Jeudi soir, à 20h20, TF1/LCI a organisé le débat, attendu par les uns et redouté par les autres, entre Eric Zemmour et Valérie Pécresse. Une programmation cavalière, à cheval sur deux chaînes, pour un débat des plus ordinaires. Décryptage.
Renaud Muselier avait pronostiqué au micro de Sud Radio un massacre de Valérie Pécresse par Eric Zemmour. La décharge de testostérone a cependant été bien plus violente de la part de la candidate modérée que de la part du candidat radical. Le massacre n’a donc pas eu lieu. A la place, dans les deux camps, un cafouillage inaudible, une agressivité repoussante, une succession de mesures sans queue ni tête, une droite offrant un visage aigri, hargneux, hypocrite, confus, lors d’un débat qui a cumulé tout ce que les Français abhorrent en politique. Un peu plus d’une heure après avoir commencé, le gong a retenti : ni vainqueur ni vaincu.
Est-il surprenant que TF1 n’ait pas souhaité renoncer à sa programmation habituelle : une série policière, Balthazar, pour diffuser intégralement le débat Zemmour-Pécresse, et que la chaîne ait basculé les deux-tiers de ce débat 25 canaux plus loin ? Surement pas. C’est même symptomatique de l’intérêt très modéré que suscitait la rencontre. Le caractère médiatiquement inaudible de ce débat fait en réalité écho à un mal plus profond qui n’a commencé que très récemment à voir le jour : le caractère politiquement inaudible de cette droite, ou de ces droites incarnées à la fois par Eric Zemmour et Valérie Pécresse.
Désintérêt progressif des Français pour deux incarnations de la droite, pour deux soufflets qui retombent dans les sondages semaine après semaine.
Et si le couple Macron-Le Pen, c’est-à-dire l’opposition nationaux-mondialistes n’avait pas été seulement une construction habile, et profitable aux deux intéressés, mais la conjonction d’un intérêt politicien évident et d’une réalité sociologico-politique manifeste ? Et si le couple Zemmour-Pécresse n’incarnait pas le véritable clivage structurant de la droite, mais une déclinaison biaisée de ce clivage, une sous-catégorie de ce qu’incarnent Emmanuel Macron et Marine Le Pen ?
Eric Zemmour et Valérie Pécresse ont tous deux eu leur heure de gloire à l’automne 2021. Eric Zemmour a, un temps, incarné le renouveau de la droite radicale. Il a fait tomber Marine Le Pen de son piédestal, lui a ravi quelques cadres et de nombreux électeurs. Valérie Pécresse a, de son côté, semblé incarner le retour de cette droite LR dont on avait annoncé la mort clinique depuis près de cinq ans. Mais ni l’un ni l’autre n’ont su se maintenir. Erreurs tactiques et stratégiques individuelles ? Certainement. Mais pas seulement.
C’est avant tout l’ADN économiquement libéral de ces deux droites qui est en cause.
Leurs mesures diffèrent quelque peu, mais leur cadre idéologique est commun. Et il est non seulement commun, mais il est une déclinaison de celui actuellement incarné par Emmanuel Macron. Car si l’on ne s’attache pas de trop près à la pratique macronienne du pouvoir, contestable à de nombreux endroits du fait de son amateurisme forcené, mais à sa « weltanschauung », à sa « conception du monde », on constate qu’elle englobe intégralement celle de Valérie Pécresse, qui ne se distingue en rien du cadre libéral, européiste et mondialiste d’Emmanuel Macron. Par ailleurs, cette conception du monde sociale-libérale macronienne recoupe grandement celle proposée par Eric Zemmour, quoi qu’on en pense. Ce dernier tente effectivement de s’en détacher, notamment sur le plan régalien ; il tente de rompre avec le libéralisme politique progressiste de l’actuel Président, et c’est d’ailleurs là que réside toute sa force ; mais il est incapable d’offrir une réelle alternative au plan économique. Or, cette semi-dépendance est décisive : Eric Zemmour n’incarne pas, à cause de cette dépendance idéologique libérale, une réelle alternative au social-libéralisme dont Emmanuel Macron semble être aujourd’hui le meilleure représentant ; il n’incarne qu’une variation régalienne de ce social-libéralisme, une forme de libéralisme autoritaire. C’est insuffisant. Insuffisant car pour incarner une alternative pleine et entière, il faut une opposition nette, comme celle du libéralisme et du communisme durant le XXe siècle ; il faut rompre sur les deux plans, économique et politique. C’est ce que fait Marine Le Pen, que la droite accuse régulièrement d’être de gauche économiquement. Mais ce procès en gauchisme, cet attachement localiste, alter-mondialiste, est justement sa force, sa singularité, sa manière de mettre à distance l’idéologie néo-libérale qui colle à la peau de Pécresse comme de Zemmour. Et c’est la raison pour laquelle, malgré ses faiblesses, elle plie le match.
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, Politologue
Photo : source LCI