La Catalogne est actuellement une communauté autonome au sein de l’État espagnol. Cette entité territoriale, d’une superficie de 32 106,5 km2, soit 6,3 % de l’Espagne, compte 7 534 813 habitants, 16,16 % de la population espagnole, son PIB s’élève à 223 139 millions d’euros, ce qui représente environ 20 % du PIB de l’État, et son PIB par habitant à 29 936 euros. L’administration autonome comprend 167 096 fonctionnaires et la Catalogne emploie 25 989 agents de l’État. Le budget de la Generalitat pour 2017, prorogé pour 2018, s’élevait à 34 029,71 millions d’euros.
La Catalogne est régie par un statut d’autonomie, loi organique n°6/2006 du 19 juillet 2006, approuvé par le Congrès des députés de Madrid et par le peuple catalan. Ce statut confère à la Catalogne de vastes pouvoirs législatifs et exécutifs qu’elle exerce par l’intermédiaire de son Parlement et de son gouvernement.
Cette communauté autonome, dotée d’un large degré d’autonomie, d’un bon niveau de vie et services de base, tels que la santé et l’éducation, d’infrastructures en général de qualité, avec un taux de chômage inférieur à la moyenne de l’Espagne, qui jouissait d’une société solidaire et ouverte sur le monde extérieur, vit actuellement une situation convulsive avec un avenir incertain. Après un processus d’indépendance promu en dehors du cadre constitutionnel, qui a abouti à la déclaration unilatérale d’indépendance approuvée par le Parlement de Catalogne, mais qui n’est pas entrée en vigueur, Carles Puigdemont, ancien président de la Generalitat et cinq ex-conseillers du gouvernement ont fui la justice, alors que d’autres, dont l’ancien président du Parlement et les dirigeants de deux entités privées indépendantes, Omnium Cultural et l’Assemblée nationale de Catalogne (ANC), sont en détention préventive depuis un an. De nombreuses entreprises ont déplacé leur siège social hors de Catalogne et la société civile est fragmentée, deux blocs indépendantiste et constitutionnaliste se confrontent.
Ce bref travail rend compte des événements survenus au cours des dernières années et formule quelques réflexions sur les raisons qui, à notre avis, ont conduit à la situation actuelle.
Bref rappel historique
Le mariage d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon en 1469 a donné naissance à l’union dynastique des royaumes de Castille et d’Aragon. Avec l’arrivée peu de temps après de la dynastie des Habsbourg, un régime de monarchie composée est instauré qui respecte les différentes institutions politiques des anciens royaumes qui constituaient l’Espagne. Cette union reconnaît le régime juridique propre de la Catalogne et sa constitution politique. En 1714, date à laquelle le roi des Bourbons Felipe V accède au trône, la Catalogne, qui avait défendu la candidature de l’archiduc Charles d’Autriche, perd ses libertés politiques. Felipe V impose un système fortement centralisé, suivant le modèle français.
Au début du XIXe siècle, l’Espagne est devenue un État moderne avec l’approbation de la Constitution de 1812. La souveraineté est reconnue au peuple espagnol, un peuple qui semble uni puisqu’il vient de remporter la guerre contre Napoléon. Mais le XIXe siècle espagnol a été un siècle agité, avec des coups d’État continus, une guerre interne, la guerre contre les Carlistes et une brève période républicaine qui a échoué. L’Espagne ne parvient pas à se doter d’une administration moderne ni à légitimer le pouvoir de l’État grâce à la création et au développement de services et d’infrastructures de qualité. Ce siècle se termine avec la perte des dernières colonies (Cuba, les Philippines) et la désaffection générale des citoyens à l’égard de leur système de gouvernement.
Dans cette situation, et avec la renaissance des idées romantiques en Europe, la Catalogne remémore son passé et reprend son histoire et sa propre identité culturelle. À cette renaissance culturelle, connue sous le nom de « Renaixença », s’ajoutera peu après l’exigence de reconnaissance de son caractère unique au sein de l’État espagnol et d’un large pouvoir autonome. La pensée catalaniste du dernier quart du siècle récupère l’histoire, la tradition et les mythes identitaires pour construire l’idée de la nation catalane, elle ne considère pas la séparation de l’Espagne, mais tente de régénérer le pays depuis la Catalogne.
