Lundi 8 novembre au soir a eu lieu le premier débat du Congrès LR, un débat assez long sans être ennuyeux ; utile pour commencer à distinguer les approches des cinq candidats. Une unique question internationale : la guerre ! La guerre au Mali. La guerre contre le terrorisme islamiste. L’occasion d’exposer les contours d’une approche de la guerre lucide et innovante ? Pas vraiment.
Seul Philippe Juvin s’est distingué en s’appuyant sur son expérience de médecin militaire pour proposer le retrait des troupes françaises du Mali, déployées dans le cadre de l’opération Barkhane. Pour les quatre autres, pourtant les mieux placés dans les sondages, la présence française au Sahel constitue un élément essentiel de la lutte contre le terrorisme. Alors que même Emmanuel Macron commence à revenir de ces errements idéologiques initiés par François Hollande, les candidats LR ont fait preuve lors de ce débat d’un conformisme atlantiste regrettable.
Comprenons-nous bien : Louis XIV était un chef de guerre. Napoléon était un chef de guerre. De Gaulle était un chef de guerre. On pourrait probablement ajouter Clémenceau, dont Aron disait qu’il visait la sécurité quand Louis XIV visait la gloire et Napoléon la puissance. Tous les grands hommes semblent avoir fait leur cette maxime de Machiavel : « Un prince ne doit donc avoir d’autre objet ni d’autre pensée ni choisir d’autre chose quant à son métier, hors de la guerre, des institutions et de la discipline militaire ; car c’est le seul métier qui convienne à qui commande. » Il ne s’agit donc pas de disqualifier la guerre, à la façon du pape François dans son encyclique Fratelli tutti, mais plutôt de déplorer que le contrat tacite qui devrait lier pensée politique et pensée stratégique ait été rompu désormais au sein de l’élite politique française.
La France qui, jusqu’à Jacques Chirac, avait fait preuve d’une indépendance intellectuelle en matière de relations internationales, s’est engouffrée dans l’étroit canal idéologique atlantiste sous Nicolas Sarkozy, et n’en est plus jamais sortie depuis lors.
Les fameuses « lignes rouges » moralisatrices de la pensée politique américaine qui séparent le camp du bien du camp du mal, et qui émanent des deux écoles de pensée que Kissinger décrit comme « l’Amérique phare du monde et l’Amérique menant croisade », deux approches dont l’aspiration consiste à établir un « ordre international fondé sur la démocratie, la liberté du commerce et le droit international », ont imprégné, depuis la présidence Sarkozy, toutes les opérations extérieures françaises : Lybie ; Syrie ; Sahel. Partout des lignes rouges. Partout des envolées lyriques prônant « La France phare du monde ; la France menant croisade ». Mais surtout, partout la même inefficacité opérationnelle. Partout le même échec géopolitique. Partout le même enlisement. Partout la même déroute de l’idéologie libérale droitdelhommiste. Partout le même renforcement contre-productif de l’exposition de la France et des intérêts français au terrorisme islamiste international.
Ne serait-il pas temps désormais d’acter que la fameuse « défense de l’avant » défendue entre autre par le Général Vincent Desportes, et qui consiste à « imposer notre action dans les guerres probables, sur ces cercles lointains où il faudra contenir et, si possible, réduire la menace » est un échec ? La plupart des exemples de guérilla depuis les années 50 au Vietnam jusqu’à aujourd’hui, en passant par le conflit soviétique en Afghanistan, montrent que le lien entre guerilleros/révolutionnaires/islamistes et populations locales (que ce lien soit fondé sur la peur ou le soutien consenti) rend impossible toute victoire militaire étrangère. L’entrée récente des Talibans dans Kaboul sans qu’ils aient tiré un seul coup de feu, et alors que l’armée américaine n’avait pas encore plié bagage, aurait dû résonner dans les consciences occidentales comme un coup de semonce. Gérard Chaliand, dans un petit ouvrage intitulé Terrorisme et politique, que tous les candidats LR auraient dû lire, écrit ceci : « Les Etats-Unis ont des forces armées exceptionnelles, mais ils ne tiennent pas assez compte des leçons du passé et des données culturelles de terrain. » Ce qui vaut pour les USA vaut encore bien davantage pour la France de Sarkozy à Macron, dont les forces armées sont par ailleurs loin d’être exceptionnelles.
Il est étonnant de constater que si tous les responsables politiques de droite s’accordent désormais sur le fait que la (mal nommée) guerre contre le terrorisme islamiste soit une guerre civilisationnelle, dont la composante idéologique est de facto centrale, ils n’en tirent pas pour autant les conséquences qui s’imposent en matière géopolitique, et qu’ils continuent d’adhérer à l’utopique projet libéral de fin de l’Histoire, qui considère la victoire des démocraties libérales et l’extension consécutive aux quatre coins du globe de l’idéologie des droits de l’homme, du libre-échange et de la démocratie (fut-ce par la manière forte) comme l’unique garantie de stabilité internationale…
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, Politologue