Triste été 2021, le feu est aux portes d’Athènes, au cœur de la maison de l’Europe, et il chasse les habitants de l’île d’Eubée qui fuient sa morsure mortelle sous le regard impavide des étoiles, tandis qu’un peu plus au Nord, une météorologie maussade assombrit durablement le moral des estivants et souligne la disparité des situations, sur fond de recrudescence du variant Delta et de grande confusion dans les esprits sur les parades retenues par les dirigeants de l’heure…
En Californie également, des incendies d’une rare ampleur saccagent et détruisent les lieux de vie de communautés entières, impuissantes à circonscrire leurs ravages, et nous renvoient à la fragilité de la condition humaine de par le vaste monde. Pluies et feux destructeurs, répétition de drames dans un contexte de pandémie qui s’inscrit désormais comme trame universelle de nos destinées, l’actualité ne nous ménage guère en alimentant nos craintes et nos doutes.
Dans un petit village breton, à la population décuplée par la pause estivale, c’est l’entrée en vigueur du pass sanitaire qui divise les esprits, comme il fallait s’y attendre, et qui suscite les interrogations les plus vives, avant même qu’il n’ait été expérimenté. Les anciens, la plupart tous vaccinés, ont fait appel aux plus jeunes pour récupérer la version papier du fameux QR code auprès des pharmacies de bonne volonté environnantes, car ils ne possèdent pas les téléphones mobiles idoines pour satisfaire à l’obligation du moment. Pour autant, une très vieille dame commente la mesure dans la queue devant l’étal du marchand de légumes du marché hebdomadaire, avec cet humour propre à la France mère de Gavroche, en répondant aux questions d’une de ses voisines : « Eh bien, me voilà étiquetée comme une barquette de viande du supermarché ! », mais comme sa modeste pension ne le lui permet pas, elle sait pertinemment que rares seront les occasions de présenter le sésame instauré par la caste administrative qui l’a inventé pour inciter la population à se faire vacciner… Il y a si longtemps qu’elle ne va plus au restaurant ou au cinéma et qu’elle n’a plus eu l’occasion de prendre le train qu’elle se soucie comme d’une guigne de cette mesure édictée bien loin de son environnement quotidien. En revanche, il n’en va pas de même avec le propriétaire du café du village, dont la terrasse regorge de vacanciers entre deux averses et qui ne décolère pas devant le dilemme qui va s’imposer à lui dans les semaines à venir :
Comment demander à ceux qui n’auront pas le pass sanitaire, pour de multiples raisons, de se lever et partir s’ils ne sont pas en mesure de présenter le précieux sésame ?
Car chez lui, les estivants remplissent les tables au fur et à mesure qu’elles se libèrent et en fonction des rayons du soleil. Il a pourtant espacé les tables en suivant les consignes sanitaires, mais voilà, nous sommes en France, pas en Italie ou ailleurs, et ceux qui imposent les règles consacrent le minimum de temps à en mesurer l’impact ou à anticiper les sources de désagréments, en dignes héritiers des personnages de Courteline… A en juger devant le relâchement généralisé des gestes barrières un peu partout sur les lieux de vacances, en dépit des rappels quotidiens dans les médias par les experts médicaux, on ne peut que s’inquiéter de la mise en œuvre du pass sanitaire qui mobilise un nombre significatif de manifestants peu convaincus de son opportunité, et cela bien au-delà du débat sur l’impératif de la vaccination pour enrayer la progression du virus, dans une confusion de plus en plus inquiétante à l’approche de la rentrée à l’issue d’un été de tous les paradoxes…
Les raisins de la colère ne demandent qu’à mûrir dans un tel contexte, et ce ne sont pas les efforts bien trop tardifs d’une pédagogie raisonnée qu’il aurait fallu initier plus en amont, qui semblent en mesure de ramener le calme dans les esprits. Pour l’heure, l’aspiration au répit et à la quiétude propres à la période des vacances, quand elle n’est pas mise à mal par les terribles effets des aléas climatiques, observables en Grèce et en Turquie sur les rives de la Méditerranée, est compromise par un défaut d’anticipation et de prévoyance, dont on n’a hélas probablement pas fini de mesurer les effets délétères dans le contexte d’une pandémie qui perdure au fil des mois et des saisons.
Eric Cerf-Mayer