Au début du XXe siècle, les partis catalanistes sont hégémoniques en Catalogne. La Constitution de 1931 de la Deuxième République définit l’Espagne comme un État « intégral » et reconnaît la singularité catalane et son autonomie avec l’approbation du Statut d’autonomie de 1932. Mais la République sera soumise à des tensions permanentes, le Statut sera suspendu en 1934 et, après la guerre civile, la dictature franquiste impose un régime fortement centralisé qui supprime et réprime tout ce qui implique la reconnaissance de l’identité propre de la Catalogne.
Après la dure répression franquiste, la Constitution de 1978 tente de résoudre le problème historique catalan avec la création de l’État autonome.
La Catalogne récupère son autonomie avec l’adoption du Statut d’autonomie de 1979, approuvé par le peuple catalan. Le premier gouvernement autonome est un gouvernement catalaniste, présidé par Jordi Pujol, chef de la Convergencia Democràtica, qui gouverne avec Unió Democràtica.
L’évolution du conflit dans le cadre constitutionnel de 1978
La Constitution de 1978 a tenté de canaliser de manière permanente le « problème » catalan lors de la création du nouvel État des autonomies.
Le nouveau modèle autonome espagnol a permis une forte décentralisation et une grande stabilité politique et de développement économique durant quarante ans. Mais à la fin du siècle dernier, les partis nationalistes de Catalogne, du Pays basque et de Galice critiquent le manque de véritable autonomie politique. Ils comprennent en effet que le système autonome ne permet pas un réel exercice de politiques publiques diversifiées, ni la reconnaissance des singularités de la société et des différentes nations qui composent l’État espagnol.
En 2003, une profonde réforme statutaire de la Catalogne est lancée. Elle vise à renforcer l’autonomie, à modifier les relations entre la Catalogne et l’État sans réformer la Constitution et à reconnaître la singularité catalane. Le nouveau Statut est approuvé par le Congrès en 2006 et par référendum par le peuple catalan le 18 juin 2006.
Le Partido Popular, qui s’est toujours opposé à l’approbation d’un nouveau Statut, le conteste devant la Cour constitutionnelle et organise une collecte populaire de signatures contre le renforcement de l’autonomie en faveur de la Catalogne. Après un long et conflictuel processus de recours, la Cour constitutionnelle, dans sa décision 31/2010, laisse sans contenu les principales nouveautés du nouveau texte statutaire et nie expressément que la Catalogne puisse être reconnue en tant que nation dans le sens de la réalité historique et culturelle. De nombreux citoyens catalans considèrent cette décision comme une attaque contre le peuple catalan, qui avait approuvé le Statut, ce qui les amène à conclure que si l’autonomie gouvernementale et la reconnaissance de la singularité catalane ne peuvent pas croître par la voie d’un nouveau statut convenu, il n’y a pas de sens à rester dans le cadre constitutionnel. Après l’arrêt, une grande manifestation populaire est menée avec pour slogan « On est une nation, nous décidons ».
Peu de temps après, en 2012, l’Assemblée nationale de Catalogne (ANC) est créée.
Elle réussit à réunir un grand nombre d’indépendantistes et, avec la domination des réseaux sociaux et de la rue, conditionne de manière très importante les actions du gouvernement autonome. Ainsi, fin 2012, après la manifestation du 11 septembre 2012 au cours de laquelle est revendiquée « la Catalogne en tant que nouvel État de l’Europe », l’option sécessionniste est déjà ouvertement déclarée. L’effort réformiste est définitivement épuisé et se fixe l’objectif du droit de décider et de convertir la Catalogne en un nouvel État d’Europe s’il s’agit d’une décision prise à la majorité des Catalans (résolution du Parlement catalan n°742/IX du 27 septembre 2012).
Dans cette situation de désaccords grandissants entre les gouvernements de Catalogne et d’Espagne, les partis souverainistes, CIU et Esquerra Republicana, axent leur stratégie politique sur l’exigence d’une consultation dans laquelle le peuple catalan pourrait exprimer librement sa volonté de rester ou non au sein de l’État espagnol.
