relatif à la transition énergétique, (réglementation thermique 2012, définition des avantages fiscaux) évoluent et prennent en compte la maturité de ces technologies de gestion active de l’énergie. Ces innovations ont dépassé le cadre expérimental, sont installées, utilisées et ont fait leurs preuves. En effet, par cohérence avec le projet de loi qui placera le nucléaire à 50 % du mix énergétique, il est urgent de modifier l’actuelle réglementation thermique 2012 pour que les orientations en matière de construction prennent en compte cette évolution forte.
Depuis juillet 2014, les avantages fiscaux (CIDD, EcoPTZ) sont progressivement conditionnés à l’attribution d’un label “Reconnu Garant de l’Environnement” (RGE) au professionnel effectuant les travaux. Ce label peut être obtenu notamment grâce à des formations dans le cadre du Programme FEEBAT. Mais à ce jour, il n’existe pas, dans ce programme, de formation spécifiquement dédiée aux systèmes de pilotage actif de la consommation, aux infrastructures de recharge et à leur installation. La création de modules adaptés aux nouvelles technologies de gestion intelligente de l’énergie est donc à promouvoir.
A fortiori, ces évolutions législatives permettront de créer de nouveaux emplois, locaux et pérennes. En effet, on estime que le développement des solutions d’efficacité énergétique active pourrait favoriser la création de 10 000 à 40 000 emplois (cf. rapport du CESE déjà cité).
L’État et les collectivités territoriales, précurseurs et exemples à suivre à travers les achats publics et le plan Administration exemplaire
Le report de la publication du décret tertiaire constitue un point de blocage majeur au déploiement rapide de ces nouvelles technologies de gestion active de l’énergie. La réduction de la facture énergétique des bâtiments publics (qui représente environ 4 % du budget de fonctionnement des communes) en serait la première bénéficiaire. Le décret tertiaire pourrait intégrer un plan d’application sectoriel. Il concernerait, en premier lieu, l’État et ses actifs, en commençant par exemple par les écoles, emblématiques. De plus, il constituerait un exemple fort de l’implication de l’État aux yeux des citoyens. Et dans un second temps, les collectivités territoriales et leurs actifs. Cette application en deux temps du décret tertiaire lancerait une dynamique favorable.
L’État a annoncé, en janvier 2015, la mise en œuvre d’un Plan Administration exemplaire. Il serait souhaitable que ce plan prenne en compte les solutions de pilotage et de contrôle de l’énergie, par la mise en œuvre progressive de la norme ISO 50001, ou le déploiement dans des catégories de bâtiments publics identifiés de ces-dits systèmes. En commençant par les établissements scolaires, il serait possible de réduire jusqu’à 60 % leur consommation énergétique et de sensibiliser les jeunes à la gestion des consommations énergétiques.
La rénovation des bâtiments tertiaires en général et tertiaires publics en particulier (40 % du parc total de bâtiments tertiaires) dont les collectivités sont les fers de lance, a des difficultés à se développer. L’un des leviers, pour débloquer la situation actuelle, pourrait être une autorisation – dans le cadre des Contrats de Performance Énergétique – d’effectuer un paiement différé2. Ainsi les économies d’énergies garanties par le titulaire du marché sur la durée du contrat, couvriraient intégralement le coût des travaux d’amélioration énergétique et la performance énergétique garantie se traduirait au minimum par une baisse de la consommation d’énergie de 20 %. Cette disposition pourrait être intégrée à l’ordonnance relative aux marchés publics comme l’a évoqué le ministre de l’Économie lors de l’examen du projet de loi pour la croissance et l’activité par la Commission spéciale à l’Assemblée nationale.
Donner toute sa place à l’usage et à l’usager dans le cadre du dispositif des Certificats d’Économie d’Énergie (CEE)
Le gouvernement a officialisé la reconduction du dispositif des Certificats d’Économie d’Énergie. Il a également dévoilé un programme en faveur des formations et de la bonification des opérations de réduction de la consommation des ménages les plus défavorisés dans le cadre du projet de loi pour la période 2015-2017. Cette avancée est particulièrement louable ; toutefois afin de donner toute sa place à l’usager, consom-acteur, il serait souhaitable de prendre en compte les économies d’énergies permises par les systèmes de pilotage intelligent de la consommation et normées (NF EN 15232).
Le dispositif des CEE a été révisé et le bonus appliqué aux entreprises procédant à la certification ISO 50001 a été fortement réduit. Ce bonus est l’un des seuls dispositifs existants en faveur de l’efficacité énergétique active. Il apparaît prématuré de le remettre en question.
Intégrer pleinement l’économie numérique à la transition énergétique
L’avenir énergétique passe par la nécessaire cohérence du “choc de simplification” avec les objectifs ambitieux de déploiement de la fibre optique. À l’aube de la publication d’un projet de loi numérique, il est essentiel que la simplification ne se fasse pas aux dépens de la modernisation. Dans de nombreux pays, c’est au contraire en sautant de génération technologique que l’objectif de simplification peut être atteint.
Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est discuté à un moment particulièrement propice. Le monde de l’énergie évolue rapidement et apporte de nombreuses innovations.
Les avancées du numérique et de la digitalisation doivent rendre les citoyens consom-acteurs, connaissant, appréciant et gérant leur consommation énergétique.
La France a des champions sur l’ensemble de la chaîne énergétique qui contribuent à son rayonnement et sa performance. C’est bien cohérent avec notre ambition pour la COP21.
Luc Rémont, président de Schneider Electric France
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(1) Projet Homes.
(2) Cf. article 96 du Code général des impôts qui interdit l’introduction de toute clause de paiement différé.