« Bonjour à tous, chers assistés, bonjour les patrons qui prennent des risques et bonjour les rentiers, les planqués, les gens de l’arrière, les salariés, ceux qui ignorent la compétition ! » C’est ainsi que Bernard Maris lançait ses chroniques sur France Inter. Oncle Bernard, sous forme de boutade, forçait là son talent, il visait large, il visait juste, au-delà peut-être de ce qu’il souhaitait en égratignant chacun.
Quand « le tout » de ce que l’on nomme protection sociale représente 1/3 du PIB, à quoi il faut ajouter les 65 Mds d’euro d’aides diverses aux entreprises, et ajouter encore ce que Bercy a nommé « dépenses fiscales », oui, le bonjour, chers assistés, a toute sa… valeur !
Défense de l’emploi, défense du pouvoir d’achat, l’action publique s’est faite « open bar » et ajoute, en opportunité, des « happy hours » : les chèques anti-inflation divers.
Les politiques publiques des dernières décennies ont vu, et traité, comme conjoncturels les chocs successifs qui étaient manifestations d’un problème structurel. En se trompant de lunettes, des solutions de régulation de court terme ont fait opter pour un néo-keynésianisme : un plein effet boule de neige a joué sur la dette publique (et les prélèvements obligatoires) et ajouté, encore, au problème structurel de l’économie nationale. Les instigateurs de ces politiques publiques ne se sont pas trompés de lunettes ; échéances politiques de court terme obligent, ils ont choisi des lunettes de vision politique de préférence à celles de vision économique.
Le choix ne s’avère pas, non plus, judicieux ni socialement, ni politiquement. Socialement : chômage de masse et faible taux d’emploi. Politiquement : érosion des partis politiques dits de gouvernement.
Le mal structurel, c’est la désindustrialisation, voulue par quelques grands patrons, soutenue par les pouvoirs publics. Jérôme Fourquet marque le moment de bascule en 1992, quand l’usine Renault de Billancourt ferme et que, quelques semaines plus tard, s’ouvre Disney Land Paris. Cette date charnière vient comme l’aboutissement de la festivisation de la société qu’observait Philippe Muray. Festivisation, tertiarisation : le cercle devenait vicieux et offrait ( !) à l’action publique des champs nouveaux d’étatisation. Le mal est plus grave que la festivisation. Le mal, c’est le déclassement progressif de l’économie nationale. Tertiarisation, festivisation, étatisation : comme une nouvelle devise de la République ?
Habitués à chausser des lunettes de vision politique pour traiter les questions économiques, l’action publique s’est appliquée à traiter socialement les conséquences de mauvais choix économiques. La question économique a été ignorée, tous les efforts se sont portés sur la question sociale. La protection sociale, dont on a dit dès 1981 (rapport de l’OCDE suivi du livre éponyme de Pierre Rosanvallon) qu’elle était en crise, a occulté la vraie crise : celle de l’économie, celle d’une France qui s’appauvrit et vit à crédit.
L’extension continue du champ de la protection sociale, que la croissance ne suffisait déjà plus à financer, ajoutait encore à la crise de la protection sociale et au problème d’une économie devenue insuffisamment productrice. L’action publique, focalisée sur le « social », a ajouté entraves à l’appareil de production et ajouté encore plus de moyens à l’administration par l’extension irraisonnée du « social ».
Le cercle est devenu vicieux. On ignore l’effet d’éviction de la dépense publique sur l’investissement privé qui joue quand la dépense publique est consacrée à des prestations sociales et à des dépenses de fonctionnement et trop peu à des investissements d’avenir. L’effet d’éviction joue tout autant sur l’entreprise (emprunt, investissement) que sur les ménages (consommation, investissement). À l’effet d’éviction entraîne un effet de précaution (le « moral » des entreprises et celui des ménages) qui détourne de l’investissement et de la consommation. La multiplication des aides et subventions fait « passer » les basses eaux conjoncturelles, mais nourrit cet effet de précaution… Un effet de précaution qui est encouragé par l’action publique quand elle sur-réglemente, quand elle sur-transpose les règlements européens, quand elle participe à smicardiser (exonérations de cotisations sociales qui obligent à inventer des… primes d’activité), quand elle incite les ménages à épargner (« niches fiscales » et épargne réglementée).
Le cercle vraiment vicieux, c’est celui du raisonnement faux dont on s’emploie à démontrer que le résultat valide la compréhension initiale, celui qui prend les conséquences pour la cause ! Ce n’est pas le social qui est un pognon de dingue : c’est l’économie qui est entravée. Ce n’est pas la dépense publique qui crée de la richesse : c’est l’économie qui la crée et qui permet de la redistribuer.
Les débats d’aujourd’hui sur le projet de loi de finances pour 2025 illustrent, ô combien, le piège de la dépense publique irraisonnée devenue cercle vicieux. Le réflexe prévaut de trouver des recettes fiscales nouvelles et si quelques voix demandent une diminution de la dépense publique, c’est avec une rare prudence que l’on regarde les moyens de fonctionnement de l’action publique dont les effectifs sont, mieux que sanctuarisés, statutifiés ! On ignore, là aussi, l’effet d’éviction de l’emploi public sur l’emploi (voir in « L’État-Providence, est-ce le vol ? »). « Qui en bénéficie ? » – Revue politique et parlementaire, 8 octobre 2024. Si budget de rigueur il y a, la rigueur sera soutenable, bien davantage que ne l’est la dette. Les conséquences politiques ? Ce n’est pas le souci de l’homo festivus, qui s’est fait individu davantage que citoyen et attend toujours plus d’aides et de subventions.
Michel Monier, membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale – Think tank CRAPS, est ancien directeur général adjoint de l’Unedic.