Cette demande est présentée comme un exercice inaliénable de nature démocratique, auquel le gouvernement de l’État ne peut s’opposer : « personne ne peut nous refuser le droit de décider de la manière dont nous voulons déterminer l’avenir de notre nation ».
Face à cette position, le gouvernement de l’État n’offre aucune voie de négociation politique et se borne à rappeler que la souveraineté ne peut être négociée et que ce que propose le gouvernement de la Generalitat est inacceptable. Certes, la Constitution n’autorise pas la tenue d’un référendum d’autodétermination voté uniquement en Catalogne, article 92, et ne permet pas, par ailleurs, qu’une réforme constitutionnelle puisse être imposée en dehors des procédures de réforme prévues aux articles 167 et 168. Mais la réponse à une revendication politique ne devrait certainement pas être uniquement judiciaire.
Dans cette situation, le gouvernement de la Generalitat, malgré la suspension par la Cour constitutionnelle de la loi par laquelle le Parlement catalan a approuvé l’organisation d’un référendum sur l’autodétermination, tient la consultation le 9 novembre 2014.
Le gouvernement de l’État nie toute importance au résultat de la consultation, mais exhorte le procureur général de l’État à porter plainte contre le président de la Generalitat, le conseiller de l’Intérieur et le conseiller de l’Éducation pour avoir participé directement ou indirectement à l’organisation de la consultation, ce qui pourrait impliquer des crimes de prévarication, désobéissance et détournement de fonds publics.
Peu de temps après, le président de la Generalitat, conformément à son engagement politique de convoquer des élections anticipées de nature plébiscitaire si un référendum convenu avec l’État n’était pas atteint, appelle à la tenue d’élections régionales le 27 septembre 2015. Les partis indépendantistes Convergència Democràtica et ERC présentent une candidature unitaire, Junts Pel Si, avec le soutien de diverses forces sociales, notamment l’Assemblée nationale de Catalogne et Omnium. Les résultats ne donnant pas la majorité absolue aux Junts pel Si, ce groupe parlementaire est devenu dépendant des dix voix de la CUP, groupe politique radical de gauche fortement en faveur de l’indépendance, qui jouera un rôle important dans le processus vers l’indépendance. La CUP exigeant la nomination d’un nouveau président du gouvernement, elle décide avec Junts pel Si d’investir le maire de Gérone, Carles Puigdemont, afin de garantir la stabilité du nouveau gouvernement et de poursuivre la feuille de route menant à la déclaration d’indépendance. Carles Puigdemond est élu président de la Generalitat le 10 janvier 2016.
En raison de la pression exercée par les députés de la CUP et de la nécessité d’obtenir leurs votes pour pouvoir approuver le budget, le président de la Generalitat est contraint de convoquer le « Pacte national pour le référendum » le 23 décembre et d’affirmer qu’au cours de l’année 2017 un référendum sera organisé, que ce soit convenu ou unilatéralement. (« La réponse de la Catalogne à l’État est référendum ou référendum »).
Ainsi, la tension accumulée au cours des années précédentes entre les gouvernements de l’État espagnol et de la Catalogne s’intensifie, le processus d’indépendance sortant du cadre constitutionnel. Les appels répétés au dialogue de divers acteurs sociaux et politiques, pour rétablir l’intégration de la Catalogne dans l’État espagnol, ne donnent aucun résultat positif. Au contraire, les actions judiciaires qui suivent leur marche acharnée, imputant la responsabilité pénale à ceux qui ont organisé le référendum en 2014, ajoutent de nouvelles difficultés aux voies de négociation possibles.
La tenue d’un référendum sur l’indépendance est devenue l’élément central du processus dans lequel les partis de l’indépendance se sont engagés.
Autour de cet objectif, les partis souverainistes essayent de regrouper d’autres forces politiques et des citoyens qui, n’étant pas pour l’indépendance, sont favorables à cette consultation. Le référendum est ainsi un objectif auquel on souhaite donner un caractère transversal.
