Les sondages ne sont pas bons pour le candidat de la majorité présidentielle. Alors qu’il caracolait à plus de 31 % il y a quelques jours seulement, les derniers chiffres laissent voir un affaissement lent, mais constant, demi-point par demi-point. Phénomène temporaire et limité ou tendance de fond amenée à se poursuivre ?
Lorsqu’on regarde les courbes, le plus étonnant est probablement les dynamiques inverses du Président de la République et de ses deux principaux opposants, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. A tel point que le magazine L’incorrect rapportait aujourd’hui le fait suivant : « Le Service central du renseignement territorial fait remonter à Beauvau les signes d’un engouement populaire pour Marine Le Pen, qui pourraient indiquer une victoire au second tour. L’Élysée commence à paniquer ». Effectivement, au premier comme au second tour, le croisement des courbes semble inéluctable. Interviendra-t-il pour autant ?
Nul ne le sait. Ce que les sondeurs savent en revanche, c’est que Marine Le Pen dispose, contrairement à 2017, d’une réserve conséquente de voix, située pour partie dans l’électorat d’Eric Zemmour, dans celui de Valérie Pécresse, dans une moindre mesure, mais également dans celui de Jean-Luc Mélenchon, et enfin dans la réserve tant convoitée, celle des abstentionnistes. Mais ce n’est pas Marine Le Pen qui nous intéresse aujourd’hui, c’est Emmanuel Macron. Lui, pourtant représentant du système, de l’alliance des partis de gouvernement, de la raison et de la modération, se heurte à un front d’opposition croissant, à un « tout sauf Macron » alimenté à la fois par une manière d’incarner la présidence de la République qui déplait fortement, et par des ratés de campagne, des non-débats frustrants, apparentés à des dénis de démocratie, auxquels on peut ajouter un bilan qu’il a du mal à défendre, surtout sur la partie régalienne, et un projet pour lequel les médias ont le plus grand mal à s’enthousiasmer. Si à cela on ajoute ce qu’on appelle désormais le « McKinsey gate », qui interroge chaque jour davantage la presse et la population, on peut légitimement craindre que l’affaissement du moment dans les sondages ne se pérennise.
Quelles conséquences ? La première, la plus brutale, serait une inversion des courbes de tendance entre les deux tours. Si, pour la première fois, les sondages donnaient Marine Le Pen à égalité avec Emmanuel Macron dans un duel de second tour, voire s’ils la donnaient au-dessus de lui, nous assisterions à un véritable séisme politique, qui entrainerait possiblement l’échec d’Emmanuel Macron.
Mais cette hypothèse, que certains redoutent et que d’autres espèrent, n’est pas notre sujet du jour. Car sa brutalité apparente serait en réalité une bonne nouvelle pour la démocratie, qui montrerait ainsi qu’elle est encore vivace et capable de se renouveler.
Le véritable séisme aurait lieu si la courbe d’Emmanuel Macron continuait de descendre, si elle croisait effectivement celle de Marine Le Pen mais après qu’Emmanuel Macron fut réélu.
Résultat : un Président mal réélu et une première opposante plus populaire que lui. Pourquoi cela serait-il risqué ? Parce que le mode de scrutin législatif, nous le savons, ne permettra pas au RN d’être représenté au Parlement à hauteur de ce qu’il représente dans le pays. En Allemagne, la politique migratoire anarchique d’Angela Merkel en 2015 a été sanctionnée par l’entrée au parlement de 92 députés AfD lors des législatives suivantes. La colère populaire a donc trouvé un exutoire politique. Cela ne se produira pas en France. Fait supplémentaire : l’abstention record qui s’annonce aux élections de juin entrainera mécaniquement un retour des vieux partis, un LR décomposé et un PS moribond, auxquels il faudrait ajouter un LREM doté d’une maigre majorité relative, dépourvu, comme la fois précédente, de l’influx présidentiel – voire un LREM doté d’une absence de majorité relative. Bilan : Une dé-légitimation des deux scrutins, un chaos parlementaire, un président en pleine déroute.
Les Français pourraient-ils s’en satisfaire ? Bien évidemment pas. Si ce scénario se confirmait, il faudrait alors qu’Emmanuel Macron trouve le plus rapidement possible les moyens de redresser sa côte de popularité – et pas de manière artificielle, comme avec la Covid ou la guerre en Ukraine – sous peine de voir le socle même de la démocratie s’effondrer sous ses pieds et l’entraîner avec lui dans une chute inédite, et probablement fatale…
Frédéric Saint Clair