La France, comme d’autres pays, connaît une double transition : une transition démographique avec le vieillissement de sa population et une transition épidémiologique avec l’émergence de maladies chroniques. Il convient donc de conduire une politique adaptée, en réponse à ces besoins nouveaux, avec pour objectif la qualité de la vie de nos concitoyens. Elle repose sur le développement et la valorisation de la prévention.
L’autonomie désigne la capacité d’un individu à se gouverner soi-même, selon ses propres règles. Ce mot va donc bien au-delà de ses simples capacités physiques et psychiques. Il représente un thème central et mobilisateur qui doit cristalliser nos efforts, au service de trois objectifs déterminants : préserver l’autonomie de chacun durant toute la vie, prévenir les pertes d’autonomie évitables, éviter l’aggravation des situations déjà caractérisées par une incapacité.
Comment anticiper ? Anticiper signifiant, selon sa racine latine, « prendre les devants », comment prendre les devants pour permettre le maintien de l’autonomie ?
Le champ d’intervention de la prévention
Ce champ d’intervention est très large. Tout au long de la vie, la prévention pour bien vieillir doit être favorisée par le repérage et la prise en charge des facteurs de risque et des pathologies responsables d’incapacités (tabac, alcool, hypertension artérielle, diabète, hypercholestérolémie, ostéoporose, sédentarité, perte de lien social…).
La préretraite et la retraite sont une période importante, véritable rupture pour certaines personnes, alors que d’autres la reçoivent avec satisfaction. Pendant cette période, des évènements de vie peuvent être lourds de conséquences (déménagement, veuvage, maladie…), surtout s’ils ne sont pas accompagnés.
À l’hôpital, une perte d’autonomie peut être induite par un environnement soignant inadapté. La formation des professionnels à la prévention de la perte d’autonomie induite ou iatrogène doit être organisée dans les plans de formation.
En maison de retraite, il convient de favoriser la prévention tertiaire, avec une prise en charge de l’état nutritionnel, de la santé bucco-dentaire, de la dépression, de la démence, des troubles du comportement, des troubles de la marche et de l’équilibre, des risques infectieux… afin d’éviter l’aggravation des incapacités déjà installées.
Un domaine particulier est à souligner, celui du risque médicamenteux. C’est un sujet important compte tenu des accidents iatrogènes constatés au cours de l’avancée en âge. Les mesures préventives nécessaires sont clairement diffusées par la Haute autorité de santé (HAS).
Mais, la prévention en gérontologie ne doit pas être conçue dans une approche exclusivement médicale. Elle doit être globale intégrant les facteurs médicaux, psychologiques, sociaux, mais aussi environnementaux, s’appuyant sur la pluridisciplinarité des acteurs et impliquant une démarche interministérielle compte tenu des différents domaines concernés. La coordination des acteurs et des financeurs, la définition d’axes stratégiques pertinents et l’évaluation des actions conduites s’imposent. Cela étant, l’avis des acteurs de terrain en contact direct avec les populations doit être privilégié, faute de quoi la concrétisation des mesures, aussi pertinentes soient-elles, risque de se heurter à la réalité du terrain.
Préserver l’autonomie. Si la longévité parait « héritable », par l’intermédiaire des caractéristiques génétiques individuelles, différentes études ont bien montré le rôle important joué par l’environnement. Ainsi, l’épigénétique a-t-elle toute son importance. L’épigénétique, « au-dessus de la génétique », correspond à une modulation de l’expression des gènes en fonction du comportement individuel. Ainsi, cinq facteurs interviennent et interagissent entre eux de manière positive lorsqu’ils sont réunis : une nutrition équilibrée, une activité physique régulière, un lien social structuré avec une harmonie du réseau professionnel, familial et social, la gestion du stress et le plaisir. Il faut répéter qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire….
Prévenir les pertes d’autonomie évitables au cours de l’avancée en âge. Prévenir ces situations représente un véritable défi, qu’il s’agisse d’interventions au domicile, avec le repérage des facteurs de risque de fragilité, mais aussi dans les établissements de santé. Ainsi, la fragilité, état intermédiaire entre la robustesse et la dépendance, expose notamment au risque de perte d’autonomie, d’institutionnalisation et de décès. Cet état est potentiellement réversible grâce à des interventions gériatriques multidisciplinaires. Le repérage de la fragilité pourrait ainsi permettre d’identifier les personnes à risque susceptibles de bénéficier d’interventions préventives leur évitant de basculer dans la perte d’autonomie. Ce constat renvoie à des organisations à adapter à la population concernée.
Stabiliser des situations caractérisées par une incapacité en préservant et valorisant les capacités restantes et en évitant une aggravation lorsque la récupération n’est guère possible, en particulier dans les maisons de retraite.
La recherche et l’innovation. C’est dire toute l’importance de l’innovation et de la recherche. La promotion d’une recherche pluridisciplinaire est un objectif prioritaire. Ses efforts doivent porter sur le rapprochement de deux mondes trop souvent distants : celui porté par les sciences médicales et celui porté par les sciences humaines et sociales. Le croisement des disciplines, les interfaces qui en résultent sont source d’un enrichissement qu’il faut savoir saisir. Mais, c’est un exercice difficile, qui mérite une réflexion et des actions adaptées.
L’importance du comportement individuel
Le comportement individuel joue un rôle important dans l’implication de la personne dans une démarche préventive.
Posséder des informations précises sur un risque potentiel est un préalable nécessaire. Mais cet apport ne s’avère pas toujours suffisant pour élaborer une stratégie d’évitement. Sans doute des paramètres classiques comme le niveau d’instruction générale, la capacité intellectuelle d’analyse des données ne sont-ils pas à négliger. L’efficacité d’un message de prévention dépend de sa pertinence et de sa qualité, mais aussi de la capacité de l’individu à le comprendre et à en intégrer son contenu.
Si la prévention repose sur une évaluation des risques, elle doit aussi, pour une large part, apprécier la capacité d’une personne à les percevoir et à adopter des conduites d’anticipation nécessaires pour réaliser une protection efficace.
La loi d’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015
Cette loi propose un changement de paradigme. C’est une loi « autonomie » et non pas une loi « dépendance ». Si l’axe 1 de la loi de modernisation du système de santé est consacré à la prévention, la loi d’adaptation de la société au vieillissement apporte une déclinaison de cet axe dans le cadre du vieillissement. Elle valorise la préservation de l’autonomie et la prévention de la perte d’autonomie.
Il faut souligner que la démarche est bien globale, incluant les aspects sanitaires, sociaux et environnementaux (habitat, urbanisme, transports…). Elle aménage également la gouvernance de cette politique, tant au niveau national que local.
Sa mise en œuvre est rapide. Les principaux textes permettant l’application concrète des nouvelles aides et des nouveaux financements ont été pris, s’agissant de la réforme de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), l’aide aux aidants, la refondation des services d’aide à domicile, les outils de conception et de financement des nouveaux dispositifs de prévention.
De même, les textes définissant les conférences départementales des financeurs, les conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie et le Haut conseil de la famille de l’enfance et de l’âge sont disponibles.
Dans chaque département, la Conférence des financeurs établit un diagnostic des besoins des personnes âgées de 60 ans et plus, recense les initiatives locales et définit un programme coordonné de financement des actions individuelles et collectives de prévention.
Ces financements alloués interviennent en complément des prestations légales et réglementaires. Ce dispositif s’inscrit dans un cadre général de politique de prévention de la perte d’autonomie.
L’adaptation de la société au vieillissement constitue non seulement le « fil rouge » de l’ensemble du texte, mais aussi l’un de ses volets développe l’habitat collectif « intermédiaire », sous toutes ses formes : résidences-autonomie (auxquelles la loi confère une mission de prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées), résidences-services….
Ce volet porte aussi sur les territoires, les transports et l’habitat, ainsi que sur les droits des personnes âgées ou vulnérables et leur protection.
Le Plan national d’action de prévention de la perte d’autonomie (PNAPPA)
Pour aider les conférences départementales des financeurs dans leurs missions, mais aussi les professionnels de la gérontologie, le PNAPPA est à leur disposition. Ce plan propose des mesures opérationnelles qui seront utiles dans les prises de décision. Il met l’accent sur le caractère non systématique de la perte d’autonomie avec l’avancée en âge. Il valorise les idées d’anticipation, de prévention et d’autonomie : « le capital autonomie ». Il dégage six axes déterminants (onze enjeux et vingt-huit mesures) au plan stratégique :
- Améliorer les grands déterminants de la santé et de l’autonomie ;
- Prévenir les pertes d’autonomie évitables ;
- Éviter l’aggravation de situations déjà caractérisées par une incapacité ;
- Réduire les inégalités sociales et territoriales de santé ;
- Former les professionnels ;
- Développer la recherche et les stratégies d’évaluation.
La conduite du PNAPPA est menée par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) qui en assure son suivi opérationnel et sa démarche d’évaluation. L’évaluation s’inscrit dans le cycle des politiques publiques. Elle permet de rendre compte, de comprendre l’enchainement des causes et effets et d’éclairer les choix futurs. Dans le champ de la prévention de la perte d’autonomie, les activités multiples et la transversalité des actions rendent l’évaluation complexe. Le PNAPPA a été préparé en lien avec le Haut conseil de la santé publique afin de permettre son évaluation continue tout au long de sa mise en oeuvre. Ainsi, des premiers indicateurs par mesures ont été spécifiés dans les fiches-actions objectivant la réalisation effective des mesures et leur impact.
La DGCS vient de lancer une offre d’achat d’une prestation méthodologique pour l’évaluation du PNAPPA afin d’observer ses impacts dans les dimensions suivantes :
- Le niveau d’information des personnes âgées des actions de prévention sur leur territoire et des modes d’accompagnements existants autour de la perte d’autonomie ;
- La mise en oeuvre des actions préconisées par le plan en identifiant le cas échéant les disparités territoriales constatées ;
- L’amélioration de la connaissance par les professionnels travaillant auprès des personnes âgées des risques de fragilités des personnes âgées pour développer une prévention de la perte d’autonomie ;
- Le repérage des actions structurantes pour développer la prévention de la perte d’autonomie ;
- L’identification des changements « favorables au vieillissement » développés sur les territoires dans leurs habitats et leurs villes.
Donc, à suivre…
En conclusion, le vieillissement harmonieux ne résulte-t-il pas finalement d’un dialogue constructif entre la personne, son environnement et les pouvoirs publics ? Chaque personne est unique avec son état de santé, son comportement et les caractéristiques de son milieu. Mais quelle place la société réserve-t-elle aux personnes âgées ? Quelles sont les représentations sociales de la vieillesse ? Le rôle des pouvoirs publics est important pour tout ce qui concerne l’analyse des besoins et l’organisation des réponses. La prévention en général et la prévention de la perte d’autonomie en particulier représentent des mesures qui, parmi d’autres, s’imposent à notre système de santé – secteurs sanitaire, médico-social et social – afin de lui permettre de s’adapter aux transitions évoquées. Son développement doit aussi contribuer à la réduction des inégalités sociales en santé.
Docteur Jean-Pierre Aquino
Président du comité Avancée en Âge