À cette fin, la loi 4/2017 du 28 mars 2017 relative au budget de la Generalitat de Catalogne prévoit des crédits pour la tenue du référendum. La loi est contestée et la Cour constitutionnelle déclare son inconstitutionnalité dans l’arrêt 90/2017 du 5 juillet 2017.
Le 18 mai 2017, le Parlement catalan approuve la motion 122/XI dans laquelle il réaffirme l’existence d’un mandat démocratique appelant à la tenue d’un référendum sur l’avenir politique de la Catalogne. Le 9 juin le président de la Generalitat fait une importante déclaration dans laquelle il annonce la date de la tenue du référendum et la question posée « aujourd’hui, nous avons convoqué un conseil exécutif extraordinaire afin de ratifier conjointement avec le vice-président et les conseillers juridiques, la volonté de convoquer les citoyens de notre pays, dans le cadre de l’exercice du droit légitime à l’autodétermination qui caractérise une nation millénaire comme la Catalogne, à un référendum qui se tiendra le dimanche 1er octobre de cette année avec la question « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ? ». Cette question sera formulée dans les trois langues officielles de la Principauté de Catalogne : catalane, castillane et également aranaise dans la vallée de l’Aran. Et la réponse donnée par nos concitoyens, sous la forme d’un « oui » ou d’un « non », sera un mandat que ce gouvernement s’engage à appliquer ».
Afin de protéger de manière normative un référendum déclaré illégal par la Cour constitutionnelle, le Parlement catalan, dans une séance plénière chaotique et dépourvue des garanties démocratiques minimales, approuve la loi sur le référendum. La loi 19/2017 du 6 septembre 2017 règlemente la tenue du référendum d’autodétermination établissant la procédure pour sa conclusion et ses conséquences. Deux jours après l’approbation de la loi référendaire, le Parlement catalan approuve la loi n°20/2017 du 8 septembre intitulée « Loi sur le transit juridique et fondamental de la République », qui est également contestée devant la Cour constitutionnelle, laquelle la déclara très rapidement inconstitutionnelle.
Après l’approbation de la loi, le gouvernement de l’État affirme fermement que le référendum ne sera pas organisé et adopte diverses mesures pour éviter sa tenue. La loi est contestée, la nomination des membres de la commission électorale également, les bulletins de vote sont confisqués, les forces de l’ordre public sont déplacées en Catalogne pour empêcher efficacement la tenue du scrutin du référendum. Mais le 1er octobre 2017, la majorité des bureaux de vote créés en vertu de la loi 19/2017 sont constitués et ouverts, malgré la forte et disproportionnée répression policière exercée dans quelques bureaux de vote par les forces de l’ordre, depuis que les « Mossos de Esquadra » (la police autonome) ont adopté une position de non-intervention. Les images de la répression policière sont diffusées par tous les médias nationaux et étrangers, donnant une représentation très négative des actions du gouvernement espagnol contre l’exercice pacifique du droit de vote, même s’il s’agit d’un référendum illégal. Cette action répressive génère un grand malaise social qui conduit le 3 octobre à une grève générale, décrite comme une « grève nationale », largement suivie. La tension politique envahit les rues et un sentiment général de frustration, d’inquiétude et de malaise régne parmi la majorité de la population.
Le taux de participation au référendum s’élève à 43 % du rencensement.
Le « oui » l’emporte à 90,2 % contre 7,8 % de « non » et 2 % de votes blancs.
Les votes « oui » dépassent les deux millions d’électeurs. Mais quel que soit le résultat, dépourvu de toute valeur juridique, les partis indépendantistes gagnent clairement la bataille des médias en réalisant des images montrant la dure répression exercée par l’État sur le fait de vouloir voter pacifiquement. Cette attitude donne des arguments au discours sur l’oppression du peuple catalan et unit tous ceux qui souhaitent exercer leur droit de vote. L’absence de dialogue et la répression de l’État espagnol illustrent à nouveau sa maladresse face à la question catalane.
