Grande première depuis la création du premier projet de loi de la sécurité sociale en 1996, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale vient de rejeter le 20 octobre le budget 2024. Cette sanction a des racines profondes. D’abord, elle exprime fondamentalement les limites de ce dispositif pour gérer cinq politiques publiques, qui ne sont que des flux financiers pour la santé au moins. Ensuite, la version proposée de ce PLFSS ne remplit pas sa mission première de soutenabilité des comptes sociaux et d’équité intergénérationnelle. Enfin, elle est trop incomplète pour en évaluer la crédibilité.
Une trajectoire budgétaire à la dérive
La trajectoire part d’un déficit de 8,8 Mrds € en 2023 et arrive en 2027 à un déficit doublé à 17,6 Mrds €. La branche maladie reste en déficit chaque année de 9 à 10 Mrds € de 2023 à 2027 et celle des retraites passe d’un quasi-équilibre en 2023 à un déficit de près de 14 Mrds € en 2027.
Sachant que ces prévisions sont très optimistes, voire insincères selon nombre de Parlementaires qui les ont rejetées. Le PLFSS table sur une croissance du PIB en 2024 de 1,4 %, soit un écart de 75 % avec les prévisions de la Banque de France (0,9 %) et de l’OFCE (0,8 %).
Pour les dépenses, le budget 2024 n’est pas à la hauteur des besoins véritables des structures de soins suite au choc inflationniste de 2022 et 2023.
La même utopie avait été utilisée sur l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) de 2023.
Déjà relevé à 244,8 Mrds € en cours d’année 2023 (loi de finance rectificative), il a dû être ajusté à la hausse de 2,8 Mrds € à 247,6 Mrds € dans le budget 2024. L’année 2023 n’a pourtant pas eu d’évènements majeurs imprévisibles !
Un budget ne remplace pas une politique de santé
D’une part, le budget des dépenses de santé devrait s’inscrire dans une stratégie nationale de santé et reposer sur des objectifs de santé publique. Si le PLFSS 2024 ne mentionne ni l’une ni l’autre, c’est que ni l’une ni les autres n’existe. Nous sommes bien dans un pilotage à l‘aveugle de dépenses concernant leur impact sur l’état de santé de la population.
Ce budget 2024 ne gère que des dépenses courantes, négligeant la planification des investissements dans le capital humain, dans les infrastructures et dans les technologies qui sont l’avenir de la santé.
D’autre part, le centre de gravité de toute politique de maitrise des dépenses de santé est le contrôle des affections de longue durée (ALD), en amont pour les prévenir, en aval pour contenir les coûts. Ces ALD représentent les deux tiers du stock et 80 % de la croissance des dépenses de la consommation de soins et de biens médicaux.
A défaut de cette politique, le gouvernement propose un saupoudrage de mesures qui donne l’impression de cocher des cases mais qui n’auront pas ou trop peu d’impact.
Absence des principales mesures budgétaires
Plusieurs décisions budgétaires majeures ne figurent pas dans le texte initial : la baisse de la prise en charge par la sécurité sociale des soins dentaires, le doublement des participations financières, la substitution des médicaments de référence par des biosimilaires et le prélèvement sur les réserves de l’Agirc-Arrco.
Comment voter un budget dont les principales mesures manquent ? Pour la santé, les deux premières mesures rapportent 1,3 Mrd € sur les 3,5 Mrds € d’économies attendues. Pour les retraites, la ponction sur l’Agir-Arrco doit générer 1 Mrd € de recettes.
La première revient à transférer 500 M€ de dépenses sécurité sociale vers les complémentaires santé, ce qui va se traduire par une forte hausse des primes des contrats. Avec des hausses annoncées de 8 % en 2024, après 5 % en 2023, les retraités de la classe moyenne en supporteront l’effort.
La seconde mesure pèsera directement sur les finances des malades chroniques de la classe moyenne. Elle aggravera la brèche instaurée dans les années 2005 dans notre modèle social, qui fait de la protection financière à 100 % des patients ALD le cœur du réacteur solidaire.
Enfin, le développement des biosimilaires, ces copies de médicaments biologiques, est une condition incontournable pour financer les plus de 5 Mrds € de dépenses attendues supplémentaires des biothérapies dans les 3 ans à venir.
Pour être capable de financer ces innovations qui permettront de sauver des milliers de vie contre le cancer entre autres, il est impératif de soumettre à la concurrence de biosimilaires les anciennes molécules. C’est une vraie décision politique qui aurait montré que le gouvernement ne cédait pas au lobbying de l’industrie pharmaceutique, dominée par les fabricants de molécules de référence.
Ce budget a donc été bâti sur des hypothèses de nouvelles recettes et de nouvelles dépenses qui sont dans les chiffres mais pas dans le texte. Le gouvernement aurait décidé le matin de la présentation en plénière à l’Assemblée nationale, mardi 24 octobre, d’abandonner le doublement des franchises et le prélèvement Agir-Arrco. Les estimations budgétaires sont donc à revoir ou de nouvelles sources de gains financiers (une réduction des allégements de charges sur les salaires aurait l’aval de Bercy).
Ainsi, ce budget 2024 souffre de plusieurs vices de crédibilité du fait de son incomplétude dans les économies annoncées, de sa trajectoire budgétaire incontrôlée et de son insuffisance pour contrer la crise en santé.
C’est donc logiquement qu’il ait été rejeté par les oppositions, dans une commission opportunément désertée par des membres de la majorité.
Un vote symbolique montrant que le budget social ne peut être géré avec tant de légèreté ni gérer un budget ne remplace pas une politique de santé.
Frédéric Bizard
Professeur d’économie, ESCP
Président de l’Institut Santé
Photo : sylv1rob1