Dans son premier discours de politique étrangère, prononcé le 4 février dernier et qui confirme ses déclarations précédentes, le président américain Joe Biden annonce que les États-Unis étaient désormais de retour sur la scène internationale. Si le président Biden n’a cessé de manifester la volonté de permettre à son pays de reprendre sa place à l’international, en a-t-il réellement les moyens et la stratégie adéquate ? Roger Koudé tente de répondre à cette question.
En effet, les dégâts incommensurables causés par son prédécesseur à la Maison-Blanche sont d’une telle ampleur que la « réparation » à laquelle il fait allusion dans son discours d’investiture le 20 janvier dernier semble être déjà en soi tout un programme politique pour un mandat qui n’est que de quatre ans.
Le leitmotiv de l’administration Biden serait-il : « America first » ?
Il sied de relever que le discours d’investiture susmentionné montre clairement dans sa teneur que la nouvelle administration est dans l’obligation de s’occuper d’abord des États-Unis, au travers de ce qui a tout l’air d’un programme de « détrumpisation » : « Nous sommes confrontés à une attaque contre notre démocratie et la vérité, à un virus qui fait rage, à des inégalités croissantes, à la douleur cinglante du racisme systémique […] ». Vu l’ampleur des dégâts causés par le trumpisme et que Joe Biden énumère de façon non exhaustive, la « détrumpisation » risque d’être non seulement plus longue mais également plus compliquée, surtout quand on sait que Donald Trump a réussi à embarquer dans sa vision dangereuse de l’Amérique un peu plus de 75 millions de citoyens électeurs.
Certes, Joe Biden prend pleinement la mesure des défis à relever mais avait reconnu que les États-Unis allaient être mis à l’épreuve : « Ne serait-ce qu’un seul de ces problèmes constituerait un défi de taille. Mais le fait est que nous devons les affronter tous en même temps. C’est la plus grande responsabilité que cette nation ait jamais eu à assumer. Nous allons être mis à l’épreuve ».
Celui qui est pourtant l’un des hommes politiques les plus expérimentés de son pays s’est alors demandé si le peuple des États-Unis sera à la hauteur de la situation : « Parviendrons-nous à surmonter cette période rare et difficile ? ».
Si l’on ne s’en tient qu’au discours d’investiture du 20 janvier, le nouveau locataire de Maison-Blanche semble dans sa vision accorder une place somme toute relative aux questions internationales. C’est notamment ce qui se dégage de son propos conclusif et de l’engagement pris devant le peuple américain, après avoir diagnostiqué avec lucidité l’état de la situation : « Je vous donne ma parole, je serai toujours honnête avec vous. Je défendrai la Constitution. Je défendrai notre démocratie. Je défendrai l’Amérique ». Le contenu du discours d’investiture du président Biden, tout comme l’engagement solennel qu’il a pris à cette occasion devant l’Amérique et devant le monde, pourraient se résumer parfaitement dans une formule : « America first ! »
De ce qui précède, si le retour des États-Unis à l’international devait à se préciser, en quoi consisterait-il in concreto ?
Quel nouveau rôle des États-Unis à l’international ?
Il est évident que sur la forme, la nouvelle administration se situe clairement aux antipodes de la précédente qui s’est caractérisée notamment par l’extravagance et les coups d’éclat à répétition de Donald Trump. Dans la part bien relative du discours du 20 janvier portant sur les questions internationales, le nouveau locataire de la Maison-Blanche donne des garanties d’une Amérique désormais dans le monde et non hors du monde : « Voici mon message à ceux qui vivent au-delà de nos frontières. L’Amérique a été mise à l’épreuve, et nous en sommes sortis plus forts. Nous réparerons nos alliances et nous nouerons de nouveau des relations avec le monde, pour relever non pas les défis d’hier, mais ceux d’aujourd’hui et de demain ».
Seulement, les États-Unis qui n’ont manifesté généralement que très peu d’intérêt pour le multilatéralisme ne se voient autrement qu’en chef de file et en modèle pour le reste du monde : « Et nous serons un chef de file non seulement par l’exemple de notre pouvoir, mais par le pouvoir de notre exemple. Nous serons un partenaire solide et fiable pour la paix, le progrès et la sécurité ».
De même, en matière de démocratie, Joe Bien défend avec conviction que « l’Amérique a protégé la liberté de son peuple et que, une fois encore, elle a servi de guide au reste du monde ». Ces propos sonnent comme une réitération du discours rassurant prononcé par Barack Obama le soir de son élection historique, le 4 novembre 2008. Mais il n’est pas exclu que les images ahurissantes de la prise du Capitole le 6 janvier dernier par les trumpistes restent longtemps collées aux États-Unis et contribuent possiblement à affaiblir le magistère de ce pays en matière de démocratie.
A propos de la méthode même, de son effectivité et de son efficacité
Certes, le retour des États-Unis sur la scène internationale ne peut être que salué, dans un monde où les défis communs sont considérables et ne cessent de s’accroître. Cependant, quelles seront les modalités concrètes de ce retour, notamment du point de vue d’une gestion concertée des affaires du monde ?
Si l’Amérique isolationniste de Trump a tant inquiété, l’interventionnisme qui semble se profiler de manière élégante dans la vision du monde de l’Administration Biden pourrait inquiéter tout autant. A la vérité, face aux nombreux défis globaux auxquels la Communauté internationale doit savoir faire face avec intelligence et détermination, la seule option souhaitable et crédible est celle d’une gestion inclusive et non d’un seul État, si riche et puissant soit-il.
In fine, le retour gagnant des États-Unis à l’international ne sera véritablement effectif et surtout efficace qu’à une double condition :
- Que le président Joe Biden et son administration parviennent à réparer avec succès les innombrables préjudices et autres traumatismes causés à ce pays par le fonctionnement irrationnel des années Trump. La réussite sur ce terrain difficile suppose la capacité de la nouvelle administration à honorer certaines promesses non tenues par les démocrates, y compris durant les deux mandats du président Barack Obama dont Joe Biden fut justement le colistier et le vice-président. Or, c’est aussi sur ce terrain que le trumpisme a prospéré en surfant sur le mécontentement de certains citoyens américains ! C’est seulement en réussissant sur le plan de la politique intérieure que Joe Biden et son équipe pourront mieux assurer le leadership américain qu’ils visent à l’international ;
- Que la méthode Biden s’affranchisse quelque peu de l’approche unilatéralisme qui a toujours prévalu dans la diplomatie américaine, toutes administrations confondues, et qui a parfois mis à rude épreuve les alliances si précieuses aux yeux du nouveau locataire de la Maison-Blanche qui s’engage à les réparer.
Les premières sorties de la nouvelle administration semblent a priori rassurer, même si Joe Biden a signalé dans son premier discours de politique étrangère précité qu’il adopterait une approche agressive à l’égard de la Chine et de la Russie. Mais qu’en sera-t-il, surtout quand il sera question des dossiers parmi les sensibles comme la mise en œuvre concrète de l’Accord de Paris sur le changement climatique, le nucléaire iranien, la lutte contre le terrorisme international, la relation à la justice pénale internationale dont la Cour pénale internationale (Cpi), etc. ?
That Is Really the Fundamental Question!
Roger Koudé
Professeur de Droit international
Titulaire de la Chaire Unesco « Mémoire, Cultures et Interculturalité » à l’Université catholique de Lyon (UcLy)