Pour la Revue Politique et Parlementaire, Raphael Piastra, Maitre de conférences de droit public à l’Université Clermont Auvergne, revient sur l’avis rendu par le Conseil d’Etat sur le projet de réforme des retraites.
La réforme des retraites était un point essentiel du programme présidentiel du candidat Macron. Devenu président, ce dernier souhaite le mettre à exécution. Il n’y a là rien de plus normal. Mais les retraites sont, en France, un point ultra-sensible, notamment quand il faut mettre à plat tous les régimes particuliers (pour certains très avantageux…). Le gouvernement Philippe s’est donc attelé à la tâche et une fronde sociale s’est, comme on pouvait s’y attendre, mise en marche.
Le gouvernement a décidé de saisir le Conseil d’Etat (CE) comme il est de rigueur (article 39 C.) du projet de loi instituant un système universel de retraite.
Rappelons en quelques mots ce qu’est le CE et son rôle notamment dans ledit projet de loi.
Le CE a été créé par Napoléon 1er dans la Constitution du 22 Frimaire An VIII. A l’origine il détient exclusivement des compétences consultatives. Celles-ci sont donc toujours d’actualité. Ainsi il émet des avis juridiques sur chaque projet de loi ou de décret sur saisine du gouvernement. Il s’agit d’un avis consultatif qui ne vaut en aucun cas obligation. Mais ainsi que l’a souligné notre collègue Mme Belloubet, c’est « un contrôle de conformité constitutionnelle » (Europe 1, 29 janvier 2020). Mais malgré les avis, rappelons que certains textes votés se retrouvent déférés devant le Conseil constitutionnel et parfois censurés !….
Dans le cas qui nous occupe, ce sont les textes relatifs à la mise en place d’un système universel de retraite qui ont été soumis à la sagacité du CE. Nous allons y revenir.
L’autre fonction du Conseil, la plus importante, est juridictionnelle (articles L.111-1, L.122-1, L.311-1 et L. 321-1 du Code de justice administrative). Il est la juridiction administrative la plus élevée. Il est ainsi juge de premier ressort de certains litiges, juge d’appel de jugements des tribunaux administratifs (exemple : contentieux électoral pour les municipales) et enfin plus haute fonction juridictionnelle, il est juge de cassation de jugement des cours administratives d’appel ainsi que de toutes les juridictions administratives rendant des jugements en dernier ressort (exemple : Cours des comptes).
Dans l’affaire qui nous concerne, c’est donc en formation consultative que le CE a œuvré. Saisi le 3 janvier, il a rendu son avis le 20 janvier (ledit avis est consultable sur le site du CE : conseil-etat.fr). La réforme des retraites est un dossier toujours sensible en France. On peut parler d’une guerre de trente ans (Les Echos). En effet du livre blanc (à peine griffonné !) de Rocard en 1991 jusqu’à aujourd’hui (en passant par le plan Juppé de 1995 à Fillon en 2008) peu de réformes d’ampleur ont été mises en place. La rue a souvent eu raison des textes… La réforme impulsée par le gouvernement Philippe est d’une autre envergure car elle touche à l’universalité du système. C’est osé et risqué. Chacun a pu constater voire endurer les grèves qui sévissent depuis bientôt deux mois. Record depuis 1968 !
Il s’avère que dans son avis le CE n’est pas totalement au soutien du projet gouvernementale.
C’est un euphémisme. Analysons les principaux points dudit avis. D’abord il critique le recours par le gouvernement à une trentaine (29 exactement) d’ordonnances (article 38 C.) ce qui « fait perdre la visibilité d’ensemble ». Il pointe par ailleurs des projections financières « lacunaires ». Notamment une « étude d’impact pas assez poussée et que dans certains cas, cette étude reste en deçà de ce qu’elle devrait être”. Et les hauts magistrats de préciser “Il incombe au gouvernement de l’améliorer encore avant le dépôt du projet de loi au Parlement, en particulier sur les différences qu’entraînent les changements législatifs sur la situation individuelle des assurés et des employeurs, l’impact de l’âge moyen plus avancé de départ à la retraite […] sur le taux d’emploi des seniors, les dépenses d’assurance-chômage et celles liées aux minima sociaux. On le note le Conseil analyse très au fond le projet.
Soulignons que le jour même où le gouvernement a adopté le projet en Conseil des ministres, le CE a souligné que l’engagement de revaloriser les enseignants-chercheurs était voué à disparaitre du texte. Disons au passage que les émoluments desdits enseignants sont parmi les plus faibles des grands pays européens. Mais notre statut constitutionnel d’indépendance ne permet pas à ceux qui nous gouvernent de « toucher » cette catégorie comme ils veulent !…
Le CE , c’est rare, a déploré n’avoir disposé que de trois semaines pour rendre son avis sur les textes qui lui étaient soumis et que, dans le même temps, le gouvernement les modifia à six reprises durant la même période.
Le nouveau « M. Retraites » du gouvernement (M. Pietraszewski remplaçant de M. Delevoye confronté à un conflit d’intérêts) a souligné que le Conseil avait « quand même validé la quasi-totalité des deux textes (…) et ils ont fait des recommandations au gouvernement que le gouvernement entend (puisse-t-il les écouter !) ». Peu avant il s’était justifié en estimant que « le cadrage budgétaire est clair. Nous ne faisons pas ça pour faire des économies, nous le faisons pour être plus redistributifs, plus solidaires ». Osons le dire, plus justes.
Le compte n’y est cependant pas pour les opposants à la réforme, ragaillardis par cet avis (qu’ils n’ont pas tous bien lu) puisqu’une 8è nouvelle journée d’action est programmée le mercredi 29.
Par ailleurs le projet, retouché en tenant compte de l’avis du Conseil selon Mme Belloubet, doit être transmis à l’Assemblée nationale le 17 février en procédure accélérée (article 45 C).
Également le jeudi 30 janvier une conférence de financement doit être installée pour trouver (enfin ?) les moyens d’amener le système à l’équilibre en 2027. De son côté les avocats (dont la fronde est une des plus suivies depuis des décennies) par la bouche de Mme Feralschul (présidente du Conseil national des Barreaux soit environ 80 000 robes noires) a opiné que l’avis du CE était « un élément qui changeait la donne ».
On achèvera avec la ministre qui a, selon nous, le mieux résumé la situation actuelle, Mme Buzyn, ministre de la Santé : « Nous notre responsabilité, c’est d’apporter les réponses à toutes ces questions. La conférence de financement et le débat parlementaire vont nous permettre de le faire. » (le Grand Jury RTL – Le Figaro – LCI , 26 janvier 2020). Elle a concédé que, bien évidemment, l’exécutif aurait « préféré un autre avis du Conseil d’Etat ».
Raphael Piastra
Maitre de Conférences de droit public à l’Université Clermont Auvergne