Pour Eric Cerf-Mayer l’événement politique de vendredi dernier augure bien mal des débats politiques futurs…
La Saint Valentin dans un village de l’Ouest est tombée cette année le même jour que celui du marché hebdomadaire et, à l’approche des élections municipales, les candidats des deux listes en compétition distribuent leurs tracts de campagne quand soudain retentit dans les allées la nouvelle de ce qui s’est passé dans la capitale et les commentaires vont bon train, soulignant le décalage entre ce que l’on se plait à qualifier de pays réel ou profond et ceux qui ont accès aux media et façonnent l’opinion du jour en opposant bien souvent monde ancien et monde nouveau. Très vite, les sujets de conversation du moment, la succession des tempêtes au cours d’un hiver d’une exceptionnelle douceur, la crise sociale autour de l’interminable confrontation entre défenseurs et opposants au projet de réforme des retraites ou l’épidémie mondiale de coronavirus, laissent la place à des commentaires d’une variété bien éloignée des réactions enregistrées dans la capitale sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio, pour ne pas parler des réseaux sociaux d’où a surgi l’affaire qui défraye la chronique de ce 14 février 2020.
En examinant les propos tenus par les clients et les vendeurs de ce petit marché de l’Ouest sans porter de jugement sur leur teneur et à chaud, on peut tirer des enseignements sur la relativité des évènements dans un monde où plus personne ne se donne le recul nécessaire pour se faire une opinion objective et raisonnée des faits. Les commentateurs de la capitale et au niveau national, qui ont parlé de déflagration et semblent en état de sidération devant la soudaineté de ce qui caractérise un coup monté dont il serait sain que la justice se saisisse rapidement, semblent avoir oublié combien la violence peut être exacerbée dans le combat politique en période de crise comme celle que traverse la France depuis plus d’un an… Les élections municipales et leurs enjeux peuvent générer des règlements de comptes redoutables et des attaques violentes contre ceux qui briguent un mandat. A-t-on oublié ce qui a pu se passer dans des grandes villes comme Toulouse naguère ou tout récemment au Havre, dans ces deux cas mémorables également par le biais d’attaques portant sur la vie privée des personnes ciblées ? La frontière est ténue en politique entre vie privée et exposition publique et la rançon est lourde bien souvent pour accéder au premier rang dans la cité. L’exigence d’exemplarité fait confusément partie de ce que les citoyens attendent de leurs élus, dans un monde où paradoxalement le voyeurisme et l’intrusion dans la vie privée ont pris le pas sur le respect des individus et de soi-même…
En remontant beaucoup plus loin dans le temps et sous toutes les latitudes, l’histoire nous fournit abondance d’exemples où tout semble permis pour abattre l’adversaire politique et très souvent dans les périodes de décomposition du tissu institutionnel ou social.
Les tweets assassins d’aujourd’hui ressemblent aux pamphlets et libelles de la fin de l’Ancien Régime dont le contenu d’une rare insanité remuait une boue nauséabonde qui allait peu à peu enfler en torrent pour emporter et conduire sur l’échafaud la personne même des Souverains.
Les plus virulents étaient le plus souvent concoctés dans l’entourage proche des victimes de ces attaques mortelles… Plus près de nous sous la Cinquième République, il n’est pas une période électorale qui n’ait été entachée d’atteintes contre les candidats pour entraver leur course et le plus souvent avec succès, la dernière en date visant le candidat adoubé par la droite en 2017. Dans de nombreux cas, la limite était franchie entre vie privée et vie publique… La nature du régime politique importe peu et les faits sont aisément déformés, mis en scène et orchestrés pour abattre la cible, en méprisant la gravité des effets collatéraux sur les entourages et les familles. Pour autant, les personnages publics doivent-ils occulter le danger auquel ils sont exposés à partir du moment où ils sont entrés en lumière, tant il est vrai que la relative gloire qui les auréole n’est en définitive que le deuil de leur bonheur domestique ou de leur liberté individuelle ? Puisqu’un des instruments et déclencheurs de la tempête médiatique et politique qui caractérise l’entrée dans la période électorale des municipales de 2020 est originaire de l’Est de l’Europe, on peut illustrer le propos par le scandale provoqué au moment de l’effondrement de l’Empire russe par la publication des lettres privées de la Tsarine Alexandra au starets thaumaturge qui soulageait les souffrances de l’héritier, son fils hémophile, le Tsarévitch Alexis ; cette correspondance intime et poignante parvenue dans les mains de membres de la Douma allait contribuer à dégrader un peu plus l’image de la famille du Souverain dans le climat de déliquescence généralisée du régime impérial à son crépuscule…
Alors sur le marché du village de l’Ouest dont il est question, sarcasmes, indignation, quelques rires se mélangent à un sentiment de malaise diffus qui finit par l’emporter sur toute autre considération.
La violence est ancrée en vie politique de tout temps mais c’est en période de crise et de dérive médiatique qu’elle s’avère le plus dangereuse pour la démocratie et qu’elle prend le plus de relief.
Avis de tempête annoncée ou galop d’essai avant d’autres joutes électorales cruciales à venir pour le pays, l’évènement du jour de cette Saint Valentin de 2020 augure bien mal des débats politiques futurs… Il donne même la nausée quand on le met en perspective dans l’opposition factice entre monde nouveau et monde ancien et il ne grandit ni n’épargne personne en alimentant la boue charriée par des réseaux sociaux inexorablement, faute de recul et de retenue individuelle dans leur usage. Et chacun se demande quelle sera l’étape suivante et jusqu’où ira cette triste dérive ?
Eric Cerf-Mayer