Les sondages de second tour qui ont placé Marine Le Pen dans la position de l’emporter face à Emmanuel Macron ont suscité, au sein de la classe politico-médiatique, une véritable crise de panique. Petit retour sur quelques moments savoureux où le « parti de la raison » a perdu la raison.
En France, il n’y a qu’un ennemi politique : c’est l’extrême-droite. Elle fait peur à tout le monde ; elle véhicule les souvenirs les plus moisis et laisse présager l’avenir le plus sombre. Lorsque Marine Le Pen n’affleurait pas les 40% au second tour, il n’y avait nul besoin de tenter de la rediaboliser dans le but d’effrayer la population. Mais depuis que les sondages l’ont évaluée à 47%, à 48%, et même à 49%, il est devenu urgent de mettre en œuvre tous les moyens politico-médiatiques disponibles pour la discréditer. La plus classique, l’accusation de racisme et de fascisme, est aussi la plus employée. Cependant, les hérauts du politiquement correct ont compris que si cet outil de propagande était indispensable, il était loin d’être suffisant. La menace électorale est désormais bien réelle ; il est donc grand temps d’arrêter de jouer à se faire peur et d’avoir réellement peur.
C’est ainsi que la crise de panique généralisée qui a saisi aussi bien les médias mainstream que la plus large part de la classe politique, rouge, rose, verte, orange ou bleue, a conduit cette classe élitaire à démultiplier l’offensive.
On peut ainsi lire, sous la plume d’Ivanne Trippenbach, petite télégraphiste du Monde, un portrait de Caroline Parmentier, conseillère presse de Marine Le Pen où les dis-qualificatifs politiques s’accumulent : « très droitière », « ex-rédactrice en chef du quotidien d’extrême-droite à tendance catholique traditionnaliste Présent » où elle exerce pendant trente ans « sous l’égide du fondateur, Jean Madiran, intime de Charles Maurras et membre de l’Action française », une femme décrite comme l’habile artisan de l’« apparente » normalisation de Marine Le Pen, qui valida « la théorie raciste de Renaud Camus [le Grand Remplacement, NDLA] » puisque celle-ci était également « validée par les “Français qui ont des yeux pour voir” ». Bref, tous les ingrédients de l’extrême-droitisation sont réunis. Ne manque qu’une preuve intangible : les propos de l’intéressée. La journaliste étaie alors son argumentaire de citations tirées d’anciens articles de Caroline Parmentier, telles que : « Comment contester que l’africanisation et la maghrébisation des prénoms en France dans les maternités, dans les écoles, sont un signe avancé de grand remplacement ? (…) Peut-on adorer la France et appeler son fils Mohamed ? » La démonstration est désormais faite ! Aux yeux d’Ivanne Trippenbach, qui signe là cependant un beau portrait bien ciselé, le qualificatif « d’extrême droite » est indiscutable !
Forts de cette évidence, certains pousseront encore plus loin la critique. Ainsi, dans un Nouvel Observateur en totale roue libre, on peut lire : « Si Marine Le Pen était élue, elle pourrait devenir la commandante en chef de la force de frappe française, et déclencher l’équivalent de 48 000 Hiroshima sur une grande partie des États-Unis, de la Russie, de la Chine, de l’Afrique − et sur l’Europe. » Quant à la classe politique, elle n’est pas en reste, puisque le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, expliquait lors d’un déplacement en Saône-et-Loire qu’avec Marine Le Pen comme Présidente de la République, « les riches vont peut-être maigrir, mais les pauvres vont peut-être mourir aussi ». Autre exemple symptomatique de l’hystérie ambiante : Anasse Kazib, syndicaliste cheminot, candidat trotskyste non qualifié à l’élection présidentielle, qui juge que « face au fascisme, notre tâche principale est de s’organiser militairement avant de se faire écraser. »
Le système est en complète panique !
Doit-on s’étonner, dès lors, que le débat sur BFMTV entre Gérald Darmanin et Jordan Bardella se soit ouvert sur cette question, qui a occupé les deux intervenants pendant plus de dix minutes : « Marine Le Pen est-elle d’extrême droite ? » Doit-on s’étonner que la quasi-totalité de la classe politico-médiatique ait validé ce qualificatif comme s’il s’imposait tout naturellement ? On pourrait s’en étonner, en effet, si l’on se souvenait que le philosophe Luc Ferry, ouvertement libéral, avait déclaré sur LCI le soir du premier tour que les accusations de fascisme et de racisme portées contre Marine Le Pen n’ont aucun sens. On pourrait s’en étonner davantage encore si l’on se rappelait que le philosophe Marcel Gauchet, penseur de la démocratie historiquement ancré à gauche, avait déclaré au micro d’Europe 1 que Marine Le Pen n’est pas d’extrême droite, mais qu’elle est à la tête d’une droite autoritaire, nationale et populaire qui ressemble furieusement à la droite des débuts de la Ve République.
A l’inverse, lorsque l’on cherche, sous la plume de ces journalistes comme de ces élus, les arguments sérieux, philosophico-politiques, à l’appui de leur critique, que trouve-t-on ? Rien ! Mais la classe médiatico-politique s’intéresse-t-elle encore à ce que peuvent dire ou écrire des intellectuels qui ont consacré toute une partie de leur vie à analyser les concepts philosophico-politiques qui répondent à ces questionnements ? Bien sûr que non, car saisis par leur panique militante, par leur volonté hystérique de sauver à la fois leur idéologie et leurs intérêts de classe élitaire, les journalistes et les élus « bon teint » n’écoutent plus personne. Pour paraphraser Tocqueville, nous pourrions dire que, semblables et égaux, ils tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme… Et pendant ce temps, la France d’en bas s’ennuie, et se détourne des urnes, ou bien s’agace, et prépare l’insurrection…
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, politologue