Une fois le référendum organisé et les lois qui tentaient de le valider suspendues (le simple dépôt et l’admission de l’appel suspend son effet), le point de tension maximale est déplacé pour vérifier si la déclaration unilatérale d’indépendance allait être effectuée après le résultat du référendum. Si cette déclaration devait être réalisée, la confrontation avec l’État aboutirait à l’adoption d’un accord que l’État ne pourrait tolérer d’aucune façon. Le Roi lui-même a fait une déclaration solennelle dans les médias le 3 octobre pour affirmer que la rupture de l’État espagnol ne serait pas tolérée. Il a dénoncé le gouvernement de Catalogne pour sa déloyauté inadmissible et a affirmé son attachement à l’unité de l’Espagne. Il convient de rappeler que le Roi est le chef suprême des forces armées.
Les jours qui suivent le référendum sont vécus dans une tension maximale entre citoyens et hommes politiques. Le gouvernement de l’État met en garde contre les conséquences graves, notamment pénales, d’une déclaration d’indépendance unilatérale, comme la mise en œuvre de l’article 155 de la Constitution. Plusieurs entreprises annoncent le transfert de leur siège social en dehors de Catalogne en raison de l’insécurité juridique créée et de leur crainte de sortir de l’Union européenne, certaines instances européennes ayant clairement indiqué qu’une décision unilatérale ne serait pas acceptée. Alors que les partis indépendantistes discutent sur la position à adopter, la CUP persiste à déclarer la République et à agir unilatéralement.
Le 10 octobre 2017, le président Puigdemont comparaît devant le Parlement et déclare : « J’assume le mandat du peuple pour que la Catalogne devienne un État indépendant sous la forme d’une République », mais il a ajouté immédiatement que « je propose que le Parlement suspende les effets de la déclaration d’indépendance afin que nous puissions engager un dialogue dans les prochaines semaines ». La plénière n’a voté sur aucune déclaration d’indépendance, mais le document sur cette déclaration a été signé par le bloc souverainiste.
Le lendemain, le gouvernement de l’État entame la procédure d’application de l’article 155 de la Constitution et, le 21 octobre, adopte l’accord d’application des dispositions dudit article, qui entraîne la dissolution anticipée du Parlement de Catalogne, la convocation d’élections régionales et la soumission de l’administration de la Generalitat aux directives de l’administration d’État. Le Sénat, à une très large majorité, approuve les mesures à adopter.
Peu de temps avant l’adoption de l’accord du Sénat, le Parlement catalan approuve la déclaration d’indépendance par 70 voix pour, 2 voix contre, 10 abstentions et 53 absents.
Malgré la sévérité des mesures prises par le gouvernement de l’État et son impact direct sur l’autonomie de la Catalogne, la mise en œuvre des mesures approuvées par le Sénat se déroule sans tensions majeures et l’administration catalane accepte sa soumission au gouvernement de l’État.
L’élection régionale du 21 décembre 2017 connaît une participation élevée, 79,04 % du recensement électoral. Bien que minoritaires en termes de voix, 47 %, les partis souverainistes, Junts per Catalunya, ERC et CUP, parviennent à maintenir la majorité parlementaire avec 70 sièges (le système électoral catalan donne la priorité aux voix des provinces moins peuplées, Gérone, Lleida et Tarragone, par rapport à Barcelone).
Le résultat électoral montre à nouveau l’image d’une Catalogne divisée en deux blocs, avec une nette polarisation entre « souverainistes » et « constitutionnalistes ».
La tension existante augmente avec les procédures pénales découlant de l’organisation du référendum et de la déclaration unilatérale d’indépendance. Le 30 octobre 2017, peu de temps avant le début de la procédure pénale, Carles Puigdemont et cinq conseillers fuient à Bruxelles. Les mandats d’arrêt européens délivrés par l’Espagne en Belgique, puis en Allemagne (où Carles Puigdemont a été arrêté à l’occasion d’un voyage privé) sont rejetés, les tribunaux de ces pays estimant que le crime de rébellion dont ils sont accusés ne peut être retenu. Le 19 juillet 2018, la justice espagnole ordonne le retrait des mandats internationnaux délivrés à l’encontre des six dirigeants indépendantistes. Ils sont donc libres de résider et de se déplacer partout dans le monde, sauf en Espagne où l’ordre de détention est toujours en vigueur. S’ils revennaient, ils seraient interpellés et placés en prison préventive avant d’être jugés pour « rébellion contre l’État ». Le 2 novembre 2018, le Tribunal national requiert de lourdes peines de prison contre les dirigeants indépendantistes restés en Espagne ainsi qu’à l’encontre des présidents de l’ANC et d’Omnium Cultural.
Les partis indépendantistes tentent de créer un gouvernement avec à sa tête Carles Puigdemont en exil.
Mais bientôt, les stratégies des différentes formations indépendantistes divergent. ERC et une partie du Pdecat souhaitent apaiser les tensions et prônent plutôt la modération. Les députés directement liés à Puigdemont, à la CUP et également à l’ANC, très puissants car possédant la plus grande mobilisation sociale, entendent, quant à eux, alimenter le conflit avec l’État. Ces divergences empêchent la formation d’un nouveau gouvernement.
Il est enfin convenu de reprendre l’autonomie gouvernementale avec l’élection d’un nouveau président. Ainsi, le 13 mai 2018, Quim Torra est élu président de la Generalitat et, le 1er juillet, le nouveau gouvernement prend ses fonctions. La suspension de l’autonomie gouvernementale est levée et une certaine normalité est rétablie. Mais les tensions sont toujours présentes, car une grande partie de la société civile réclame la remise en liberté des indépendantistes emprissonnés, qui sont décrits comme des prisonniers politiques. La CUP et l’ancien président Puigdemont, depuis la Belgique, continuent de faire pression pour que la construction de la nouvelle République catalane progresse sans délai. Le Parlement catalan approuve à nouveau une motion qui réaffirme les objectifs politiques proclamés par les secessionistes et appelle à reprendre le chemin de l’indépendance. Toutefois, des précautions sont prises afin de ne pas encourir de poursuites pénales. Le gouvernement catalan, n’ayant pas réussi à obtenir le soutien international qu’il demandait, accuse l’Europe d’être complice « d’une agression contre la Catalogne ».
Le 1er juin 2018 à la suite d’une motion de censure contre le gouvernement de Mariano Rajoy, du Partido Popular, Pedro Sánchez, du PSOE, accède au gouvernement, avec le soutien de Podemos, des partis nationalistes catalans ERC, PdeCat et du Nationaliste basque PNV.
Le gouvernement de l’État entame alors un changement de stratégie clair face aux indépendantistes. Il reconnaît qu’il existe un problème politique qui doit être résolu par des moyens politiques et propose d’ouvrir un processus de dialogue. Les réunions se tiennent au plus haut niveau politique et entre les deux administrations, des accords sont conclus pour améliorer l’autonomie gouvernementale et les prisonniers sont rapatriés dans des prisons catalanes. Il est également reconnu que les actes imputés aux prisonniers ne peuvent être qualifiés de crime de rébellion, car il n’y a pas eu de violence. Néanmoins, la résolution du conflit reste compliquée pour plusieurs raisons.
D’une part, le fait que des dirigeants politiques soient emprisonnés ou en exil et soient susceptibles d’être jugés pour crime de rébellion rend la recherche de moyens de négociation et d’accord difficile. D’autre part, les partis catalans sont soumis aux pressions des citoyens auxquels l’indépendance avait été promise et qui exigent que celle-ci soit maintenant effective. Ils reprochent au gouvernement de revenir aux positions autonomistes et de ne pas travailler pour la République indépendante. Par ailleurs, le gouvernement de Pedro Sanchez est attaqué par les partis constitutionnalistes, PP et Ciudadanos, qui l’accusent de s’être « vendu » aux forces indépendantistes pour rester au pouvoir. Le nouveau secrétaire général du PP adopte une position très belliqueuse contre Sánchez, auquel il reproche d’être un putschiste pour la conclusion d’accords avec les partis catalans. L’attaque contre la Catalogne est rentable sur le plan électoral dans le reste de l’Espagne et Sánchez doit également prendre en compte ses votes hors de Catalogne.
Telle est la situation aujourd’hui. Les positions les plus radicales dans les camps indépendantistes et constitutionnalistes demeurent inchangées. La recherche d’accords, tels que la proposition d’une réforme constitutionnelle qui permettrait aux Catalans d’offrir un nouveau cadre acceptable pour l’Espagne, est très compliquée. Les « troisièmes voies » qui prônent une position plus modérée ont des difficultés à se faire entendre face aux discours incendiaires du patriotisme national espagnol ou catalan qui dominent.
La Catalogne demeure dans le système constitutionnel espagnol et son gouvernement autonome repose sur le Statut d’autonomie approuvé en 2006, mais le gouvernement catalan, formé de deux partis indépendantistes, l’ERC et le PdeCat, ne renonce pas à l’indépendance.
La société reste divisée et confrontée au processus d’indépendance, sans que ceux qui lui sont favorables puissent obtenir la majorité des voix et encore moins la majorité calculée sur le recensement électoral. La fracture est également territoriale, puisque la Catalogne est coupée en deux entre indépendantistes clairement majoritaires à Gérone et constitutionnalistes dominant à Barcelone et dans sa région métropolitaine.
Les indices économiques, malgré les fortes tensions éprouvées, ne sont pas mauvais. L’économie croît en moyenne de 3 % et les exportations augmentent considérablement, mais les institutions économiques mettent en garde contre le risque de ne pas entreprendre les réformes structurelles nécessaires, et les principales entreprises qui ont quitté la Catalogne ne sont pas revenues. L’activité politique au Parlement et l’administration du gouvernement restent réduites au minimum et les positions des principaux organes institutionnels régionaux ne sont pas renouvelées. La paralysie du gouvernement est compensée par des déclarations politiques continues sur la volonté de poursuivre le processus d’indépendance et par l’organisation d’actes permettant de maintenir l’unité et d’espérer les bases en faveur de l’indépendance. Dans le même temps, après l’arrivée au pouvoir de Pedro Sánchez, les deux gouvernements ont ouvert un processus de négociation discret qui a permis de conclure certains accords, mais la méfiance mutuelle est maintenue, de même que la pression exercée par les séparatistes et les nationalistes espagnols radicaux contre toutes les tentatives de rapprochement.
Pourquoi un tel conflit ?
Après avoir exposé les faits qui déterminent la vie politique en Catalogne et en Espagne, nous formulons de brèves réflexions sur les raisons qui ont amené à une telle situation.
La Catalogne, avec la Constitution de 1978 et l’approbation du Statut d’autonomie de 1979, a accepté une large autonomie politique et administrative. Les principaux partis catalans ont assumé l’autogouvernement, en respectant le cadre constitutionnel et en ne proposant pas l’option sécessionniste. Mais avec le développement de l’État des Autonomies, se créé un sentiment d’insatisfaction à l’égard du modèle constitutionnel de 1978, accusé de permettre une décentralisation administrative étendue, mais pas une véritable décentralisation politique. Le modèle de financement des Autonomies est aussi critiqué car, dit-on, il pénalise sévèrement la Catalogne.
Ce sentiment de désaffection à l’égard de l’État est notablement renforcé par l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2010 qui a annulé une partie du Statut d’autonomie de 2006, statut qui avait été ratifié par référendum par le peuple catalan. Pour certains catalanistes, jusque-là non séparatistes, cette décision devait admettre qu’il n’était pas possible de continuer dans un modèle constitutionnel qui ne permettait pas son adaptation aux revendications de la Catalogne. Le chemin de l’indépendance devait commencer. En outre, cette décision coïncidait avec une situation de crise économique grave, qui favorisait la possibilité de proposer des solutions faciles à des problèmes complexes. La réponse à la crise économique pourrait également être trouvée par l’indépendance. L’insatisfaction politique et économique constituait un bon environnement pour semer l’espoir d’indépendance.
Les partis catalanistes, jusque-là essentiellement non séparatistes, ont choisi d’offrir la séparation de l’État comme la voie d’un avenir meilleur pour la Catalogne et ses citoyens.
Si pendant de nombreuses années les partis nationalistes étaient occupés à édifier la nation catalane et si, en privé, ils disaient « aujourd’hui patience, demain indépendance », ils en venaient à la conclusion qu’il était temps de faire un bond en avant. Parallèlement, l’Assemblée nationale de Catalogne, créée en 2012 avec la force qu’elle acquiert dans la rue, favorisera fortement le processus d’indépendance et conditionnera l’activité des partis politiques.
