Laurence Taillade, Présidente de Forces Laïques, s’inquiète de l’urgence de repenser un grand plan de développement d’aménagement du territoire pour retisser le lien entre deux France que tout oppose: la France des villes et la France des campagnes.
Alors que l’OFCE consacrait récemment l’une de ses études à la corrélation entre éloignement des villes et consentement à l’impôt, on ne peut que constater que ces rapports se suivent et se ressemblent, sans qu’aucune inflexion ou réflexion des politiques publiques ne semble voir le jour, pour répondre à un sentiment de déclassement puissant émis par les ruraux.
Pourtant, le constat est bien là. Les services publics reculent dans les campagnes françaises. Se soigner est devenu un luxe, accéder à une consultation de médecine spécialisée devient un combat au long court, les écoles ferment, comme les classes, malgré les promesses du Président.
Ces deux France, celle des villes et celle des champs, deviennent irréconciliables. Tout les oppose. L’une voit ses services se multiplier quand l’autre considère les transports et internet comme un ersatz.
Et le problème est bien là : Comment les gouvernements successifs ont-ils pu abandonner ces territoires à eux-mêmes allant jusqu’à supprimer les trains de nuit, souvent les dernières lignes directes qui existaient pour bien des communes rurales, à des fins de rentabilité ?
Aujourd’hui, il convient de regarder l’avenir en face. Alors que l’on pensait encore tout avion il y a quelques années, le retour au raisonnable devrait nous animer. Or le constat est là : 40 années de politiques publiques désastreuses, aucune programmation de développement et d’aménagement du territoire, une gestion à la petite semaine, dont la loi Mobilité sera un énième échec. La vision de ce gouvernement, davantage tourné vers une réalité économique que sociétale, ne peut pas concorder avec l’orientation solidariste que s’était choisie notre pays.
On ne peut envisager les services publics sous l’angle de la rentabilité sans dénaturer totalement le principe même de ces organismes dont l’objectif est de corriger les injustices et rendre l’Etat accessible à tous. Réfléchir en termes de rentabilité, c’est décider d’abandonner les segments non rentables d’une activité, c’est abandonner ceux qui sont au bout de la ligne de chemin de fer, c’est considérer que, parce qu’ils ne sont pas assez nombreux, ils ne valent rien !
Et c’est bien un peu ce que certains ont ressenti à l’aune des comportements arrogants des membres de la majorité vis-à-vis de ceux, de plus en plus nombreux, qui ont contesté la politique menée. Ceux qui ne pouvaient pas utiliser des vélos pour leurs déplacements quotidiens, ceux qui n’avaient pas les moyens d’investir dans une voiture électrique au prix prohibitif et dont les usages sont limités. Ceux qui ont été qualifiés de « fumeurs de clopes qui roulent au diesel », pris aux pièges par les incitations précédentes, aussi.
Il est temps de repenser notre pays et de redonner du souffle à ces villes et villages qui s’asphyxient. Il est temps de changer de paradigme. Il est temps de donner du sens à ce qui semble être une politique des petits pas.
La France est l’un des pays les plus grands d’Europe, mais elle est malheureusement parmi ceux qui proposent les moyens de transport les moins performants. Ainsi, pour parcourir moins de 50 km, il faut parfois jusqu’à deux heures ! Comment, dans de telles conditions, peut-on envisager de vivre dans des communes rurales, si l’on est dépourvu de voiture ? Développer une offre de transport de proximité est une priorité, mais il ne faut pas non plus en faire un dogme et admettre que des véhicules individuels ne peuvent disparaître du jour au lendemain. Les deux options doivent être cumulables, et non opposables, telles que l’on nous les présente aujourd’hui.
Penser le développement de l’architecture de nos transports de demain, c’est anticiper les modes de vie. On ne peut plus accepter que matin et soir de grandes migrations continuent à se produire, entre des zones dortoir et des bassins d’emploi, sans accélérer la mutation vers les espaces de partage inter-entreprises, le télétravail et d’autres formes à imaginer. C’est l’une des raisons pour lesquelles on ne peut pas abandonner certaines zones, en termes de couverture numérique, quand, en parallèle, on exige des télédéclarations pour les impôts.
Enfin, on ne peut continuer à abandonner les régions enclavées, à l’image de certaines villes ou villages, comme Aurillac, dont l’attractivité économique souffre, du fait d’une liaison ferroviaire décadente, d’un trafic aérien peu fiable et d’une absence d’autoroute. Quel espoir pour la jeunesse de ces villes condamnée à rester loin de tout ?
Nous devons avoir l’ambition de nos rêves et penser des investissements massifs vers le développement du ferroviaire, ferroutage pour le transport de marchandises, lignes grande vitesse pour les régions qui en sont encore dépourvues et obligent à l’utilisation de lignes aériennes coûteuses et polluantes, mais vitales, principalement pour la vie économique locale. Notre pays est couvert de fleuves, nous devons exploiter ces voies naturelles, par le développement de navettes utilisant des propulsions non polluantes.
Changer nos modes de vie, remettre au creux de nos préoccupations l’humain, permet d’envisager la remise en service des trains de nuit, comme alternative à l’avion, au bus, mais aussi comme vision d’un autre monde, un monde où l’on apprend la lenteur comme art de vivre. Un monde où l’on choisit le train. La Suède, l’Ecosse ont fait ce pari et investissent massivement dans ce mode de déplacement. Alors qu’un million deux cent mille voyageurs étaient usagers de ces lignes, la SNCF a décidé de leur suppression, arguant un manque de rentabilité. La vérité est toute autre : retards, manque d’entretien, annulations à répétition avaient causé la désaffection de ces trains. Le plus étrange, a été la vente de la ligne la plus rentable, le Paris-Nice, à une compagnie russe… parce que l’avion pouvait aisément la remplacer… En 2016, on misait encore sur l’aérien, quand aujourd’hui on le diabolise.
Il est temps, urgent, de réfléchir un grand plan de développement d’aménagement du territoire retissant le lien entre villes et campagnes, rééquilibrant les injustices entre nos concitoyens, inscrivant dans la durée le respect de nos paysages et réfléchissant autant à la vie économique qu’au confort des usagers. Redonnons ses lettres de noblesse à l’Etat qui donne la direction, à une vision pour l’avenir et profitons des taux de crédit à taux négatif pour investir massivement en direction des générations futures qui ne méritent pas le monde que nous nous apprêtons à leur laisser.
Laurence Taillade
Présidente de Forces Laïques.