Eugène Berg, enseignant au CEDS, a rédigé pour la Revue Politique et Parlementaire la recension de Le KGB contre l’Ouest. 1917-1991. Les archives Mitrokhine paru aux éditions du Nouveau Monde (2025, 970 p.)
Quel est l’intérêt de publier ces « Mitrokhine Archive, trente ans après leur sortie en 1995 chez Fayard ? On se souviendra qu’ayant été exfiltré par les services secrets britanniques (ISI), en 1992 en Lettonie, après la chute de l’Union soviétique, le colonel Vassili Mitrokhine (1922-2004) – qui fut, de 1972 à 1984, responsable de la documentation du renseignement extérieur du KGB, a risqué sa vie pendant près de vingt ans en recopiant les archives secrètes du renseignement soviétique dont il fut l’unique dépositaire. Entré au KGB en 1948 en pleine guerre froide, il en survécut les principaux épisodes au sein de la puissante division politique spécialiste des actions extérieures, fonction qui est dévolue depuis 1992Y, au SVR. Nommé à l’étranger, désigné pour mener certaines opérations spéciales, il fut rappelé à Moscou du fait de son manque d’efficacité pour être muté au service des archives, une belle voie de garage. Il en fit vite une extraordinaire source de témoignages qu’il s’est juré de livrer, un jour, à l’Ouest, ce qui rend sa déposition sans précédent. En effet, si très tôt, dissidents, transfuges ou opposants ont décrit la pénétration du KGB dans le monde occidental, personne avant n’avait fourni une telle masse de renseignements contenant des milliers de noms d’espions infiltrés, ou autres agissant dans les capitales de l’OTAN. Au surplus, il détenait des informations de première main sur le fonctionnement interne du KGB, de ses dirigeants, de leurs parcours, idées, fidélités et ambitions. Il livre ainsi des informations sur Youri Andropov, ambassadeur en Hongrie lors de la répression de 1956, qui devint chef du KGB en 1967, avant de succéder en 1982 à Léonid Brejnev à la tête du Parti. Le fait que Vladimir Poutine ait intégré la police secrète durant les années du règne d’Andropov est bien un des intérêts de ce livre.
Fruit d’une longue collaboration avec l’historien britannique Christopher Andrew, spécialiste des services secrets, qui s’est plongé dans ces archives conservées au Churchill Archives Center de Cambridge, ces archives dévoilent une foule d’informations qui constituent une part essentielle de l’histoire de la guerre froide. Elles ont fait l’objet dans cette nouvelle édition de l’apport des travaux antérieurs et de la documentation disponible sur le sujet. L’appareil de notes ainsi que la bibliographie, quelque 120 pages, livrent de précieuses indications sur les sources supplémentaires utilisées pour replacer les révélations de Mitrokhine dans leur contexte historique. On revisitera les grands épisodes de la guerre froide, 1956, répression de l’insurrection hongroise, 1968, écrasement du Printemps de Prague, 1979, intervention en Afghanistan, 1983, crise des euro- missiles. On y trouvera bien des confidences comme le fait que le primat de Pologne, le cardinal Glemp, était un agent du ministère polonais de l’Intérieur
Parmi les pays les plus infiltrés par le KGB, on retrouve l’Italie et la France, les deux pays occidentaux ayant eu les partis communistes les plus puissants. Pourtant, la France fut l’un des pays plus réticents à mettre à jour ces archives qui contenaient les appellations de dizaines de contacts et de taupes : patrons de presse, scientifiques, responsables politiques, diplomates, etc., socialistes comme gaullistes. Ces noms ont depuis été divulgués dans la presse ou dans des ouvrages sur l’espionnage ou les activités du KGB, mais l’intérêt de Mitrokhine est qu’il constitue une étude systématique, globale et structurée. La mention d’un nom dans un dossier ne signifie pas pour autant que la personne a forcément collaboré. Des intellectuels ou des politiques peuvent être cités en raison de leur antiaméricanisme sans être des « agents ». Les officiers du KGB ont pu « gonfler » la valeur de leurs contacts pour se faire briller auprès du Centre, à Moscou.
Il ne s’agit pas seulement de renseignement politico – diplomatique, mais de la recherche méthodique de la science et la technologie occidentales, à l’adresse desquelles Joseph Staline manifestait une grande admiration. Durant des décennies 70% des technologies soviétiques provenaient de sources occidentales. Ceci a pu entretenir chez les Occidentaux, le sentiment d’un retard systématique de l’URSS dans ce domaine, qui a provoqué plusieurs chocs, comme le Sputnik en 1957, qui ne fut pas le dernier.
Eugène Berg
Enseignant au CEDS