Sur le plan scientifique, l’hypothèse de la transmission animale reste toujours la plus plausible. Surtout, le débat sur l’origine du Covid-19 doit rester sur le terrain scientifique.
Évoqué le 7 juillet 2021 par Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, « le risque d’une 4e vague rapide » en France relance le débat sur l’origine de la pandémie. Pour l’heure, trois principales thèses s’affrontent : l’accident de laboratoire, la transmission animale, et la thèse complotiste.
D’où sort vraiment le Covid-19, qui a déjà fait 4 millions de morts ? Chercher à en connaître l’origine permettra de mieux prévenir et de contrôler les prochaines pandémies. En attendant que le mystère soit résolu – ce qui nécessite un travail d’investigation de longue haleine –, il nous apparaît important de faire part de nos trois interrogations afin de faire avancer, d’une façon qui nous semble saine et objective, le débat en cours.
1. Pourquoi la thèse de la transmission animale emporte-t-elle plus l’adhésion ?
Lors d’un événement organisé le 8 juillet 2021 à Paris par le Chinese Business Club, Didier Raoult, le spécialiste marseillais des maladies infectieuses qui en était l’invité d’honneur, a expliqué pourquoi il privilégiait, quant à lui, la piste d’une transmission par l’animal. Selon lui, « ce qui facilite la promotion des nouveaux variants transmissibles à l’homme », c’est la possibilité de développement « des épidémies chez les animaux ». Et « les mammifères sauvages qui représentent le plus grand danger d’épidémie sont les chauves-souris, parce que les chauves-souris peuvent vivre à 20 millions dans une grotte, et se frottent les unes contre les autres », ce qui favorise une « transmissibilité… incroyable ». Surtout, les chauves-souris sont porteuses de quantité de virus, affirme Didier Raoult. Pour mémoire, il y a plus de dix ans, le Sénat l’avait consulté pour lui demander d’où pourrait venir la prochaine épidémie. Sa réponse : des chauves-souris, parce que celles-ci constituaient « le réservoir de mammifères le plus nombreux qui vit de la manière la plus dense ».
Didier Raoult est loin d’être le seul à privilégier la piste de la transmission animale.
Le 19 février 2020, 27 scientifiques avaient co-signé un article paru dans la très sérieuse revue médicale The Lancet. Ils condamnaient fermement « les théories du complot suggérant que le Covid-19 n’a pas une origine naturelle ». Les auteurs de l’article fondaient leur opinion sur les premières analyses des données de séquences publiées, sans toutefois détailler les arguments scientifiques en faveur d’une origine naturelle. Toutefois, en réfutant ainsi la théorie du complot, The Lancet accrédite la thèse de la transmission animale ou le « scénario zoonotique ». Deux mois plus tard, un autre article publié dans Nature Medicine fournissait une série d’arguments scientifiques en faveur d’une origine naturelle. Selon l’article, l’hypothèse naturelle est plausible, car c’est le mécanisme usuel de l’émergence des coronavirus ; d’autre part, la séquence du SARS-CoV-2 (ndlr : Covid-19) est trop éloignée des autres coronavirus connus pour que la fabrication d’un nouveau virus à partir des séquences disponibles puisse être envisagée.
2. Pourquoi la théorie du complot est-elle réfutable ?
Didier Raoult a également rejeté la thèse conspirationniste selon laquelle le coronavirus aurait été fabriqué par l’homme, en laboratoire. « L’imagination de la nature pour créer de nouveaux virus à côté de celle dans un laboratoire est incomparable », a-t-il affirmé. Il a notamment insisté sur le fait que, lorsqu’un virus se trouve dans une population restreinte d’un ou deux millions d’animaux, les variabilités qui en sortent sont « absolument colossales » et qu’il est impossible de faire de même « dans un laboratoire. »
Rappelons au passage que début février 2021, la Chine a laissé les experts de l’Organisation mondiale de la Santé se rendre à Wuhan pour enquêter, à l’Institut de virologie de la ville, sur l’origine du coronavirus. Une attitude similaire de la part des Etats-Unis est souhaitable, quant à l’ouverture d’une enquête de même nature dans son laboratoire de Fort Detrick…
Pour réfuter la thèse du complot, Didier Raoult a notamment cité l’exemple de celle qui avait été avancée en 2003 par les Etats-Unis, accusant l’Irak de posséder des armes de destruction massive, et qui, finalement, s’est révélée totalement fausse. « Lorsque j’étais au ministère de la Santé, je me suis fait raconter des histoires sur le bioterrorisme, qui est devenu un “argument – charbon” pour envahir l’Irak, prétendant que (le pays) était plein de bacilles du charbon et que c’était lui (ndrl : l’Irak) qui avait envoyé ça », s’est souvenu le spécialiste. Avant d’ajouter : « Je me méfie beaucoup des informations qui circulent comme ça. »
Pour rappel, l’agence centrale de renseignement des Etats-Unis (CIA) a fini par admettre son incapacité à trouver la moindre trace d’armes de destruction irakiennes. Et, en 2006, un rapport du Sénat américain a officiellement révélé que l’Irak n’en disposait pas. L’Histoire retiendra que le 10 mars 2003, Jacques Chirac, alors président de la République française, annonçait solennellement qu’il opposerait son veto à toute résolution de l’ONU autorisant la guerre contre l’Irak. L’Allemagne a également refusé de s’aligner sur la position américaine. La France et l’Allemagne ont ainsi évité une erreur historique…
3. Pourquoi deux présidents américains s’en sont mêlés ?
Le débat sur l’origine du Covid-19 est une affaire très sérieuse, avec des enjeux considérables portant sur la santé humaine et donc sur l’avenir de l’humanité. Rechercher l’origine de la pandémie demeure un processus très complexe nécessitant des collaborations entre les scientifiques du monde entier. En clair, c’est une affaire qui, pour aboutir à des résultats objectifs et impartiaux, doit être menée par la communauté scientifique.
Mais le plus étrange c’est que, dès le départ, des politiques de haut niveau dont en particulier Donald Trump s’en soient mêlés. Lorsqu’il était encore au pouvoir, Donald Trump avait alimenté l’hypothèse d’une fuite du virus du laboratoire chinois. Fin mai 2021, son successeur Joe Biden a appelé à « redoubler d’efforts » pour expliquer l’origine du Covid-19, dénonçant le manque de transparence de la part de Pékin. Cependant, ni l’un ni l’autre n’ont jusqu’à présent fourni de preuves tangibles pour étayer leurs accusations. Est-ce sérieux ? Surtout, les hommes politiques – fussent-ils les présidents américains – doivent laisser les scientifiques faire leur travail selon les lois scientifiques, sans pression politique d’aucune sorte. En d’autres termes, le débat sur l’origine du Covid-19 doit rester sur le terrain strictement scientifique.
Camille Chen
Journaliste spécialisée en relations internationales
Chinese Business Club Magazine