L’Émirat proclamé par les talibans, de retour à la tête du pays, sera basé sur la charia et dirigé par leur chef, le mollah Haibatullah Akhundzada et ses lieutenants. Un point c’est tout. Rien de surprenant.
Quinze jours après leur entrée dans Kaboul, les talibans dévoilent, par touches successives, les contours de l’Émirat islamique qu’ils entendent rétablir. Mardi 17 août 2021, leur porte-parole Zabihullah Mujahid, promettait un gouvernement d’union nationale ouvert aux adversaires de la veille et même aux femmes, dans le respect de la charia. Chronique d’une fumisterie annoncée…
Tout à leur offensive de charme, les extrémistes sunnites ont envoyé une délégation dans le quartier où vit la minorité hazara de la capitale, à l’occasion de la fête chiite d’Achoura. Et ils ont vanté leurs pourparlers avec l’ancien président Hamid Karzaï (2001-2014) et d’ex-dirigeants, tous plus ou moins corrompus. Des ministres pourraient être recyclés dans le prochain cabinet, a laissé entendre un haut responsable taliban. Celui de la Santé, Wahid Majroh, a fait savoir qu’il reste à son poste, de même le maire de Kaboul, Daoud Sultanzoy. Seuls ceux qui auront collaboré avec les talibans seront (peut-être) repris.
Mais la nature et la culture ont repris leurs droits. Car on ne change pas des extrémistes d’un autre âge comme ça. Ainsi ce qui pouvait passer pour un accès de libéralisme s’est arrêté là. L’Afghanistan sera bien dirigé par un Conseil ayant à sa tête un Guide suprême, le chef des talibans, l’obscur Haibatullah Akhundzada. L’un de ses lieutenants prendra le rôle de Président. Seuls les purs esprits pouvaient espérer. « Il n’y aura pas de système démocratique du tout, parce que cela n’a aucun fondement dans notre pays », a annoncé à l’agence Reuters l’un des cadres du mouvement, Waheedullah Hashimi. Et ce dernier de rajouter : « nous n’allons pas discuter du type de système politique, car cela est clair : c’est la charia, un point c’est tout » …
Alors la Charia, c’est quoi ? L’Émirat islamique « nouvelle formule » sera la réincarnation pure et simple du système qu’avaient instauré les talibans entre 1996 et 2001. À l’époque, ils avaient limité l’éducation des filles et imposé aux femmes de porter la burqa. Elles n’auront toujours pas le choix : « Nos oulémas (érudits) décideront si elles doivent aller à l’école ou non, si elles doivent porter le hijab, la burqa ou seulement un voile avec une abaya », annonce Hashimi. S’il n’y avait qu’un seul signe distinctif de la charia à donner, ce serait celui-ci. Le statut de la femme. Un homme vaut deux femmes, dit le Coran.
Charia signifie littéralement « le chemin qui conduit à Dieu ». Comme toutes les religions révélées, l’islam comporte des règles morales, et une série de prescrits et d’interdits, soit une Loi, avec majuscule car considérée comme divine. La charia est donc un concept normatif qui fait l’objet d’interprétations, d’investissements contrastés, contingents, plastiques, selon les usages et les lieux.
Au XXIe siècle enfin, c’est surtout à des fins politiques que nombre d’Etats, de mouvements et d’individus invoquent l’islam et sa loi, la charia.
Recouvrant aujourd’hui au moins trois réalités, l’invocation du terme charia n’a donc de sens que selon les usages qui en sont faits. D’abord une production doctrinale, soit les prescriptions religieuses auxquelles les musulmans doivent se soumettre. Ensuite une pratique judiciaire, soit un “droit musulman”, de la famille, civil ou pénal…
Enfin un slogan politique, souvent sans programme précis d’application, il s’agit alors d’un simple référentiel de contestation du pouvoir en place, notamment là où les musulmans sont en position de minorité (charia invoquée au titre de la liberté de culte en Inde par exemple).
Il faut se mettre en tête que quel que soit le pays où il se trouve, le musulman pratiquant la charia la fait obligatoirement passer avant les lois dudit pays. Il est en France, et bien la pratique de la charia primera sur notre Constitution et nos lois. Celle-ci codifie à la fois les aspects publics et privés de la vie d’un musulman, ainsi que les interactions sociales. Les musulmans considèrent cet ensemble de normes comme l’émanation de la volonté de Dieu (Shar). Et souvent ladite charia contrevient à nos règles nationales et à nos principes (droit des femmes par exemple). Si l’on n’intègre pas cela, on se fourvoie quant à l’analyse du comportement de certains musulmans dans notre pays.
Et il n’est pas normal de ne pas respecter nos lois fondamentales, au nom de règles religieuses plus ou moins obscures et éminemment phallocrates. C’est aussi pour cela qu’il faudrait durcir un peu notre laïcité à l’égard de laquelle une seule religion pose problème, on le sait bien, c’est l’Islam (notamment avec sa charia). Il faut être clair et lucide, il n’y a aucun souci avec les autres religions. On nous dira que tous les islamistes ne sont pas des intégristes. Acceptons-en l’augure. En tout cas il est clair que chaque intégriste est un islamiste qui agit aussi sur les bases de la charia.
Pour ce qui est de l’Afghanistan, le général Trinquard souligne à raison que « Le taliban de base (ndlr : y a-t-il un taliban éclairé ?), dans certaines régions, reste extrêmement rustique, et applique la charia brute ». Selon lui « il est certain qu’à Kaboul, ceux qui avaient pris un mode de vie occidental vont être sévèrement punis. On le voit déjà avec les femmes qui font la queue devant les distributeurs de monnaie pour retirer l’argent qu’elles avaient pu gagner en montant un business, puisque maintenant, ça leur sera interdit. » Puis elles vont être voilées, interdites d’éducation, mariées de force, esclaves sexuelles… Et puis rappelons qu’il est inscrit dans la charia que « tout individu surpris à voler aura la main tranchée ». La majorité des normes dictées par la charia sont incompatibles avec les droits de l’homme, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression, la liberté de croyance, la liberté sexuelle et la liberté des femmes. La principale inquiétude du moment dans cet Afghanistan qui retourne dans les ténèbres, c’est le sort des femmes.
En 1997, Samuel Huntington publiait un livre fondamental intitulé « Le choc des civilisations ». Selon lui, l’Occident voit son influence et son importance relatives décliner. Il est concurrencé par d’autres civilisations. Parmi elles, une qui connaît une croissance démographique rapide, l’Islam. Il note qu’elle est en proie à des rivalités intestines et déstabilise ses voisins. Mais il observe que la poussée démographique de l’Islam s’accompagne d’une résurgence de la religion islamiste qui, dans plusieurs pays, s’est illustrée par la montée du fondamentalisme, en particulier chez les jeunes. On était en 1997, quatre ans avant le 11 septembre 2001. Ben Laden fut un des héros de la lutte afghane contre les russes dans les années 80. Et un interprète et praticien on ne peut plus zélé de la charia…
Pour finir, exprimons une crainte. On sait que des liens perdurent entre Talibans et Al-Qaïda. Tout comme Oussama Ben Laden avait prêté allégeance au mollah Omar en 1996, le chef actuel de l’organisation terroriste, Ayman al-Zawahiri, en a fait de même en 2016 avec le nouveau chef Taliban, le mollah Haibatullah Akhundzada. Comme le disait André Frossard : « Il arrive que l’histoire repasse les plats mais ce sont rarement les meilleurs ».
Raphael PIASTRA, Maitre de Conférences à l’Université Clermont Auvergne