Tandis que se termine la saison des cyclones aux Antilles, voici que se lèvent des alizés contraires outre-mer, tout particulièrement en Guadeloupe et en Martinique, sur fond de cinquième vague de la pandémie en métropole et en Europe et de pré-campagne électorale sans réelle prise de conscience de la gravité du malaise et du grand désarroi des populations sur place, comme si le décalage horaire et l’éloignement occultaient l’urgence d’apporter des réponses aux inquiétudes légitimes et d’amorcer un dialogue honnête pour sortir de l’impasse actuelle. Dans le discours de ceux qui briguent la conduite de la prochaine mandature présidentielle, on cherche en vain pour le moment des propositions ou une ébauche de vision pour l’outre-mer à court, moyen ou long terme…
Ce n’est hélas pas une nouveauté et cela contribue à creuser un peu plus un dangereux fossé qui finira en rupture entre protagonistes si rien n’est fait pour restaurer un minimum de confiance dans l’action publique et la recherche d’un avenir meilleur dans des territoires où les difficultés liées à la pandémie sont aujourd’hui exacerbées par de trop longues années de dysfonctionnements et d’absence de prévisions ou de prise en compte des spécificités locales héritées de l’histoire et de la géographie ultramarines.
La grève illimitée et générale qui a débuté en Guadeloupe le 15 novembre 2021 à l’initiative du collectif LKP menace l’île d’un blocage total, à l’instar de celle de 2009 contre la vie chère qui paralysa la région pendant 44 jours et endommagea durablement l’économie insulaire.
Cette fois-ci, au moment où a été levé l’état d’urgence, le mouvement social est dirigé principalement contre l’obligation vaccinale et l’envoi des lettres de suspension aux personnels de santé et autres concernés non vaccinés alors qu’en Martinique un délai a été accordé jusqu’au 31 décembre 2021 pour souscrire à cette obligation, suite à une médiation et une conciliation, qui ont eu le mérite de diminuer temporairement l’extrême tension observée au CHU de Fort-de-France depuis l’entrée en application des mesures de politique sanitaire instaurées en juillet dernier. Pour autant, rien n’est réglé ni en passe de l’être dans les deux îles sœurs de l’arc antillais où la pandémie n’a fait qu’accentuer et mis encore plus en lumière des problèmes sociaux, économiques et environnementaux qui plombent depuis des décennies le devenir collectif d’une manière récurrente, sans que l’intervention des politiques n’ait pu jusqu’à présent réussir à améliorer de manière tangible la situation et le vécu au quotidien de celles et ceux qui manifestent aujourd’hui leur désenchantement devant tant de promesses électorales jamais tenues et leurs profondes méfiance et désillusion face à des décisions imposées sans réels efforts de conviction, de pédagogie ou de concertation.
Le faible taux de vaccination aux Antilles, qui est quasiment devenu un facteur de culpabilisation des victimes de cette crise sanitaire sans précédent au détriment malheureusement de la lutte contre les préjugés et de véritables campagnes d’information et de persuasion sur le bénéfice du vaccin contre le virus, n’est pas le fruit du hasard ou d’une irréductible résistance à des mesures imposées par un pouvoir perçu comme éloigné ou répressif historiquement, mais il s’explique en grande partie par une succession d’erreurs passées aux conséquences parfois tragiques. Il est patent notamment que le scandale sanitaire et environnemental du retard criminel à interdire l’épandage du chlordequone en vigueur de 1972 à 1993 dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique, alors que son interdiction était effective en 1990 sur le territoire métropolitain, se paye aujourd’hui au prix fort en perte de confiance dans la décision publique. Et ce n’est pas l’urgence de la situation sanitaire seule qui pourra lever cette méfiance dès lors que les mesures revêtent un aspect de restriction aux libertés dans des contextes historiquement marqués par une longue pratique d’entraves et d’inégalités dans les conditions de vie des populations, sans un esprit de conciliation et de dialogue raisonné et raisonnable initié par les autorités avec les représentants du mouvement en cours, si l’on veut conjurer tout risque d’enlisement voire même d’embrasement outre-mer…
En ce moment même, les images d’affrontement relayées par certaines chaînes locales communiquées de Guadeloupe en métropole éveillent le souvenir douloureux du drame de la Saint Valentin de 1952 ou des émeutes de mai 1967, évènements tragiques dus à des motifs tout autres, cependant toujours liés à une incompréhension profonde des situations de l’heure. La grève de 2009 est encore présente à l’esprit de tous en Grande Terre et en BasseTerre ; le mouvement des Gilets jaunes a eu aussi une résonance profonde outre-mer – à la Réunion en particulier mais pas seulement – ; en Guyane aussi, porte de l’Europe sur l’espace, la situation est loin d’être apaisée et le pass sanitaire continue à mobiliser une opposition qui perdure ; en Martinique, un collectif appelle à l’annulation de l’arrivée de la course transatlantique du café Jacques Vabre pour des raisons liées à l’émergence de la cinquième vague mais avec des échos de lutte contre les réminiscences de l’évocation du commerce triangulaire, autant de signaux clignotants d’un contexte instable et de vents Alizés plus que contraires, qui devraient éveiller la plus grande des attentions en cette période de doutes et de réveils des oppositions et questionnements face aux options retenues pour lutter contre la pandémie.
Notre outre-mer – on ne le dira jamais assez – est une chance et un espace de respiration et de réalisation extraordinaires pour la France, de par sa richesse avant tout humaine et de par les horizons qu’il nous ouvre dans un monde trop enclin au repli sur soi.
Il ne faudrait pas et il serait dommage qu’il devienne le terrain d’un gâchis additionnel à quelques mois de la consultation électorale d’avril 2021, par manque de dialogue avec l’ensemble de ses représentants et défaut de réflexion sérieuse sur son avenir…