Si Emmanuel Macron n’est pas officiellement déclaré candidat pour 2022, il l’est dans les faits. En témoignent ses tentatives désespérées de séduire tous les électorats dans un « en même temps » qui confine désormais au grotesque, notamment lorsque son grand écart le conduit à poser un pied sur le continent woke de la repentance, et un autre sur celui, zemmourien, de l’immigration zéro.
Au lendemain de la crise diplomatique avec le Mali au sujet de l’opération Barkhane, Emmanuel Macron n’a pas jugé bon de temporiser, de se remettre en question, de réévaluer les maigres résultats d’une politique de défense hasardeuse et idéologiquement datée. Il a préféré provoquer une seconde crise diplomatique, avec l’Algérie cette fois, en multipliant les propos injurieux à l’encontre du pouvoir politique algérien, le qualifiant de « système politico-militaire construit sur une rente mémorielle », et méprisant à l’égard de la nation algérienne, questionnant son existence avant la colonisation – une question que les historiens pourraient éventuellement se poser à l’issue de travaux scientifiques, mais qu’un président de la République française ne peut pas cracher au visage de jeunes gens issus de l’immigration, conviés à l’Elysée pour l’occasion.
Est-ce là tout ? Que nenni ! Alors que les tensions avec Alger sont à peine calmées, voilà qu’Emmanuel Macron organise un sommet Afrique-France (notez s’il-vous-plaît l’inversion sémantique délicieusement bobo) au sein duquel le mépris pour les institutions politiques de pas moins de douze pays africains (Afrique du Sud, Angola, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Kenya, Mali, Niger, Nigeria, République démocratique du Congo, Sénégal et Tunisie – vous noterez que certains d’entre eux ne sont pas francophones et n’ont jamais été colonisés par la France) est cette fois non pas proclamé, mais mis en scène : Emmanuel Macron ne convie aucun dirigeant de ces pays et s’adresse directement aux sociétés civiles…
Certains prétendront que la mégalomanie coutumière du locataire de l’Elysée suffit à expliquer ces couacs à répétition. D’autres évoqueront un amateurisme consternant qui s’applique aujourd’hui aux relations internationales comme il s’est appliqué hier à la crise des Gilets jaunes et au Grand débat national ou à la gestion toute en « conseil de défense » de la crise sanitaire… Ce n’est pas faux, mais c’est insuffisant.
Pour comprendre d’où vient le vent de folie qui souffle actuellement dans le rue du Faubourg Saint-Honoré, il faut regarder du côté du prochain scrutin.
Et il faut se pencher sur la stratégie du « en même temps » qui a fait les beaux jours du candidat Macron en 2017, dont même les plus macronistes des commentateurs politiques commencent à douter, mais que le génial stratège refuse d’abandonner. Le hic ? En 2017, le « en même temps » s’adressait au couple LR-PS – au sein duquel il s’agissait de piocher à la fois les bonnes idées et les bonnes volontés, indépendamment des clivages partisans. En 2022, ni Les Républicains ni le Parti socialiste ne sont en mesure de dicter l’agenda de la campagne. La polarisation s’organise aujourd’hui autour de l’idéologie woke de Jean-Luc Mélenchon pour une part, et autour de la politique nationale anti-immigration d’Eric Zemmour, lequel ne manque jamais de revenir sur les heures sombres de l’Histoire de France pour les éclairer d’un jour plus clément.
Le pas de deux d’Emmanuel Macron s’est ainsi mué en un grand écart facial douloureux.
Mais c’est ce grand écart qui explique pourquoi, après quatre années de politique immigrationniste inédite, supérieure même à celle de Mitterrand, Jospin et Hollande confondus, il décide tout d’un coup de réduire de 50 % les visas de l’Algérie et du Maroc, de repenser les bienfaits de la colonisation dans la constitution de la nation algérienne, et de questionner – comme c’est d’usage à droite durant cette campagne – la duplicité des responsables politiques du Maghreb en matière de politique migratoire. On a eu là un aperçu du Macron-Zemmour. Quelques jours plus tard, c’est le Macron-woke qui a surgi de sa boîte, façon populiste-révolutionnaire, torpillant les pouvoirs politiques africains pour s’adresser directement aux peuples et leur dire, droit dans les yeux, que « la France a une part d’Afrique en elle », que ce « continent est notre avenir », et que les diasporas africaines « sont une chance » pour la France. Absence de colonne vertébrale idéologique ? Absence de compréhension de ce qui fonde « l’essence du politique », pour reprendre les termes du théoricien Julien Freund ? Peut-être… Mais grâce à cette très légère compromission, Emmanuel Macron ne néglige aucun segment électoral, depuis l’extrême gauche mélenchoniste jusqu’à la droite radicale zemmourienne. Du point de vue de l’entourage présidentiel, cela a probablement été perçu comme une preuve de son génie !
Frédéric Saint Clair
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