La mobilisation des indépendantistes est articulée dans un premier temps autour de la revendication du droit des peuples à l’autodétermination, ce qui les conduit à exiger un référendum d’autodétermination. Ils relient ce référendum à un exercice nécessaire de la démocratie et rappellent les expériences écossaises et québécoises. Il est affirmé que l’indépendance ne signifie pas la sortie de l’Europe, mais que le soutien international aux revendications séparatistes sera obtenu et que des messages toujours positifs sont diffusés, garantissant que l’indépendance apportera bien-être et liberté et rétablira la dignité du peuple catalan. Les événements du 1er octobre 2017, la répression à l’occasion du référendum illégal, puis l’emprisonnement de certains membres du gouvernement et la fuite à l’étranger d’autres, accentuent les critiques adressées à l’État espagnol et à ses institutions, en particulier au Roi et au pouvoir judiciaire.
Face à l’activité de partis et d’associations indépendantistes, le gouvernement du Partido Popular a maintenu une politique d’absence totale de dialogue, en se cachant du besoin de respecter le cadre juridique et en confiant au pouvoir judiciaire et à la Cour constitutionnelle les excès des indépendantistes. Aucun point d’accord ou table n’est proposé pour ouvrir un dialogue. Il n’est pas admis qu’il existe un problème politique qui a besoin d’une solution politique, et la possibilité d’ouvrir le débat sur une réforme constitutionnelle susceptible de créer un nouvel ajustement pour la Catalogne en Espagne est refusée. Face à ce manque de messages positifs, le mouvement pour l’indépendance accroît son soutien populaire, passant de 30 à 45 % en quelques années.
Aujourd’hui, le mouvement pour l’indépendance semble avoir assumé que la voie unilatérale n’est pas la voie à suivre, que l’État espagnol ne tolérerait pas une séparation non convenue et qu’il avait les moyens de la prévenir (l’article 155 de la Constitution faisait preuve de sa force), mais il reste mobilisé avec le but de réaliser deux objectifs concrets : la libération des prisonniers et le retour des hommes politiques exilés ainsi que la tenue d’un référendum sur l’autodétermination. Les plus radicaux demandent une séparation unilatérale et la proclamation de la République indépendante de Catalogne.
Le gouvernement de Pedro Sánchez tente de réduire les tensions et propose des moyens de parvenir à des accords concrets permettant d’améliorer le financement et l’autonomie politique de la Catalogne. Il suggère une nouvelle réforme statutaire ou, moins clairement, une réforme constitutionnelle, qui seraient soumises aux Catalans par un référendum. Mais ses propositions sont considérées comme insuffisantes par les indépendantistes et inadmissibles par les partis constitutionnalistes espagnols, PP et Ciudadanos.
L’avenir est incertain, mais il semble nécessaire d’essayer de débloquer une situation de paralysie dans laquelle les deux parties en conflit refusent d’ouvrir de véritables canaux de dialogue et d’accords réalisables.
L’esprit de générosité et de consensus qui a conduit à l’adoption de la Constitution de 1978 doit être rétabli ; les deux parties doivent accepter les erreurs commises, admettre que rien ne peut être fait en dehors du cadre juridique établi, mais aussi que les problèmes politiques exigent à leur tour des voies politiques pour les résoudre et qu’un effort doit être fourni par l’État pour apporter des réponses positives aux revendications légitimes formulées par la Catalogne. La situation des prisonniers doit également être résolue. Bien que le comportement du gouvernement catalan ait été d’une immense irresponsabilité et mérite une sanction judiciaire, nous pensons que la détention préventive de ceux qui ont comparu devant les tribunaux n’est pas justifiée, et que le chef d’inculpation de « rébellion » ne peut être retenu car il exige le concours d’une violence qui n’a pas existé. Mais tout cela n’est possible que dans un climat apaisé où chaque partie travaille en pensant au bien-être des citoyens.
Joaquín Tornos Mas
Professeur de droit administratif, Université de Barcelone