La Cour des comptes vient d’émettre son rapport public annuel. Les esprits chagrins y verront une litanie sans but opérationnel. A l’inverse, les adeptes de la chose publique y décèleront une mine d’analyses fort instructives mais très préoccupantes.
Dans les sociétés commerciales statutairement dotées d’un commissaire aux comptes, celui-ci est en devoir d’enclencher une procédure de droit d’alerte lorsque la continuité d’exploitation lui semble compromise. Il n’existe pas un tel signal d’alarme en comptabilité publique et ainsi l’Exécutif peut laisser filer la dette sans pénalisation ou violation d’une situation de droit. Jusqu’au jour où les marchés ou les détenteurs de la dette publique ouvriront une crise de confiance au moins équivalente à celle qu’a connue récemment le Royaume-Uni.
Ainsi, nous considérons que la France est désormais en état d’alerte quant à la trajectoire de ses Finances publiques.
Les informations laborieusement relâchées par le Gouvernement et très largement soumises à question par le Haut Conseil des Finances publiques retiennent des variables optimistes en matière de croissance et sont bien discrètes quant aux nouvelles dépenses publiques qui viendront des véritables coûts de la transition écologique.
L’État, à défaut de manifester de l’efficacité fait preuve d’habileté en ses liaisons incestueuses avec l’inflation. Une hausse des prix, appelée à être durable, ce sont des recettes de TVA en plus et une érosion nette (par opposition à la valeur faciale nominale d’émission) de la dette publique.
Face à 3 000 Mds de dette, l’État joue de la conjoncture monétaire en gommant, de manière coupable, un paramètre essentiel : l’action de la BCE et la hausse des taux qui vont mécaniquement faire s’élever la charge des intérêts de la dette.
Pour certains experts, nous pourrions dépasser 50 Mds dès l’an prochain à rapporter aux moins de 30 Mds ” habituels “.
La France a des gouvernants qui jouent à la roulette plus que des hommes de rigueur comme André Tardieu, Pierre Mendès France ou Raymond Barre dont la fameuse phrase (” La France vit au-dessus de ses moyens “) vient d’être reprise par Pierre Moscovici en sa qualité de premier Président de la Cour des comptes.
S’agissant des travaux qui viennent d’être rendus publics, la Cour considère que la décentralisation est ” inachevée ” et que le financement des collectivités locales doit impérativement être doté de ” stabilité et de lisibilité “. Le millefeuille administratif continue et le dévoiement de l’instauration des intercommunalités est un exemple de marais public. Les élus, les agents territoriaux et les contribuables ne s’y retrouvent pas.
La péréquation est un mot qui excite l’imagination des décideurs publics qui oublient parfois que les communes qualifiées hâtivement de ” riches ” sont souvent celles qui sont bien gérées. On confond allègrement le potentiel fiscal qui est une chose, avec la pression fiscale fruit du labeur des équipes dirigeantes locales.
D’autres sujets visent la décentralisation ” inachevée ” et ici la Cour des comptes manifeste son penchant pour l’expérimentation et l’adaptation des politiques publiques à la notion de proximité.
Les conditions de déroulement du vote de la loi sur la réforme des retraites au Sénat ne militent pas pour la notion de proximité et relèvent davantage d’une caporalisation du scrutin que l’on retrouve dans certaines grandes métropoles ayant récemment connu l’alternance.
Nous considérons que les baronnies locales alliées aux surprenants découpages régionaux hérités de la présidence Hollande ne sont pas porteurs d’efficacité et, à l’inverse, incitent à des gestions erratiques.
Nos élus, en large cohorte, aiment la dépense publique fut elle pour partie infondée. Dans L’acteur et le système, Michel Crozier et Erhard Friedberg avaient pointé du doigt, dès les années 1980, les tentations d’un pouvoir dispendieux. Nous y sommes et les fameuses Assises de la Dépense publique ont encore été repoussées par l’Exécutif ce que regrette la Cour des comptes.
Pendant ce temps-là, le ” quoi qu’il en coûte ” se poursuit à un vrai rythme : la Cour relève ainsi, en 2022, 37,5 Mds de dépenses dédiées aux aléas sanitaires et au plan de relance. Quant aux mesures anti-inflation, elles représentent près de 60 Mds de dépenses : 26 en 2022 et déjà 36 en 2023.
Nous avons écrit supra que la trajectoire des Finances publiques est au-dessus de la cote d’alerte.
Ainsi, la Cour estime essentiel ” que notre pays se dote d’une Loi de programmation “. Initialement prévue à l’ordre du jour du Parlement en septembre dernier, la LPFP n’a pas été menée à terme.
Décidément, cet Exécutif dépense plus qu’il ne présente des vertus de transparence financière. Un contre la montre mortifère est engagé en matière budgétaire.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique