Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des Affaires économiques et financières, de la Fiscalité et de l’Union douanières nous livre son analyse sur l’Europe post Brexit.
Revue Politique et Parlementaire – Les réussites de l’Union européenne ne se comptent plus et notre modèle européen fait l’objet d’admiration pour ne pas dire d’envie : un espace de liberté et de paix qui a permis d’oublier les guerres passées, un niveau de vie parmi les plus élevés du monde, un modèle social avancé, une politique environnementale raisonnable comme l’a confirmé la Cop 21, tout cela est à mettre au crédit de la construction européenne. Mais la fragilité de la zone euro – avec le risque de Grexit – la crise des réfugiés que l’on n’a pas su résoudre – sauf l’Allemagne – de manière digne et responsable, effaçant ainsi en quelque sorte Schengen, les résultats du référendum britannique marquent un essoufflement de l’UE que certains considèrent comme proche de l’implosion. Quelles sont les solutions et les voies que l’on peut indiquer pour restaurer la confiance dans l’Europe ?
Pierre Moscovici – La construction européenne a, c’est vrai, engrangé de nombreuses réussites. Les acquis de paix, de valeurs partagées, de monnaie unique et d’espace de libertés sont aujourd’hui garantis.
Mais les risques sont réels pour l’avenir du projet européen, après les résultats du référendum britannique notamment, et alors que les populismes s’étendent en Europe. Les interrogations et les attentes pour une Europe des résultats se font ressentir de plus en plus précisément.
L’Union à 27 devra donc redoubler d’efforts pour apporter des solutions et des réponses aux attentes des citoyens. L’Europe a encore beaucoup à leur offrir. Et je souhaite que l’Union soit vue à nouveau comme une opportunité, et non comme une menace ; comme une source de protection et d’espoir, pas comme une contrainte.
Le sommet de Bratislava, le 16 septembre, sera un rendez-vous crucial pour l’avenir de l’Union européenne. Des idées précises et novatrices devront être mises sur la table. Et j’attends de la France qu’elle soit au rendez-vous, et qu’elle monte au créneau européen.
RPP – Certains critiquent le « déficit démocratique » utilisé par les institutions européennes pour assurer la gouvernance et prendre les décisions qui s’imposent. Et de citer à l’appui le contournement du « non » français au référendum de 2005 qui a annihilé le vote des électeurs. Comment insuffler plus de démocratie dans les institutions européennes ? Comment les faire évoluer ?
Pierre Moscovici – J’entends les critiques d’un déficit démocratique des institutions européennes, elles sont en partie compréhensibles. Car les citoyens européens ont le sentiment de ne pas être associés ni assez informés des décisions prises à Bruxelles. Ils ont le sentiment que la gouvernance européenne se fait sans eux, de manière lointaine et technocratique. Nous devons répondre à ces critiques, car c’est l’adhésion même au projet européen qui est ici en jeu.
Il y a déjà eu de réels progrès faits pour combler ce déficit démocratique. Ainsi, Jean-Claude Juncker a été nommé selon la règle du « Spitzenkandidat » – ou « principal candidat » –, qui veut que le Président de la Commission européenne soit issu de la majorité du Parlement européen. L’ensemble du Collège a aussi été auditionné par les Parlementaires européens. Et je me rends moi-même régulièrement au Parlement français, pour rendre compte de mes actions de Commissaire devant la représentation nationale. Enfin, le Président Juncker a été très clair dès son investiture : les Commissaires sont des ambassadeurs de la Commission dans les États-membres respectifs. C’est pourquoi j’ai entamé un tour des régions françaises, pour aller à la rencontre des citoyens, et combler cette distance perçue entre la vie quotidienne de nos concitoyens, et le fonctionnement des institutions. Nous avons aussi adopté l’an dernier une approche révisée du semestre européen, passant notamment par un dialogue démocratique renforcé.
Mais il existe, c’est vrai, des pistes pour insuffler plus de démocratie dans les institutions européennes. Je crois par exemple qu’il est indispensable que des réflexions sur la démocratisation de la zone euro se poursuivent, notamment sur sa représentation par un ministre des Finances de la zone euro, qui soit responsable devant le Parlement européen.
RPP – De nombreux pays sont confrontés à des défis importants : faible croissance, crise migratoire, terrorisme. Le pacte de stabilité et de croissance ne risque-t-il pas d’être remis en cause face aux mesures que doivent prendre ces pays ?
Pierre Moscovici – Je veux le dire très clairement : le Pacte de stabilité et de croissance est notre règle, il doit être respecté et appliqué. Un peu comme un règlement de copropriété auquel chacun des propriétaires a souscrit, et qu’il doit respecter, pour lui-même et pour les autres.
Si ces règles sont complexes, elles sont aussi intelligentes. Elles peuvent prendre en compte certaines flexibilités, dans des cas précis. Il n’est ainsi par exemple pas question de casser la reprise en cours, mais au contraire de soutenir les investissements tournés vers l’emploi et la croissance.
L’idée n’est pas d’avoir un Pacte à la carte, mais bien de l’appliquer de manière intelligente, par la Commission comme par le Conseil de l’Union européenne. Car c’est la crédibilité même de nos décisions et celle de nos institutions qui sont alors en jeu. La Commission a toujours agi dans l’intérêt général européen et selon nos cadres communs. Je peux vous assurer qu’elle continuera à le faire, sans aucune compromission.
RPP – Plusieurs dangers guettent l’avenir de la construction européenne. Le premier, celui de la désintégration politique. Phénomène que connaissent la Hongrie avec le gouvernement Orban et le Royaume-Uni avec le Brexit. Le second consiste dans la fragilité de l’euro et ses incertitudes. Quels sont les remèdes ?
Pierre Moscovici – Pour répondre aux dangers et aux défis qui guettent l’avenir de la construction européenne, je suis convaincu qu’il faut construire une meilleure Europe, plus proche, plus prospère, plus démocratique, et plus compréhensible. Après le référendum sur le Brexit, certains ont la tentation d’une « pause » dans le projet européen. Ce serait pour moi une impasse, avec le risque d’une Europe qui se sclérose lentement.
Nous devons donc aller de l’avant et élaborer des réponses de fond. J’en vois quatre principales.
Il faut d’abord satisfaire l’aspiration à une Europe qui protège. Nous devons progresser en matière de politique de défense, de sécurité, garantir nos frontières, et traiter au mieux la question des réfugiés.
Ensuite, il faut créer plus de croissance et d’emploi, et combler le déficit d’investissement. Le Plan Juncker est aujourd’hui une véritable réussite, un an après son lancement : 100 milliards d’euros en Europe, et déjà près de 15 milliards d’euros en France. C’est pourquoi le Président Juncker a annoncé qu’il sera prolongé.
Il est aussi indispensable d’approfondir la zone euro. Elle a besoin d’une politique économique plus efficace, d’une capacité budgétaire et d’une gouvernance plus démocratique, avec une sorte de Parlement de la zone euro. Je veux aussi dire qu’il n’y pas d’incertitude sur l’avenir de l’euro en tant que monnaie commune : c’est au contraire un facteur de stabilité et d’adhésion incontestable. Les sondages montrent d’ailleurs une adhésion forte des citoyens à la monnaie unique.
Enfin, je suis convaincu qu’il nous faut améliorer le fonctionnement de nos institutions. Je ne suis pas favorable à un traité global, qui fasse table rase de l’existant. Mais nous pouvons recentrer l’Europe sur ses priorités, agir plus vite, communiquer mieux, être plus transparents.
Tout ceci est essentiel pour apporter des remèdes au malade européen. Et j’entends être force de propositions dans les discussions qui s’ouvrent sur chacun de ces thèmes.
RPP – Quelles actions la Commission européenne a-t-elle mises en place pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale ?
Pierre Moscovici – La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale est une priorité forte de l’action de la Commission. Nos actions en faveur d’une fiscalité plus juste, plus équitable, et plus simple sont attendues par nos concitoyens et par les ONGS. Et les révélations de scandales fiscaux ces derniers mois nous ont aidés à avancer toujours plus loin, avec le soutien des États-membres.
Nous avons engrangé des réussites fiscales majeures ces derniers mois. Notre proposition de directive ATAD contre l’évasion fiscale a été adoptée par les États-membres, tout comme celle sur l’échange des déclarations pays par pays entre les administrations fiscales des États-membres concernant des informations fiscales essentielles sur les entreprises multinationales. J’ai aussi présenté la semaine dernière un ensemble de mesures fiscales suite aux Panama Papers, afin que les autorités fiscales aient un accès garanti à des informations collectées dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux. J’ajoute que les États-membres négocient actuellement une proposition, elle aussi ambitieuse, concernant la publication d’informations pays par pays par les grandes multinationales. Et j’ai signé ce mois avec Monaco un accord de transparence fiscale, pour permettre le partage des informations essentielles sur les comptes financiers des non-résidents. Après les accords signés avec la Suisse, Saint Marin, Andorre et le Liechtenstein, la fin du secret bancaire est une réalité en Europe.
Nous avons mis de l’ordre dans la maison fiscale Europe : nous intensifions aussi la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale à l’international. Nous avons le soutien des États-membres pour une liste de l’Union européenne des États tiers non coopératifs en matière fiscale. Notre objectif est que cette liste noire commune des paradis fiscaux soit finalisée l’an prochain.
Ma détermination est donc entière pour une fiscalité plus équitable, plus simple en Europe. Et je garderai ce cap tout au long de mon mandat, car j’ai le sentiment de mener le bon combat, au service d’une révolution de la transparence fiscale qui se poursuit.
Pierre Moscovici,
Commissaire européen chargé des Affaires économiques et financières, de la Fiscalité et de l’Union douanières
Propos recueillis par Mario Guastoni et Florence delivertoux