Bruno Retailleau était, jeudi dernier, l’invité de David Pujadas sur LCI pour son émission : La Grande Confrontation. Parmi les différents sujets évoqués, il y a eu celui, récurrent, du voile islamique. Deux femmes musulmanes, l’une voilée, l’autre pas, ont renversé l’argumentaire du ministre et sont sorties vainqueur du débat, sans grand effort à vrai dire. Le ministre, comme toute la droite, trébuche manifestement sur le voile islamique. Explications.
Revenir sur la problématique du voile islamique à l’heure où les regards se tournent davantage sur le droit du sol et la fameuse question : « Qu’est-ce qu’être Français ? » peut sembler anachronique. Et pourtant, en matière d’immigration, nul ne remet en question les flux migratoires au sein de l’Europe de l’Ouest : Allemands, Italiens, Espagnols, Hollandais… Plus largement, qui aurait eu l’idée de remettre en cause le droit du sol à cause du nombre d’asiatiques vivant en France ? A ce sujet, Paul Sugy vient d’ailleurs de signer dans Le Figaro un article fort intéressant où la diaspora issue d’Asie du Sud-Est est qualifiée de « modèle d’une intégration réussie et d’une immigration vertueuse ». Les flux migratoires qui préoccupent les Français ne concernent donc que certaines diasporas, et plus particulièrement la diaspora islamique. Si les interrogations portent sur diverses catégories : taux d’emploi, réussite scolaire, délinquance et criminalité, etc., celle qui les domine toutes est de nature culturelle, civilisationnelle.
Le voile constitue, à ce titre, le marqueur principal de la faille identitaire qui traverse désormais tout le pays – les centres urbains comme les périphéries.
La question se pose donc : Pourquoi toute la droite– de la plus modérée (et on peut inclure la gauche républicaine et laïque) à la plus radicale, de Valls à Retailleau, de Philippe à Ciotti, d’Attal à Bardella – échoue-t-elle à formuler un narratif convaincant ? Tout l’argumentaire du camp « laïque » s’effondre lorsqu’apparaît une femme voilée expliquant que le voile est, pour elle, un choix spirituel ; un choix personnel non influencé par son entourage ; expliquant que ses sœurs n’en portent pas, que son père était contre, et qu’elle l’ôtait sans rechigner lorsqu’elle était au lycée, respectant ainsi la loi de 2004. La raison de cette fragilité rhétorique ? Principalement les deux concepts sur lesquels repose leur argumentaire : « laïcité » et « islamisme ».
Le raisonnement tenu jeudi soir par Bruno Retailleau est, peu ou prou, celui de toute la droite : le voile est synonyme d’oppression, il est la marque d’un « islamisme politique qui essaie d’imposer des codes ». Le choix de porter le voile relève, selon le ministre de l’Intérieur, « tout autant de la politique que de la religion ». La réponse apportée par la jeune femme musulmane est édifiant : « Vous croyez vraiment qu’à 13 ans j’ai fait un choix politique ? Et en quoi ma vie traduit une volonté politique ? » Mis en difficulté – car comment suspecter cette jeune femme d’être le jouet, ou le fer de lance, des frères musulmans ? – le ministre n’a d’autre choix que d’évoquer le respect de toutes les croyances, et de tenter de justifier sa volonté de « préserver certains espaces publics des particularismes ». Parvient-il à convaincre ? Non ! Car la jeune femme revient à la charge et démonte même cet argument.
Le mot clef de cette affaire vient en effet d’être prononcé : « espace public » – et plus largement « société civile ».
Le principe fondateur de la « liberté des Modernes » consiste en effet à préserver la société civile de toute forme d’ingérence, ou d’influence, politique.
La jeune femme musulmane répond donc au ministre, très à propos, que les libertés peuvent effectivement être restreintes dans l’espace public, mais seulement s’il y a trouble à l’ordre public. Et elle l’interroge ensuite : « En quoi les femmes qui portent le voile troublent-elles l’ordre public ? » Le ministre d’Etat ne répondra pas. Il ne pourra pas. La réponse s’impose pourtant : En rien ! Le voile n’occasionne aucun trouble à l’ordre public, chacun en conviendra. Il n’y a donc aucune raison « républicaine » d’en restreindre le port. Badaboum ! Tout l’argumentaire de la droite est en miettes. Le voile islamique remporte une autre victoire… Et pourtant, il y a effectivement, au sein de la société française, volonté de puissance et d’expansion islamique, non seulement par la multiplication des voiles, mais également par l’expansion du « marché halal », par l’islamisation des mœurs, etc. Mais le ministre de l’Intérieur, comme toute la droite, est impuissant, car prisonnier d’un carcan intellectuel obsolète, coincé entre une laïcité inapte à réguler les phénomènes méta-politiques et un islam dont ils veulent à tout prix qu’il soit politique afin d’avoir prise sur lui.
Nombreux sont ceux qui ont pris l’habitude de citer Samuel Huntington et son fameux « choc des civilisations » pour fixer un cadre au phénomène qui frappe l’Occident. Ce qu’ils relèvent moins souvent, c’est qu’au chapitre 3 (p. 83), Huntington écrit que : « A long terme, cependant, Mahomet gagnera ». Qu’on se le dise :
Tant que la droite refusera de changer son logiciel politique, et d’embrasser résolument une philosophie politique civilisationnelle, il lui sera impossible d’invalider la prévision de Samuel Huntington.
Et la détermination politique d’un Bruno Retailleau, voire d’une Marine Le Pen, n’y changera rien.
Frédéric Saint Clair,
Politiste, auteur de L’extrême droite expliquée à Marie-Chantal (Editions de la Nouvelle Librairie)
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