Entre lourdes inégalités socio-économiques et destructions massives de la biodiversité, l’image du Brésil apparaît assez entachée avec l’empreinte de Jair Bolsonaro. Toutefois, le nouveau président, Luiz I. Lula da Silva s’arcboute sur une nouvelle politique, moins sectaire, visant à redonner une place plus prometteuse au Brésil, sur l’échiquier international.
Au sein des BRICS, acronyme adopté vers 2001 par un analyste, Jim O-Neil, employé de Goldman Sachs, le Brésil, avec ses 8,5 millions de km², participe en effet à ce groupe de pays dont il y a fort à parier qu’ils pèseront de manière conséquente, d’ici à 2050. Ainsi, le Brésil compte bien crédibiliser son image de nation-phare des pays dits émergents. Et, à l’évidence, le pays s’inscrit dans un non-alignement sur les Etats-Unis. Mais il reste miné par ses propres contradictions et ses fragilités systémiques.
Elu en octobre dernier avec 50,9 % des voix, contre 49,1 % pour Jair Bolsonaro, Lula da Silva revient donc sur le devant de la scène, auréolé de son image de fondateur du Parti des Travailleurs (Partido dos Trabalhadores) en 1980, de son ancien statut de président (entre 2003 et 2010), quoique entaché par sa condamnation en 2019 pour corruption et blanchiment d’argent, à 12 ans et 11 mois d’emprisonnement ; condamnation annulée en 2021 par la Cour Suprême du Brésil, suite aux révélations du juge Sergio Moro, en charge du dossier, qui a reconnu qu’il n’y avait aucune preuve probante.
Il est donc clair que Lula da Silva est observé et très attendu en matière de politique réparatrice et salvatrice.
Une alternance politique, sur fond de profonde dichotomie sociale
Socialement, le Brésil est incontestablement sinistré. On retient en général que sur ses 216 millions d’habitants, on dénombre près de 10 millions de chômeurs (avec un taux en baisse depuis 2022) et plus de 15 % de la population exposée à la malnutrition, soit 34 millions de personnes environ.
Le gouvernement de Lula a promis d’assurer des allocations mensuelles aux plus pauvres (à hauteur de 600 réais ou 110 euros), quitte à dépasser le plafond des dépenses de 145 milliards de réais, ce que lui a accordé le Congrès.
Pour autant, il reste beaucoup à faire dans la lutte contre les narcotrafiquants et le monde des gangs, sur fond de guérilla urbaine, dans les favelas.
La société est devenue encore plus violente, au point que la vente officielle d’armes a augmenté de 90 % sous le mandat de Bolsonaro. Le crime organisé, combinée à la corruption, perdure tragiquement.
À la tête du Brésil de 2019 à début 2023, Jair Bolsonaro a témoigné de la volonté d’une partie de la population brésilienne – puisque élu avec 55,1 % des suffrages au second tour – de renouer avec une politique de droite, nappée de conservatisme et, surtout, de néolibéralisme effréné. La priorité était en effet donnée à l’exploitation des ressources naturelles, sur fond de privatisations à tout crin : production de viande bovine (l’une des premières au monde avec plus de 3 millions de tonnes de viande exportée chaque année), par le biais d’immenses fermes quasi industrielles ; la production de soja (plus de 135 millions de tonnes par an) et la déforestation galopante de l’un des derniers poumons du globe au profit de l’industrie forestière.
Ajoutons à cela le poids des extractions minières qui se multiplient massivement, telles les mines de fer dans l’État du Minas Gerais (sud du pays).
Le secteur minier est très lucratif et a vu, par exemple, ses les bénéfices augmenter de 36 % entre 2019 et 2020, avec 209 milliards de réaux de profit (soit plus de 39 milliards d’euros) pour les entreprises.
Le Brésil est ainsi le premier producteur mondial de fer, le 5ème de lithium et d’étain, sans oublier une place de marque pour le manganèse (3ème rang) la bauxite (2ème rang) ou l’or…
L’économie brésilienne s’est affichée, en soi, décomplexée, au profit de riches groupes nationaux et internationaux. Milieu du bâtiment, compagnies pétrolières, entreprises de l’industrie forestière. Autant de secteurs d’activités très impliquées dans un affairisme sans éthique, sur fond de corruption.
La corruption est tellement systémique qu’en mai 2023, l’ancien président brésilien Fernando Collor de Mello, en poste de 1990 à 1992, a été reconnu coupable de corruption de blanchiment d’argent par la Cour suprême du Brésil, pour une affaire le concernant alors qu’il était sénateur (2010-2014).
Tout un symbole lorsque l’on sait que l’intéressé fut aussi le premier chef d’Etat à être élu au suffrage universel après les trente années de dictature militaire qu’a traversé le pays de 1964 à 1985.
La question environnementale : un enjeu capital
La président Bolsonaro garde l’image de chef de file des climatosceptiques, véritable pendant de Donald Trump en la matière, vecteur de l’accélération de la déforestation, tout comme de l’extraction minière illégale
Au cours du 1er semestre 2022, plus de 4 000 km² ont ainsi été déboisés, soit une hausse de plus de 10 % par rapport à 2021. Et cela au détriment des peuples autochtones dont les terres ancestrales ne cessent de se réduire et d’être désacralisées par des intrusions de plus ne plus massives d’entreprises dénuées d’éthique, focalisées sur leur seule rentabilité, n’hésitant pas à faire éliminer tant des représentations des populations indiennes, que des représentants d’organisations non gouvernementales, déterminées à dénoncer les destructions effroyables des espaces naturels.
Dès lors, le régime Lula communique pour promettre la fin de la déforestation illégale d’ici 2028. Mais les dégâts enregistrés notamment depuis 2006 sont effroyables, à raison de plus de 10 000 à 13 000 km² de forêt détruite en moyenne chaque année.
Le Brésil est donc très observé sur le dossier de la préservation des écosystèmes et de la biodiversité, comme sur des engagements tangibles à travers la COP28 qui se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023. Et surtout, le Brésil a fait savoir qu’il accueillerait la COP 30, en 2025… dans la ville de Belem… située au cœur de l’Amazonie… Conjointement, il s’agira aussi de protéger les droits des peuples indigènes, particulièrement mis à mal depuis des décennies…
Echiquier international : Chine, en premier lieu, et multilatéralisme
Pour Jair Bolsonaro, hier, et Lula, aujourd’hui, la finalité demeure la même : inscrire le Brésil sur un échiquier diplomatique où le pays est en mesure de participer à une affirmation des pays dits émergents, notamment au sein des BRICS, comme pays co-leader.
Le président Lula répète qu’il veut conforter la coopération intercontinentale, entre l’Amérique latine et l’Afrique notamment, tout en réactivant les relations avec les autres pays du Mercosur (Argentine, le Paraguay et l’Uruguay et le Vénézuela, quoique suspendu en 2017).
Il n’occulte pas pour autant les pays européens, sachant que l’Union européenne se présente comme principal investisseur au Brésil. Et Lula dit vouloir maintenir des liens constructifs avec les Etats-Unis, mais absolument pas sur le même pont stratégique qui avait été établi entre Jair Bolsonaro et Donald Trump.
Toutefois, c’est plutôt la Chine qui, en la matière, conforte son assise, sur fond d’un commerce bilatéral conséquent. Le soja, la viande et le bois du Brésil intéressent le marché chinois. En retour, la Chine vend des produits manufacturés.
De surcroît, en amont du prochain sommet de BRICS prévu en août 2023, on sait combien la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud comptent bien établir leur propre structure dédiée au soutien financier à l’international, loin des références classiques nées des accords de Bretton Woods, en juillet 1044. Ainsi, le Fond monétaire international et la Banque mondiale sont décriées pour leur stratégie misant sur les politiques d’austérité en contrepartie de l’obtention de prêts.
La Chine a déjà ouvert la voie en créant, en 2016, la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures, destinée à soutenir les pays fragiles, désireux d’obtenir des prêts à taux préférentiels et inscrits dans des délais de remboursement plus longs. C’est d’ailleurs un succès plus que mitigé…
Le Brésil considère la Chine comme un partenaire économique de premier plan et donc incontournable ; le voyage à Pékin du président Lula en avril 2023 en témoigne. La France, pour sa part, n’est qu’au 13ème rang des fournisseurs du Brésil, et en repli même quasi constant, et le 24ème rang de ses clients. Le tiers des exportations brésiliennes sont destinées au marché chinois, qui absorbe ainsi 26,8 % de la valeur de ses exportations. À l’inverse, la Chine représente 22,3 % des importations du Brésil.
Depuis la fin de la crise sanitaire, le commerce extérieur du Brésil profite d’une hausse annuelle de plus de 20 % (et même jusqu’à 36 % en 2021), l’essentiel de ses exportations portant sur les produits miniers, pétroliers et agricoles.
Le Brésil et la Chine ne cachent pas non plus leur aspiration communément partagée, de voir s’affirmer un nouveau système monétaire de référence internationale, en marge de toute dépendance au dollar américain. Déjà, le taux de change entre le Yuan et le Réal se fait directement, ostracisant le dollar américain, conspué par le Brésil, avec l’idée de pouvoir résister à la volatilité des monnaies de référence communément admises.
Pour le Président Lula, il est capital de voir le Brésil figurer en proue des relations internationales, sur fond de multilatéralisme.
N’oublions pas, en effet, que le Brésil accueillera en novembre 2024, le prochain Sommet du G20 dont il prendra la présidence à partir de décembre 2023, succédant ainsi à l’Inde, autre pays phare des BRICS.
Autre responsabilité stratégique autant que médiatique, le Brésil assurera la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU d’octobre à novembre 2023, sachant qu’il l’avait déjà assuré l’année passée au cours de l’été 2022 et que le Brésil a obtenu, suite au vote de l’assemblée générale de l’ONU, un mandat de 2 ans comme membre non permanent du Conseil de sécurité.
Assurément, il s’agit bien pour la Brésil d’apporter sa pierre à l’édifice d’un « Sud global », tout en étant empreint au dialogue avec les pays occidentaux. Mais, il est exclu de s’aligner sur la pax americana.
Le second semestre 2023 et, surtout, les années 2024-2028 vont être cruciaux à plus d’un titre.
Pascal Le Pautremat
Docteur en Histoire contemporaine et Relations internationales
Maître de conférences à l’UCO -Campus de Nantes. Filière Science politique