L’archevêque de Reims, par ailleurs président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr de Moulins-Beaufort, a déclaré mercredi 6 octobre dernier, au lendemain de la publication du rapport Sauvé, que « le secret de la confession s’impose à nous et est au-dessus des lois de la République ». Au pays d’Hugo, cette déclaration est outrancière. D’autant qu’elle a été exprimée avec une certaine distance teintée de quelque indifférence qui nous a particulièrement dérangé.
« La réaction à ces propos, elle est très claire, il n’y a rien de plus fort que les lois de la République dans notre pays, ça tient en une phrase, et c’est très clair. (…) Le président de la République a demandé au ministre de l’Intérieur de recevoir le président de la Conférence des évêques de France pour que les choses soient claires », a précisé Gabriel Attal. Même s’il a rectifié un peu ses propos par la suite, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur mais aussi des Cultes, a convoqué ledit archevêque au ministère pour en parler.
La grande question qui se pose est la suivante. Le secret de la confession, lorsqu’un prêtre recueille la parole d’un fidèle au confessionnal, peut-il être levé dans certains cas ? Il apparait que dans son rapport absolument accablant, la commission Sauvé a insisté sur la nécessité de signaler des témoignages recueillis lors de confessions, qui feraient état de crimes sexuels commis sur des mineurs. La Commission, rappelle « aux clercs, religieux et religieuses que la loi de la République prévaut » sur les lois de l’Eglise. Et le président Sauvé l’a souligné : « ces nombres sont bien plus que préoccupants, ils sont accablants et ne peuvent en aucun cas rester sans suite ».
Mais justement, que dit la loi précisément sur la question ?
- D’abord la loi fondamentale qu’est notre Constitution est très claire. En son article 1er elle consacre les caractéristiques de notre République. Parmi elle il y est mentionné que cette dernière est laïque.
Les clercs de notre pays devraient avoir intégré (même si beaucoup sont gênés aux entournures) que depuis la loi de 1905 État et Église, même à l’amiable, ont divorcé.
Un peu de pédagogie dès lors. Cette loi de 1905 proclame en premier lieu la liberté de conscience : « La République assure la liberté de conscience ». Elle a pour corollaire la liberté religieuse, la liberté d’exercice du culte et la non-discrimination entre les religions.
La loi consacre en second lieu le principe fondamental de la séparation des Églises et de l’État : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Il est mis fin au Concordat instauré en 1802 qui régissait les relations entre l’État et les cultes. Jusqu’alors, l’État reconnaissait quatre cultes (catholique, réformé, luthérien, israélite) qui étaient organisés en service public du culte. L’État payait les ministres du culte et participait à leur désignation ainsi qu’à la détermination des circonscriptions religieuses. Les autres cultes (musulman ou bouddhiste) n’étaient bien sûr pas reconnus. Ce qui de nos jours n’est pas sans poser problème.
L’État se veut désormais neutre. Il n’y a plus de religion légalement consacrée. Tous les cultes sont traités de manière égale. L’État se doit d’appliquer une stricte neutralité. Nous avons l’habitude de dire qu’il est areligieux. Lacordaire proclama en 1804 que la France était « fille aînée de l’Église ». Par la suite deux papes (Jean-Paul II et François) firent de même en lui reprochant de l’oublier. Ces derniers prêchaient, en quelque sorte, pour leur paroisse ! Mais en 2007, dans un discours à Latran le président Sarkozy a porté gravement atteinte à la laïcité qu’il était pourtant, de par sa fonction, sensé défendre : « J’assume pleinement le passé de la France et ce lien si particulier qui a si longtemps uni notre nation à l’Église. C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille ainée de l’Église. Les faits sont là ». Ce jour-là, le chef de notre État laïc s’est tout simplement fourvoyé. De tels propos relevaient pour nous d’un manquement à ses devoirs pas loin d’être manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions (art .68 C). Certains de ses prédécesseurs, aussi voire plus croyants que lui, n’auraient jamais osé un tel discours.
Avec la loi de 1905, un nouvel équilibre est institué entre l’État, la société et les religions. La laïcité, dont il n’est pas fait explicitement référence dans la loi, a été depuis confortée (1946,1958). Depuis 2011, le 9 décembre, jour anniversaire de la promulgation de la loi, est consacré « journée de la laïcité ».
- Que dit la loi pénale à présent ? Elle dit deux choses.
D’abord que la dénonciation d’un crime ou d’un délit s’impose à « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions […] est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » (art. 40, al. 2 CPP). Un (haut) ecclésiastique est une « autorité constituée ». Il va de soi que des faits de pédophilie, même confessés dans le secret religieux, relèvent de cette obligation.
A certaines exceptions près, ce devoir de dénonciation n’épargne aucun citoyen qui, « ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés », est tenu d’en informer les autorités judiciaires ou administratives. S’abstenir de signaler ou de porter secours même est passible de non-assistance à personne en danger (article 223-6 C. pénal).
Ensuite la pédo-délinquance ou criminalité est sanctionnée par l’article 434-3 du Code pénal : « Le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n’ont pas cessé est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende », peut-on lire dans l’article. Par ailleurs, il est précisé que lorsque ce défaut d’information concerne un mineur de moins de quinze ans, les peines sont portées à « cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende ».
Comme le rappelle l’ancien président de l’Observatoire de la Laïcité Nicolas Cadène sur son compte Twitter, Mgr de Moulins-Beaufort s’appuie dans son argumentaire sur une loi de 1891 pour défendre le secret de la confession.
Il s’avère que nos prélats ont assurément dans leur ensemble, un souci avec les lois de la République.
Ce Monseigneur omet que « sa » législation est devenue forcément caduque depuis la loi de 1905.
Disons quelques mots à présent du secret de la confession et du secret professionnel.
Pour se défausser de leurs propres turpitudes (et pourtant nullam turpitudinem…), la plupart des prélats font valoir un prétendu secret professionnel. Peut-on mettre au même niveau le secret du confessionnal, et le secret imputé à un médecin par exemple ? Selon la loi républicaine encore une fois, non. Le secret professionnel est l’interdiction faite à celui qui y est soumis de divulguer les informations dont il a été dépositaire. Il s’avère que les religieux n’apparaissent dans aucun texte de loi évoquant la question du secret professionnel. En revanche, les médecins, les avocats, les banquiers, les notaires et les fonctionnaires de police apparaissent eux, bel et bien dans les professions concernées. Et selon l’article 226-13 du Code pénal, ils risquent en cas de divulgation du secret un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende.
Le secret professionnel est donc une obligation à laquelle est soumis le professionnel, et non un droit ou une « protection » dont il pourrait user à son initiative ou dans son intérêt. Il ne doit pas être confondu avec les notions de devoir de discrétion professionnelle, de devoir de réserve ou de respect de la vie privée.
Il existe des exceptions au dit secret professionnel. Il peut être levé (notamment par le procureur de la République) dans trois cas : sévices ou privations sur mineur ou personne vulnérable ; violences sexuelles (si la victime autorise la levée du secret) ; et lorsqu’un individu « détenant une arme à feu ou ayant manifesté l’intention d’en acquérir une » présente « un caractère dangereux pour lui-même ou pour autrui » (article 226-14 du Code pénal).
Le secret médical permet aux professionnels de santé de porter connaissance au procureur de la République des « informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être », et les sévices ou privations qu’ils ont constatés, « qui leur permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ».
Alors l’Église serait plus forte que les lois ? L’Église serait au-dessus des lois ? Quelle est cette conception totalement contraire aux lois de la République ?! C’est à nos yeux une hérésie laïque ! Il y a même, nous semble-t-il, une obligation encore plus ardente de dénoncer de tels faits pour un homme d’église. L’amour de son prochain, notamment en situation de danger ou de fragilité, n’est-il pas au centre du message chrétien ? Surtout soutenir cette intouchabilité de la confession, ce n’est ni plus ni moins qu’un blanc-seing donné aux pédophiles ecclésiastiques passés, présents et à venir. Et pis que çà, c’est une double peine infligée aux victimes…. Pardon, chagrin (seul le Pape François l’a exprimé), repentance. Voilà ce qu’on attend de l’Église. Et surtout un aggiornamento complet dans la formation et le mode de vie de ses serviteurs. Il est encore parmi eux des prédateurs qui rodent et agissent peut-être. Et il est encore des « Monseigneurs Barbarin » pour les couvrir….
Alors les poursuites qui s’imposent doivent être implacablement menées et les condamnations maximales prononcées.
E. Dupont-Moretti a, à raison, demandé aux procureurs d’enquêter « même sur les faits prescrits ».
Eric de Moulins-Beaufort va donc devoir éclaircir ses propos auprès du ministre de l’Intérieur. On l’a dit, il est convoqué mardi par Gérald Darmanin « afin de s’expliquer sur ses propos » sur le secret de la confession. N’oublions pas que le ministre de l’Intérieur est aussi celui des Cultes. Cela signifie qu’il existe à Beauvau un Bureau Central des Cultes chargé des relations avec les autorités représentatives des religions présentes en France et de l’application de la loi de 1905 en matière de police des cultes. Cette dernière contient un titre entier consacré à la police des cultes. La religion n’étant pas seulement une affaire privée mais se pratiquant dans des espaces publics et collectivement, l’État veille à ce que ces pratiques ne remettent pas en cause l’ordre républicain ou qu’elles ne créent pas de troubles à l’ordre public (article 10 de la Déclaration de 1789). C’est donc le rôle du ministre de l’Intérieur que d’entretenir des relations avec les représentants des différents cultes. Et c’est lui qui au nom de l’État doit veiller à la neutralité de ce dernier et s’opposer aux dérives sectaires. Il s’appuie aussi sur la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ).
Pour achever ici précisons que la demande de convocation du prélat de Moulins-Beaufort émane directement du président de la République Emmanuel Macron. On ne peut que se féliciter de la décision de ce dernier. Il est en effet en charge de défendre nos principes républicains et uniquement ceux-là. Et parmi eux la laïcité en est un fondamental. « Je veux l’État laïque, exclusivement laïque…, je veux ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui. » (Victor Hugo).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités